LES DEUX FACES DE LA MER À MARSEILLE
À Marseille, la mer est un peu comme ce bon vieux Janus : elle a deux faces. D’un côté, elle offre à la ville un espace magnifique, avec une idée de l’infini, mais, de l’autre, elle est une source de dangers.
À Marseille, la mer est un peu comme ce bon vieux Janus : elle a deux faces. D’un côté, elle offre à la ville un espace magnifique, avec une idée de l’infini, mais, de l’autre, elle est une source de dangers.
La beauté de l’espace et la pollution
À Marseille, la ville s’est construite et aménagée autour de l’esthétique de l’infini proposée par la mer. C’est cette esthétique particulière de la mer qui caractérise l’urbanité marseillaise, depuis qu’elle a été fondée par des grecs de Phocée. Comme, de plus, le Lacydon fait entrer la mer dans la ville, cette esthétique de l’infini s’offre aux regards des habitants – enfin, sans doute vaudrait-il mieux écrire : aux regards de certains habitants, car, comme on le sait, les inégalités, à Marseille, sont telles que tous les habitants de la ville ne disposent pas du même accès à la mer et à la beauté de l’infini. En effet, si, dans es quartiers Sud, c’est bien la dimension esthétique de la mer que nous avons sous les yeux, il en va tout autrement dans les quartiers du Nord, qui, eux, sont confrontés à l’autre visage de la mer, celui de la pollution atmosphérique, climatique et sonore imposée par les bateaux qui viennent y faire escale[1]. Les deux paysages de la mer sont, ainsi, là, devant notre regard : le paysage des riches, fondé sur un travail constant d’aménagement de la ville destiné à profiter de la mer, et celui des pauvres, caractérisé par une pollution constante, marque de négligence de la part des acteurs économiques de la ville. Comme toute esthétique, le paysage de la mer a une face belle, qui suscite le plaisir et l’admiration, et une face laide, qui suscite le rejet et une sorte de mépris. La ville doit retrouver le sens du paysage, elle doit imaginer un paysage qui ne soit pas, ainsi, tout entier orienté vers un seul paysage, celui de la mer, elle doit concevoir des aménagements qui construisent un paysage urbain fondé sur des constructions, sur des aménagements, sur des quartiers, comme toutes les autres villes, sans se laisser endormir dans le regard qu’elle porte sur la mer et qui, au fil du temps, a fini par lui fermer les yeux.
Le Janus méditerranéen de l’économie
C’est que les deux faces du Janus méditerranéen de Marseille sont bien la richesse et la pauvreté. Dans l’histoire, la mer a toujours accompagné la ville. D’abord, ce n’est pas un hasard si le mythe fondateur de Marseille se déroule autour de la mer. Celles et ceux qui ont fondé Marseille venaient de la mer. Comme tous les mythes, cette légende a sa part de vérité car elle est exprime l’identité de la ville : c’est dans cette histoire que se retrouvent et se reconnaissent Massilia puis Marseille. C’est l’activité commerciale maritime qui a construit la grandeur et la puissance économique de Marseille, au dix-neuvième siècle comme au dix-septième. Mais ce n’est pas si simple. En effet, la mer apporte aussi, aujourd’hui, la pollution des immenses navires de croisière. Ceux-ci n’apportent aucune activité économique – sinon celle du tourisme, une activité qui se fond seulement sur la consommation, au lieu de se fonder sur la production, comme toute activité économique réelle. En revanche, ils apportent à la ville la pollution, comme, en 1720, le Grand Saint-Antoine lui avait apporté la peste. L’économie marseillaise repose sur la mer comme sur un atout considérable, mais elle est aussi constamment mise en danger par la mer qui, en lui apportant aussi la pollution, lui amène aussi le risque de la destruction et la menace de la dégradation de l’espace. De la même façon que la mer a enfermé la ville dans un paysage unique, elle a trop longtemps réduit l’économie urbaine aux activités tournées vers la mer. Peut-être est-ce là l’une des raisons du déclin de la ville et de la montée de la pauvreté, liée à l’absence d’activités, et, donc, d’emplois, dans des quartiers entiers de la ville.
L’ouverture et la fermeture
C’est l’autre histoire que nous raconte le Janus de la mer à Marseille. Sur une face, la mer signifie l’ouverture sur le large, sur la relation, sur l’autre, sur l’échange. Mais, sur l’autre, elle désigne une ville qui, au contraire, s’est enfermée sur la mer : comme si la mer avait été son unique source de richesse et de puissance, peut-être Marseille a-t-elle trop négligé d’autres dimensions de l’économie politique et de la vie urbaine. Et, quand l’économie du transport maritime a commencé à décroître ou à se déplacer vers d’autres pays que la France, Marseille a commencé à connaître une sorte de déclin dont elle a du mal à se libérer. Comme si l’économie de la ville s’était trouvée piégée, enfermée, dans cette relation à la mer. L’ouverture et la fermeture sont aussi les deux faces de la politique marseillaise. La fermeture, c’est l’enfermement de la politique marseillaise sur des identités – voire sur des absences d’identités – en raison d’une hégémonie politique de la mer. La politique marseillaise a été piégée par cette sorte d’exclusivité du regard et de l’engagement. À Marseille, la politique pouvait s’endormir, car elle se disait qu’il serait toujours temps de s’éveiller après une bonne sieste – mais cette sieste dure depuis plusieurs siècles, ce qui fait tout de même beaucoup. Et puis la ville a connu, plus que d’autres villes de notre pays, des fermetures comme celle qui est promise par le Front national, le Rassemblent national et des acteurs politiques de la droite autoritaire. Mais il y a aussi, heureusement, l’ouverture : la mer permet à Marseille d’imaginer une politique de la culture et une vie culturelle active et renouvelée, sans cesse en progrès, car il s’agit d’une culture du métissage et de l’ouverture. Et puis l’ouverture de la politique et de la culture, à Marseille, c’est aussi l’attente et l’ouverture à l’autre. Les identités n’y sont pas fermées sur des pratiques sociales rigides et sans regard sur l’extérieur et sur les cultures qu’y apporte la mer. Les flots de la mer sont aussi les flots des cultures et de la création, les flots d’une politique toujours en mouvement. Grâce à la mer, à Marseille, la politique est une politique ouverte sur l’accueil de l’étranger.
[1] Voir l’article de C. Bathélémy dans Marsactu du 4 octobre 2022.
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