Menacés d’expulsion, les mineurs isolés du 113 La Canebière s’installent dans la rue

Reportage
le 21 Sep 2022
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Le squat installé au 113 La Canebière est menacé d'expulsion. Les mineurs isolés occupant l'immeuble se retrouveront bientôt de nouveau à la rue si aucune solution n'est avancée. Ils ont pris les devants et ont installé un campement à deux pas du bâtiment, pour informer et alerter sur leur situation.

Le kiosque du haut de la Canebière est occupé depuis dimanche pour alerter sur l
Le kiosque du haut de la Canebière est occupé depuis dimanche pour alerter sur l'expulsion du squat. (Photo : PB)

Le kiosque du haut de la Canebière est occupé depuis dimanche pour alerter sur l'expulsion du squat. (Photo : PB)

[Actualisation à 11h : Les squats du 113 et 115 La Canebière ont été évacués ce mercredi matin. Le kiosque n’a lui pas été expulsé, les jeunes installés sur le campement sont restés sur place.]

Depuis ce dimanche 18 septembre, les occupants du 113 La Canebière ont installé leurs tentes dans le kiosque voisin. Des tables entourent le campement : certaines servent à disposer la nourriture, préparée avec l’aide d’habitants du quartier, d’autres à mettre des tracts à disposition des curieux. De nombreux passants s’arrêtent pour s’informer sur l’action en cours, interpellés par les banderoles que le vent agite délicatement. Les jeunes occupants répondent volontiers aux questions, et en profitent pour expliquer leur situation incertaine.

Ce campement est la solution avancée par le collectif 113 Canebière pour alerter sur la menace d’expulsion qui plane sur ces jeunes. Ouvert depuis février 2022, le squat héberge une vingtaine de mineurs en recours, autrement dit dont la minorité n’a pas été reconnue par l’association chargée de leur suivi, l’Addap 13. Tous sont donc en attente du jugement, dans l’espoir que leur statut de mineur soit confirmé pour pouvoir être accompagnés en tant que tel par les services du conseil départemental. “On veut se faire entendre” explique Mohamed.

Des parcours douloureux

On ne te donne pas le temps de te reposer quand tu arrives, alors que certains voyages sont difficiles.

Mohamed

Ce dernier vit au 113 depuis “quatre ou cinq mois”. Âgé de 15 ans et parti de Guinée, explique-t-il, il a voyagé seul en passant notamment par l’Espagne et Toulouse avant de rejoindre Marseille. “En Guinée, il n’y a pas la guerre, mais c’est compliqué de vivre en Afrique. Je pensais qu’en France, tout allait être bien. Mais on ne te donne pas le temps de te reposer quand tu arrives, alors que certains voyages sont difficiles.” Après avoir reçu un premier un avis négatif concernant sa minorité, le jeune homme espère que son recours sera concluant, en présentant son brevet, qu’il a obtenu en juin 2022, ainsi que son nouveau passeport qu’il attend patiemment. Scolarisé au lycée professionnel Frédéric-Mistral, il n’ira pas en cours cette semaine avec accord de son établissement, comme de nombreux autres occupants du 113.

Diadié est aussi dans cette situation. Ce jeune Ivoirien a fait en septembre 2022 sa rentrée en CAP cuisine et restauration. Après une année à suivre des cours pour améliorer son niveau de français, il a travaillé cet été pendant deux mois dans un restaurant marseillais pour préparer sa rentrée. Parti de Côte d’Ivoire il y a deux ans, il a “pris cette décision seul, confie-t-il. Mes parents n’étaient pas d’accord pour que je parte, donc je ne leur ai pas dit. Je les ai appelés en arrivant en Mauritanie.” En raison de la pandémie, il a dû passer deux mois dans un hôtel en Espagne, avant d’être prié de partir. Il est ensuite arrivé en France, il y a de cela un peu plus d’an. Il a bénéficié d’un logement à l’hôtel financé pendant trois mois par le département. Il a ensuite trouvé le 113, où il vit depuis huit mois, c’est-à-dire depuis l’ouverture du lieu. Le squat a été pour Diadé un soulagement, sans lequel il se serait retrouvé à la rue.

