[Cuisine à croquer] Le Schlutzer de Gerlind
Pour Marsactu, Malika Moine va à la rencontre des gens dans leur cuisine et en fait des histoires de goût tout en couleurs. Ce samedi, elle a rendez-vous avec Gerlind. Originaire du sud Tyrol, elle cuisine pour elle le "plat chéri de son enfance" : le schlutzer.
Gerlind prépare les schlutzers, plat typique de son enfance dans le sud Tyrol. (Illustration : Malika Moine)
Quand je me rends chez Gerlind, une amie de Pascal Messaoudi, mon collègue chroniqueur, je ne connais d’elle que sa voix chantante. Elle a accepté de livrer une recette de son enfance dans le Tyrol du Sud et m’accueille chaleureusement. La cuisine semble flotter dans les airs et depuis la terrasse, on aperçoit un bout du clocher de l’église de Notre-Dame- du-Mont.
D’emblée, elle raconte : “Je viens du nord de l’Italie, une région montagneuse, fermée, catho. Ma grand-mère jurait par l’empereur et par Dieu. Là-haut, la vie peut être très dure. Ce qu’on y mange ressemble à la cuisine alsacienne. N’y poussent que le chou, les patates et le seigle. Tu te souviens quand Heidi arrive à Francfort et qu’elle découvre le pain blanc ? Dans ma vallée, c’est pareil.”
La pâte, à faire une demi-heure avant– 300 g de farine de seigle
– 200 g de farine de blé
– 2 œufs
– 4 c-à-s d’huile
– 100 ml d’eau tiède
– sel
La farce– 300 g d’épinards cuits et égouttés
– 50 g d’oignons
– 2 gousses d’ail
– 200 g de ricotta
– 1 pincée de noix de muscade
– poivre et sel
La sauce– parmesan
– beurre
– un bouquet de ciboulette
Gerlind a déjà préparé la pâte. Elle a battu les œufs, l’huile, l’eau et versé la préparation sur les farines mélangées avant de pétrir la pâte. “Si elle colle, il faut rajouter de la farine“. Schlutzer vient de l’allemand “glisser”, car il y a de l’huile dans la pâte.
Elle dispose les ingrédients sur la table et raconte “Ma mère était une cuisinière passionnée qui m’a transmis beaucoup sans s’en apercevoir. J’étais à la cuisine, je regardais et le samedi, quand elle avait le temps de faire des plats traditionnels, je l’aidais. Elle avait une planche de deux mètres de long et de 30 centimètres de large, concave. Elle étalait la pâte, un de mes frères faisait des ronds à l’emporte-pièce, ma sœur disposait la farce et moi, la dernière, je rangeais les schlutzers bien comme il faut sur la planche.”
Elle épluche et coupe finement l’ail et l’échalote.
“En 1918, à la dislocation de l’empire austro-hongrois, le Tyrol du sud est devenu italien et Mussolini, arrivé au pouvoir en 1922, a ordonné une répression terrible pour empêcher les gens de parler allemand et leur faire changer de noms. L’Empire favorisait la communication entre les peuples qui le composaient. On retrouve beaucoup de traditions culinaires communes comme le goulash qui vient de Hongrie.”
La ricotta, c’est le fromage du pauvre en Italie. Ma mère la fabriquait en ajoutant du vinaigre au lait que j’allais chercher chaque soir à la ferme, quand il commençait à tourner.
Gerlind hache au couteau les épinards cuits et égouttés, les mélange à l’échalote et l’ail, ajoute du sel, quelques tours de moulin de poivre et de noix de muscade, et émiette la ricotta venue du Tyrol. “C’est le fromage du pauvre en Italie. Ma mère la fabriquait en ajoutant du vinaigre au lait que j’allais chercher chaque soir à la ferme, quand il commençait à tourner. On avait tout à proximité sauf l’huile de tournesol. La ciboulette, commune à tous les plats, poussait l’été au jardin, et on la congelait pour l’hiver. Tout ce qui sortait du congélateur en était imprégnée -même la glace !”
Elle goûte la farce, ajoute du sel et du poivre, se souvient : “Enfant, j’allais en cachette manger la farce tant j’aimais ça !”
Maintenant, la confection des raviolis :
Gerlind installe une rutilante machine à pâtes sur une planche venue du Tyrol. Elle coupe et pétrit un bout de pâte farinée pour qu’elle ne colle pas, la glisse dans la fente de la machine. La pâte s’allonge un peu, elle la farine à nouveau et la repasse dans la machine. Elle renouvelle l’opération, en réglant la machine plus finement à chaque fois. La pâte s’allonge, c’est magique !
À l’aide, d’un emporte-pièce rond de sept centimètres de diamètre, elle découpe la pâte. Avec une petite cuillère, elle met un peu de farce au centre de chaque rond qu’elle plie en demi-lune en appuyant bien sur les bords pour que la farce ne s’échappe pas. Enfin, elle range les raviolis sur un linge posé sur un vieux cadre qui remplace la longue planche de sa maman.
Et rebelote. Je mets la main à la pâte. C’est un plat à confectionner avec du temps et des petites mains pour aider et bavarder…
“Mes parents étaient tous les deux instits. Ma grand-mère maternelle était piètre cuisinière et ma mère s’est dit : « Si je veux me marier, il faut que je sache cuisiner ! ». Elle a été travailler gratuitement dans une cantine pour apprendre… Moi, ce n’est pas pour le mari que je cuisine, c’est pour les amis !”
Le speck du Tyrol pour l’apéro
Les schlutzers s’alignent. Mon hôte raconte : “J’ai quitté ma vallée à 18 ans pour faire des études de pharmacie à Bologne. J’étais en coloc avec des étudiants de toute l’Italie, j’ai appris à cuisiner les spécialités d’ailleurs ! J’ai exercé quelques temps ce métier mais je m’emmerdais et j’ai fait en Angleterre une thèse que j’ai terminée à Hambourg. J’en ai eu marre de la grisaille et de la culture protestante austère. Il y a 23 ans, j’ai trouvé un post-doctorat à Marseille, et eu un poste d’ingénieur de recherche en biologie à Luminy. J’étudie la vie dans l’infiniment petit.”
Miraculeusement, on finit la pâte avec la farce, et on ouvre une bouteille de vin blanc. Gerlind cisèle finement la ciboulette et râpe le parmesan. Elle apporte pour l’apéro du speck du Tyrol et du “pain secoué”, délicieux pain sec au fenouil, fenugrec et carvi, du temps où les gens faisaient leur pain une fois par mois.
Les amis arrivent, ainsi que le compagnon caviste de Gerlind qui pose avec bonne humeur de bonnes bouteilles sur la table… J’en oublie presque d’assister à la dernière étape des schlutzers : la préparation de la sauce et la cuisson des raviolis. Gerlind met le beurre à mousser et brunir sur le feu et plonge une partie des schlutzers dans de l’eau bouillante pendant cinq minutes. Elle les égoutte et les présente à table, nappés du beurre noisette, de ciboulette et de parmesan. C’est délicieux ! Gerlind et Vincent trouvent que la pâte est trop fine -certains se sont ouverts pendant la cuisson- mais, pour les néophytes, c’est parfait !
Commentaires
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ca m’a ouvert l’appétit, et pourtant il est encore tôt…
ça me rappelle furieusement les raviolis au bruccio et blettes que faisaient ma grand mère dans mon village en corse !
allez bon appétit !
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J’adore vos dessins, j’ai votre calendrier à la maison, avec des vues de Marseille, et plein de petits personnages. Super coool!
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