Avec le départ de la présidente de l’IHU, le clan Raoult perd un dernier pilier
Le départ de la présidence de l'IHU de Yolande Obadia, compagne de route de Didier Raoult de longue date, souligne la volonté de tourner la page partagée par les tutelles ministérielles. La conseillère d'État Emmanuelle Prada-Bordenave serait pressentie pour la remplacer.
Yolande Obadia, auprès de Louis Schweitzer, le 13 juillet 2022. Photo : B.G.
Lors de l’inauguration de l’Institut hospitalo-universitaire (IHU), en mars 2018, Yolande Obadia est cette dame, souriante, qui accepte sans broncher de céder sa place à Didier Raoult au moment de prononcer le discours d’introduction. Elle est pourtant la présidente d’Infection Méditerranée qui connaît, à ce moment-là, son point d’acmé.
Sans ministre, mais avec tout le gratin local, Didier Raoult fait visiter, au pas de charge, son bijou : un bâtiment à nul autre pareil, plus grand investissement dans la recherche depuis l’an pèbre, avec près de 74 millions, majoritairement financés par l’agence nationale de la recherche. Mais, déjà, en 2018, l’IHU sort d’un an de tempête. Yolande Obadia n’imagine pas la hauteur des vagues qu’elle devra affronter deux ans plus tard.
Dans la foulée de l’infectiologue, poussé dehors par les tutelles, elle vient d’annoncer qu’elle quitte la présidence du conseil d’administration qu’elle occupe depuis la création de la fondation. Elle y siègera toujours dans les rangs des personnalités qualifiées.
La nouvelle n’est pas une surprise. Dans la foulée de l’annonce du choix de Pierre-Édouard Fournier pour remplacer Didier Raoult le 13 juillet dernier, Marsactu lui avait posé la question et sa réponse était sans ambiguïté. “Cela fait 12 ans que je travaille d’arrache-pied à la construction et à la promotion de l’IHU, j’aimerais bien ne pas finir mon mandat. Il se termine dans trois, quatre ans, cela fait un peu trop long pour moi, maintenant”, disait-elle alors.
Accélération du temps
“J’ai demandé à Pierre-Edouard Fournier de préparer son plan d’action pour la fin du mois d’octobre afin qu’il soit présenté lors du prochain conseil d’administration. À ce moment-là, je me retirerai. Avec plaisir”, indiquait-elle alors. Le timing qu’elle posait en juillet s’est finalement resserré. Elle n’aura pas eu l’heur de travailler avec le successeur qui vient de prendre ses fonctions en ce début septembre. Une façon plus franche pour l’institut de tourner la page de l’ère Raoult.
Déjà, en 2007, elle assurait la direction de l’infectiopôle sud, alors que Didier Raoult en était le président. Les rôles se sont inversés quand le projet s’est fondu dans le réseau d’IHU. Depuis, elle a été de toutes les étapes du grand œuvre de Didier Raoult. En juillet encore, elle saluait “sa ténacité, sa pugnacité”. Elle en profitait pour envoyer quelques piques “aux partenaires qui n’ont pas été toujours au rendez-vous”, notamment aux membres fondateurs, accusés d’envoyer pour les représenter au conseil d’administration, “des deuxièmes, troisièmes, quatrièmes couteaux qui n’ouvraient pas la bouche”.
Partenaires particuliers
La flèche est à courte portée. Elle visait sans les nommer l’AP-HM et ses directeurs généraux successifs. De ce côté-là, justement, on salue, avec une bonne mesure de soulagement, l’annonce du départ de l’ancienne présidente de l’observatoire régional de la santé. “C’est une page qui se tourne et c’est bien comme ça, constate Jean-Luc Jouve, le président de la commission médicale d’établissement de l’AP-HM. C’est un geste élégant de sa part à l’égard de Pierre-Édouard Fournier, cela va lui permettre d’avoir le champ libre. L’arrivée d’un nouveau président ou une nouvelle présidente va aussi donner une nouvelle image de l’IHU“.
Ce départ dès la rentrée enraye la petite musique que les supporteurs de Didier Raoult aiment à faire entendre. Celle d’un ex-directeur toujours dans les murs et aux manettes sans le dire. Ainsi Éric Chabrière, l’un des membres de l’IHU les plus actifs sur les réseaux, a salué le retour de vacances “profitables” de son mentor comme s’il venait de réinvestir le bureau voisin.