Le 113 mais aussi son voisin le 115 sont destinés à devenir des bureaux partagés. (Photo : BP)

Une incertitude ambiante

Le collectif accompagne les jeunes depuis leur arrivée, dans leurs démarches administratives comme dans leur parcours scolaire ou de santé. Jeanne Dufranc, membre du collectif 113 Canebière, vit dans le bâtiment depuis son ouverture, aux côtés des mineurs en recours. Lorsqu’ils en ont récupéré les clefs début 2022, “le bâtiment était déjà en procédure d’expulsion, mais au nom des anciens squatteurs.” Propriété de l’établissement public foncier (EPF), il est “destiné à un projet de bureaux partagés porté par la métropole”, poursuit la militante.

Les jeunes ont décidé de ne pas attendre la date d’expulsion, mais de s’installer dans un campement pour se montrer et visibiliser leur situation, car ils ont peur et sont dans l’angoisse.

Jeanne Dufranc, Collectif 113 Canebière

Il n’y a, à ce stade, pas d’avis d’expulsion concret. Mais le collectif attend celui-ci pour “la semaine à venir, parce que dernièrement des policiers et les services de l’Addap sont venus pour prendre les noms des jeunes et éventuellement proposer des solutions”. Dans l’incertitude ambiante, les jeunes occupants ont décidé en assemblée générale “de ne pas attendre la date d’expulsion, mais de s’installer dans un campement pour se montrer et visibiliser leur situation, car ils ont peur et sont dans l’angoisse. Ce kiosque appartient à la mairie qui nous soutient depuis huit mois”, explicite Jeanne Dufranc.

Des représentants de la municipalité se sont rendus sur place le premier jour de campement, mais aussi “deux fois depuis ouverture du squat”, d’après le collectif. La Ville de Marseille précise tout de même à Marsactu que “la prise en charge de ces jeunes relève du conseil départemental via sa compétence de protection de l’enfance” et non de la sienne. La mairie, et plus particulièrement Audrey Garino, adjointe chargée des affaires sociales, disent se tenir prêtes pour une discussion avec les acteurs concernés.

De son côté, le département des Bouches-du-Rhône n’envisage pas d’ouvrir le dialogue avec ces jeunes dont il ne reconnaît pas la minorité, malgré les recours en cours. Contacté par Marsactu, il dit “remplir ses obligations de mises à l’abri” et précise que ses compétences ne concernent pas les personnes majeures. Néanmoins, la collectivité ajoute que “comme dans tout mouvement de ce type, on ne peut pas totalement exclure qu’une ou deux personnes se déclarant mineures non connues des services soient présentes”.

Actuellement, le nombre d’avis négatifs à l’issue des évaluations est de 50 %, contre 40 % en 2020/2021, une hausse des refus est donc à noter. Pourtant, les critères appliqués seraient toujours ceux du référentiel national et n’auraient pas été modifiés. “Pour les jeunes évalués majeurs, le service mineurs non accompagnés sollicite systématiquement la préfecture pour un hébergement via le 115″, conclut le département.

L’inquiétude est similaire chez les voisins du 113 La Canebière, au 115. Ce bâtiment, vendu par l’université d’Aix-Marseille, est également destiné au projet de bureaux partagés. Formé en collectif de la même façon que ses voisins, le 115 accueille entre 25 et 30 mineurs non accompagnés. Secoué par des problèmes à tous les niveaux, qu’ils soient sanitaires, financiers ou d’organisation, le lieu a plus de mal à envisager une action. Quelques occupants ont cependant rejoint le campement, mais pas la majorité et aucune action commune n’est envisagée pour le moment. “Les jeunes n’ont pas de solution. Le département doit se réveiller, et accompagner ces jeunes jusqu’à la reconnaissance ou non de leur minorité”, dénonce un membre du collectif du 115 La Canebière. Dans le kiosque occupé, un cours de danse était prévu, après une leçon de français lundi soir. Histoire de montrer que quoi qu’il arrive, la vie du collectif continue.

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