Mes châteaux d’If: Félicité chez Jaurès, Ernaux en terrasse.

Billet de blog
le 10 Jan 2023
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Mes châteaux d’If: Félicité chez Jaurès, Ernaux en terrasse.
Mes châteaux d’If: Félicité chez Jaurès, Ernaux en terrasse.

Mes châteaux d’If: Félicité chez Jaurès, Ernaux en terrasse.

Jul trouve son bonheur dans la ville qui l’a vu naitre. Il y conserve ses amis et sa famille, aime manger dans quelques restos dont nous ignorons le nom. La notoriété l’a poussé à changer plusieurs fois d’adresse dans Marseille. C’est ce que nous dit l’article du Monde de la semaine dernière sur un des chanteurs les plus connus et pas que sur le Prado. On apprend peu de choses sur notre marseillais en claquettes-chaussettes, sauf qu’il serait resté simple. Son avocate qui défend ses intérêts fait barrière aux informations mieux d’un masque FFP2 aux virus. France Inter, ce matin même, douche cette nouvelle en nous apprenant que des sociétés se chargent de faire grimper le nombre de vues sur des sites comme Deezer ou Spotify. Cela se monnaye en millions de vues qui elles rapporteront autant, voire plus. Au néolithique, du temps du Top 50 et du huitième mariage d’ Eddie Barclay, on accusait aussi les entreprises du secteur de faire monter artificiellement le nombre de ventes de disques pour décupler les ventes. L’humain est ainsi fait qu’il convoite ce que l’autre désire.

Loin du désir de parvenir se tient un bar sur la Plaine où les clients se réjouissent pour moins que ça. Leur bonheur quotidien est relevé par le sourire de Karine chaque matin et le café de Richard. Je ne parle même pas des croissants: Le nirvana.

Un joueur de la grille de mots fléchés de la Provence m’en faisait l’éloge un matin.Ne parvenant pas à finir sa grille, pourtant facile, il lâchait prise.

Il n’a pas cessé de me parler” en évoquant un habitué maugréant ce matin de marché contre les jeunes, toujours sur leur portable et ne disant pas bonjour. J’avais pour moi la grille. Pour une fois! Nous fîmes ainsi quelques définitions ensemble. L’union fait la force mais surtout la joie, contents de trouver le mot PARA en quelques échanges et sans chutiste.

Les clients rentraient pour les toilettes, un casa, un allongé, dire bonjour, d’autres sortaient pour retourner au marché. Un employé de la ville savourait son café avec quelques amis. Tous se saluaient. Un client m’apportait le café car Richard était au four et au moulin. Le soleil et le marché se jouaient de lui.

Un troisième client vint s’ajouter à notre discussion qui avait tourné, ‘videment, sur le malheur des gens du nord. Cette race ne connaissait pas le plaisir du café en terrasse en janvier, ni en avril à vrai dire. J’expliquais que je venais de ces lointaines contrées arctiques. Lui aussi avait connu Strasbourg. “Brrr, comment vous dire, à l’évocation de ce nom, nous étions tous trois pétrifiés, gelés en somme.

On aurait pu tout aussi bien dire Annecy où vécut la femme gelée, l’écrivaine Annie Ernaux. Dans ce livre magistral, une nostalgie dramatique s’empare de nous au mitan de la vie. Annie Ernaux y raconte sa vie insouciante et libre d’étudiante avant que de tomber amoureuse de celui qui deviendra son mari, d’être installée en tant que jeune couple, et de s’enliser dans sa vie de mère avec son premier enfant. Le récit construit autour des souvenirs et du journal de l’autrice est d’une précision sans faille, d’un grande justesse pour y raconter l’enlisement dans sa nouvelle vie où elle va perdre ses droits à la joie. Elle y raconte comment elle devra se battre pour réussir ses études, elle aussi alors qu’elle assume la grande majorité des taches quotidiennes.Elle y raconte aussi le poids des habitudes, les réflexes sociaux qui conditionnent les rôles.

Comment ne pas reconnaitre nos vies quand elle raconte son beau père lors d’un repas familial: “ Café!” tonitrue monsieur père, calé sur sa chaise. Voila voila! s’affaire madame mère.”

On ne pensait pas qu’elle aurait pu vivre autrement” adresse t elle a ses femmes dévouées aux passions de leur maris. Comment ne pas y reconnaître notre société encore si proche de cette culture. Quand Annie Ernaux parle avec son mari de la révolution algérienne mais que c’est elle qui nettoie ses chaussettes, on est effondré mais on se rappelle comment, nous les petits garçons, avons été éduqués et comment nous avons imités. C’est déjà tellement dur d’imiter les grands avec leurs grands airs, tellement dur de faire semblant de vouloir réussir, de faire des études comme tout le monde pour devenir quelqu’un, pour prendre sa place dans la société. Et si on ne veut pas, alors plus qu’une loi d’airain, c’est un train train quotidien, la vie des autres qui nous passe dessus, qui nous demande où nous en sommes.

Ce que nous apprend Ernaux dans une méticulosité du vrai détail, de celui qui s’est répété dans nos repas de familles, dans nos groupes sociaux, entre garçons ou entre filles, au ski , au foot, dans le sport, au bar ou en dansant, c’est notre moutonnerie. Ernaux est née reine et fille unique dans une famille où le père, humble cafetier, fait la vaisselle. Pourtant elle est tirée vers une famille d’une classe supérieure à la sienne par le sacrifice inconscient de sa mère qui veut la tirer de sa condition. Néanmoins c’est en tant que femme qu’elle rejoindra sa position de dominée.

On peut se réjouir du prix Nobel de littérature décernée à Annie Ernaux car il a permis l’édition à un million d’exemplaires de ses œuvres. Il a permis à trouver le rayon bibliothèque vide de ses œuvres durant des semaines. Il a permis de démasquer les connards qui s’étonnaient de ce prix. Il a permis d’effacer Houellebecq quelques jours de notre horizon. Mais surtout Annie Ernaux raconte la vie d’une femme des années 60, de cette vague précédente de la libération des femmes. Il en raconte le combat âpre dans le carcan de ces années où la place des femmes était clairement derrière les fourneaux, dans les couches et dans la merde des couches. ” Offrez à votre femme quinze jours sans vaisselle ni repas à préparer, le club vous attend.” écrit-elle. Elle rapporte comment elle se fait engueuler quand le repas n’est pas prêt: “ Il faut que tu t’organises mieux que ça” gueule son mari de gauche qui lit le Monde après le repas.

Les livres d’Annie Ernaux sont courts: 170 pages à peine mais quelle densité.

A la terrasse, on n’a pas parlé de ça. On s’est dit que ce bar était vraiment un beau lieu de rencontres:

Les gens sous tutelle, les érémistes…

-… les LGBT  a ajouté l’autre.

Y a même des gens normaux ai-je ajouté par provocation. Des profils atypiques, en somme.Hum hum..

-…ça n’existe pas“, m’ a sourit mon interlocuteur. Qui sait si Annie Ernaux aurait aimé ce lieu où l’on sourit depuis des années à tous les fracas de la Plaine et même aux autres. Et où il ne gèle pas.

Le film les Années Super 8 encore à l’affiche est aussi un petit bijou.

PS: ça étant le féminisme, la vie de ma mère etc…

 

 

 

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