Les vacances de Didier Raoult ont été profitables.
Il était particulièrement jovial et serein.
Et amusé par l'agitation qu'il suscite.— Pr Chabriere (@Pr_Chabriere_E) September 5, 2022
Une manière de prolonger le tweet glaçant “Échec et mat” que l’intéressé avait lâché au moment de l’officialisation du choix de Pierre-Édouard Fournier. Effectivement, selon plusieurs témoins, Didier Raoult est revenu à l’IHU où il a simplement changé de bureau. Il s’occuperait à la rédaction d’un contrat avec un fournisseur de l’institut. Le but des tutelles est de circonscrire son influence à la portion congrue. En cela, le départ de Yolande Obadia a une portée symbolique.
Une réponse à Raoult
“D’une certaine façon, c’est un peu une réponse à “l’échec et mat” ambigu de Didier Raoult”, confirme Jean-Luc Jouve. “La nomination de Pierre-Édouard Fournier ne se place pas dans sa continuité, c’est tout l’organigramme de l’IHU qui change. Cela lève toute ambiguïté pour ceux qui disaient, Fournier, c’est un Raoult bis“.
Discrète, effacée par effet de contraste, Yolande Obadia est malgré cela une fidèle parmi les fidèles. Didier Raoult l’avait gardée à ses côtés, en 2015, alors même qu’un rapport demandé par les ministères de la Santé et de la Recherche lui dressait un tailleur sur-mesure :
“On peut s’interroger sur l’autorité et l’indépendance de la présidente du conseil d’administration vis-à-vis du directeur (…). Le cumul entre les fonctions de présidente du conseil d’administration et les fonctions de responsable d’une unité de recherche qui est partie intégrante de l’IHU, est également discutable.”
Dans leurs recommandations, les auditeurs dressaient déjà le portrait robot de son ou sa future remplaçante. Il devait être “extérieur à l’IHU”, avec un profil d’“ancien ministre, dirigeant d’entreprise ou d’un grand établissement public”. Il pouvait être encore “membre d’un corps d’inspection, du Conseil d’État ou de la Cour des comptes”. Cela tombe bien, les tutelles ministérielles viennent de faire entrer au conseil d’administration des “personnalités qualifiées” dont le profil correspond parfaitement à ce CV.
Emmanuelle Prada-Bordenave tient la corde
Parmi elles, Emmanuelle Prada-Bordenave, membre du conseil d’État, passée par la direction de l’agence de biomédecine et la haute autorité de santé. Autre nouvel entrant, l’ancien patron de Renault, Louis Schweitzer, peut faire figure de garant alors qu’il a piloté le jury de sélection du successeur de Didier Raoult. “Il ne sera pas loin de la présidence, constate Jean-Luc Jouve. Un période de tuilage s’ouvre durant laquelle ce serait bien qu’il soit présent”.
Les deux tiennent la corde, notamment pour contrer la candidature de l’ancienne ministre de la Santé, Geneviève Fioraso, réputée proche de l’ancien directeur qui l’a fait entrer en tant que personnalité qualifiée.
Dernier motif de soulagement pour la future équipe de direction, Yolande Obadia est au centre d’une enquête préliminaire, diligentée en 2021, à la suite d’un signalement de l’agence anti-corruption, après un contrôle de l’Institut de recherche en développement (IRD) réalisé en 2019. La justice enquêtait sur une possible prise illégale d’intérêts du fait que l’ex-mari de Yolande Obadia, Jean-Paul Moatti, PDG de l’IRD, a pu signer une convention entre son institut et celui présidé par son épouse, dans le dos de ses services et de ses propres administrateurs.
Or, à l’époque, l’IHU était l’organisme extérieur le mieux financé par l’IRD pour un montant global de près d’un million d’euros. Jean-Paul Moatti n’avait pas jugé bon de se déporter lors de la prise de décision, malgré les liens d’intérêts avec son homologue. Cette affaire n’est pas la première de la pile, sur le bureau de Pierre-Édouard Fournier. Elle pourrait en revanche occuper celle qui va rester désormais simple administratrice de l’IHU.
Avec Coralie Bonnefoy
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