[Marseille fait genre] Robin des Doigts, brigand des masculinités
Dans cette chronique, Margaux Mazellier donne la parole aux féministes marseillaises. À travers des portraits intimes de militantes, activistes et citoyennes, elle explore la diversité des combats pour l’égalité à Marseille. Cette semaine, rencontre avec Robin des Doigts, King du Sud.
Si je vous dis drag show, vous pensez drag queens, mais connaissez-vous des drag kings ? Né au début du XXᵉ siècle, le drag king consiste à mettre en scène, le temps d’une performance, une identité masculine qui joue autant avec les stéréotypes de genre qu’elle les détourne, les questionne et les réinvente. Depuis quelques années, le mouvement réapparaît partout dans le monde. À Marseille, pourtant, aucune tradition de drag masculin ou presque : pas de modèles, peu d’espace. Robin des Doigts, King du Sud, s’attelle à changer la donne.
Une rencontre décisive
Robin est né à Miramas et a grandi à Salon-de-Provence. Très jeune, il se travestit déjà : “J’empruntais les vêtements de mon père pour me déguiser en lui.” Jusqu’à l’adolescence, il se considère en secret comme un garçon. “En grandissant, je me suis progressivement conformé aux stéréotypes de genre attendus, jusqu’à mon coming out lesbien à dix-neuf ans, où j’ai reconnecté avec une forme nouvelle de féminité”, raconte-t-il.
Au début, j’ai eu peur que ça chamboule mon identité comme quand j’étais jeune, mais finalement non : je n’avais plus envie de me définir, juste de jouer avec les normes.
Robin des Dogts
Il faut attendre 2015 pour que Robin renoue avec son identité masculine, lors d’un atelier drag king au cinéma Les Variétés, à Marseille, avec Louis(e) de Ville : “Au début, j’ai eu peur que ça chamboule mon identité comme quand j’étais jeune, mais finalement non : je n’avais plus envie de me définir, juste de jouer avec les normes.” Ainsi naît Robin des Doigts.
À la même époque, il se politise, rejoint des mouvements féministes et queers. En 2017, sa pratique se développe à Montpellier grâce à Jésus LaVidange , premier king à intégrer une maison de drag queens : “Il montre que grâce à la scène, la danse, le maquillage, on peut expérimenter des formes de masculinité moins toxiques. Ça m’a donné de l’espoir.” Puis vient la drag queen Medusa Dickinson, avec qui il fonde la House of Boner.
Robin unit alors militantisme et scène : “Je voulais incarner un militantisme plus léger, cultiver de la joie sans renier les combats politiques que l’on mène en tant que minorités.” Il crée un personnage qu’il veut positif : “Un mec du sud : propre sur lui, hyper souriant, un peu efféminé — on le prend parfois pour un mec gay, qui fait des blagues de beauf, mais toujours détournées.” Un king qui brouille les codes.
Un moment de bascule
De retour à Marseille, le constat ne change pas : aucune scène drag king structurée. Alors, Robin crée le collectif Dragantuesque, en 2022, avec Cristale de Troie, l’une des trois queens de la célèbre MST (Maison des soins transgressifs). Parmi les projets phares : la Drag-Baret, cabaret régulier au Théâtre de l’Œuvre, où se croisent lipsync, danse, stand-up et chant. Il anime aussi les Drag Partchy au Sing or Die, soirées ouvertes où les pratiques artistiques deviennent outils de visibilité.
Pourquoi le drag king est-il si peu visible ? Selon lui, le drag king, né dans les milieux lesbiens, a longtemps été considéré comme moins spectaculaire, donc moins légitime. Pour Robin, justement, être drag king permet de s’approprier des attitudes et privilèges refusés aux femmes et de renverser les codes du patriarcat.
Malgré les obstacles, Robin explose : il est booké partout en France. Pour renforcer la visibilité de la scène, il cofonde les Massilia Boyz, les Kings de Marseille avec John Travelota, Prince des Docks, Rudy Wurst et Gino Vagino. Ensemble, ils expérimentent, mêlant humour, performance et politique. Le groupe forme un véritable laboratoire artistique et social où chacun apporte ses histoires, ses héritages et sa vision de la masculinité queer.
Des héritages
Car pour Robin, le drag dépasse la performance : c’est un outil de réflexion, une tribune. Avant, son personnage s’appelait Juan : “Juana, comme ma mère, mais sans le A”, explique-t-il. Le show devient un moyen de renouer avec son histoire familiale, marquée par la migration sous le franquisme et un espagnol qui a presque disparu des conversations : “On ne nous a pas transmis la langue ni l’histoire. Le drag m’a ouvert une voie : je fais parler mes grands-mères, leurs accents très forts, leurs récits.”
Ce “fragnol” bricolé et revendiqué nourrit ses personnages et ses textes humoristiques. Audre Lorde, grande référence, l’accompagne également : “Ses poèmes secs, bruts, politiques… ça a été un choc. Je viens d’une famille d’analphabètes. Elle parle des femmes comme des guerrières. Il y a des guerrières dans ma famille.”
Un slogan
Le drag est forcément politique. Tu incarnes une minorité et tu le revendiques.
Robin des Doigts
“Voler aux riches pour donner aux freaks.” Inspiré du célèbre personnage de Robin des bois, qui vole aux riches pour donner aux pauvres, ce slogan résume bien sa pratique du drag : “Le drag est forcément politique. Tu incarnes une minorité et tu le revendiques. Transgresser le genre, c’est politique.” Il continue donc de détourner codes et privilèges pour les offrir à celles et ceux qui n’ont pas la lumière, et revendique fièrement son identité de king gouine.
Le drag king, porteur d’une culture lesbienne souvent effacée, redonne une place à des voix trop longtemps marginalisées. Dans une ville où la scène king était absente, Robin ouvre une route qui mêle héritages migratoires, féminisme, cabaret et bricolages de genre. Et quand le public applaudit, il le sait : ce n’est pas seulement pour son personnage. C’est pour celles et ceux qui n’ont jamais pu parler, pour toute une histoire enfin reconnue. Une histoire qui, grâce au drag, retrouve une voix et une scène.
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