Affaire Chervet : prison ferme pour le “petit cercle” de la corruption au département

Renaud Chervet (Ben8)

Ils sont réunis pour la dernière fois, sans doute, au fond de la salle d’audience de la Belle-de-Mai, où Céline Ballerini, la présidente de la 6ᵉ chambre, doit prononcer le jugement de l’affaire Chervet. Ancien directeur de service au conseil départemental des Bouches-du-Rhône, Renaud Chervet discute avec les chefs d’entreprise avec lesquels il avait noué un pacte de corruption, de 2011 à 2016.

Pendant des années, il leur a assuré un accès privilégié à des marchés de travaux, en échange de gratifications, cadeaux, repas au restaurant, voyages à l’étranger et nombreux paiements, en numéraire, ou par virement, via le compte de son complice, Jérôme Disdier assistant à maîtrise d’ouvrage de la collectivité.

Pour l’heure, les prévenus patientent. L’un des comparses, incarcéré pour une autre cause, a été envoyé par erreur d’aiguillage dans les geôles du palais Monthyon. L’audience se fera sans lui. L’ancien cadre du département s’avance le premier à la barre pour faire face à Céline Ballerini.

Fréquence et montants

Comme à son habitude, la présidente prend le temps de la pédagogie pour expliquer le droit. Blouson noir sur sa silhouette trapue, Renaud Chervet a du mal à tenir en place alors que la juge explique en détails pourquoi elle a choisi de retenir la corruption, plutôt que le trafic d’influence.

Dans son prononcé, la présidente dissèque ce qui fait acte de corruption : la gratification, le cadeau, le repas, les vacances ou les travaux gratuits.

Il passe d’un pied à l’autre, s’appuie et se redresse. Ses doigts épais tapotent fréquemment la barre, témoignant de son impatience. Céline Ballerini dissèque ce qui fait acte de corruption : la gratification, le cadeau, le repas, les vacances ou les travaux gratuits. “Le montant seul ne suffit à apprécier, il faut également regarder la fréquence et le moment“, explique la magistrate. En l’occurrence, Renaud Chervet renseignait ses corrupteurs en amont des réunions de la commission des marchés, permettant aux entrepreneurs, membres du “petit cercle” de bénéficier de plusieurs années d’activités pour leurs entreprises.

Renaud Chervet est condamné à cinq ans de prison pour corruption, association de malfaiteurs, blanchiment et recel d’abus de biens sociaux. Il devra payer 350 000 euros d’amende. La justice a évalué à 400 000 euros les montants perçus sous différentes formes même si le montant réel de cette corruption reste difficile à évaluer. Sa maison et un studio dont le procureur avait demandé la confiscation ne seront pas saisis.

De la même façon, Jérôme Disdier, le complice principal, écope de trois ans de prison, contre 5 ans requis. À ces infractions s’ajoute l’association de malfaiteurs : “L’infraction est caractérisée, développe la juge. Vous usez d’un langage codé, de surnoms pour les entrepreneurs du cercle. Aller au magasin, c’est aller à la banque. Les kilomètres sont des euros. C’est vous encore qui organisez les réunions. À tout moment vous avez conscience que ce qui se déroule n’est pas légal“.

Entrepreneurs corrupteurs

Tous les autres prévenus seront relaxés de cette infraction, mais condamnés pour corruption active. Chefs d’entreprise dans le bâtiment, ils écopent de peines de prison, soit avec sursis, soit sous bracelet électronique. La peine la plus lourde est d’un an de prison ferme, pour Saïd M., assortie d’une amende de 100 000 euros. Comme Chervet et Disdier, il est reconnu coupable d’association de malfaiteurs. Le chef d’entreprise avait filmé la remise de liasses de billet à Renaud Chervet.

Vous avez abusé de votre qualité de fonctionnaire pour mettre en place une politique clientéliste en faussant le jeu démocratique d’égalité d’accès aux marchés publics.

Céline Ballerini

Mais c’est sur le cas de Renaud Chervet que la juge est la plus diserte. Il est au centre de tout. Et même s’il n’est pas de son ressort de poser un regard moral sur la corruption en dénonçant sa dangereuse gangrène, à l’instar du procureur Mathieu Vernaudon dans ses réquisitions, “les faits sont très graves, assène-t-elle quand même. Vous avez abusé de votre qualité de fonctionnaire pour mettre en place une politique clientéliste en faussant le jeu démocratique d’égalité d’accès aux marchés publics“.

Elle insiste encore en pointant le conseil départemental lui-même, déjà théâtre de la tentaculaire affaire Guérini dont elle a présidé le premier procès. “Cela affecte une nouvelle fois une institution dans un moment où les citoyens ont besoin de voir qu’elle sert un intérêt commun et non pas des intérêts particuliers“, énonce-t-elle avant de donner le quantum de la peine. Renaud Chervet a l’interdiction définitive d’exercer une fonction publique, assortie d’une privation de trois ans de ses droits civiques. L’ensemble des prévenus conservent la possibilité de faire appel de leur condamnation.

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