Notes de frais, voitures de fonction : le luxueux train de vie d’un satellite de la région
La chambre régionale des comptes passe au crible la gestion de l'Area, la société publique d'aménagement de la région. Elle relève les largesses sans commune mesure de ce satellite d'une collectivité locale.
Le siège de l'agence régionale d'équipement et d'aménagement à Marseille. (Photo : BG)
Depuis sa prise de fonction, le président de la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, Renaud Muselier, a pris l’habitude d’employer des qualificatifs peu amène pour désigner l’Area, la société publique locale qui assure historiquement la construction des lycées et des autres projets immobiliers de la collectivité. Sa détestation est telle qu’il a décidé de mettre fin à son existence à l’été 2023 pour récupérer en interne les fonctions d’aménagement.
L’agence régionale d’équipement et d’aménagement, de son nom complet, a déjà coûté pas mal d’argent à son actionnaire principal. On se souvient notamment du conflit d’intérêts qui avait entaché la désignation du groupement qui devait édifier le futur lycée international. La bourde de l’Area avait entraîné le paiement de 3,7 millions en diverses indemnités.
Bref, l’autorité politique “a tiré les conséquences d’une série de dysfonctionnements coûteux” de sa filiale, considère la chambre régionale des comptes qui vient de rendre public un rapport particulièrement salé à son sujet, surtout du point de vue financier. Les magistrats ont passé au crible les avantages perçus, spécialement par les cadres qui constituent plus de la moitié de la soixantaine d’employés de l’agence.
Les nombreuses notes de frais du directeur général
L’usage dispendieux de l’argent public atteint en effet des niveaux vertigineux quand on monte la voie hiérarchique. Trois cartes bleues circulent dans la société dont une destinée à régler les frais de représentation et de déplacement du directeur général. Durant la période examinée par la chambre, ils ont progressé de 400 %, atteignant même 2000 euros par mois en 2019. Parmi ces dépenses, des frais de transports et des repas au restaurant, parfois avec d’autres salariés de la société. Or, ceux-ci devraient faire l’objet d’un remboursement puisque les salariés sont dotés de tickets restaurants, à neuf euros l’unité.
Et quand le directeur général n’utilise pas sa carte bleue, il présente ses factures pour remboursement. C’est le cas en novembre 2018 pour une robe de magistrat, facturée plus de 800 euros au titre des “frais de relations publiques”. La même année, il se fera rembourser trois passages en librairie pour des montants allant de 94 à 428 euros, à chaque fois pour de la “documentation juridique”.
La valse des directeurs et des frais de rupture
Au gré des alternances politiques, l’Area a connu une véritable valse des chefs avec de nombreux départs, arrivées et autres changements de postes. Cette danse incessante a un coût : entre 2014 et 2019, la société publique a dépensé 900 000 euros en frais de licenciements, ruptures conventionnelles ou transactionnelles. Elle a même versé des indemnités à un cadre après que celui-ci a été débouté en première instance devant les prud’hommes. Dans sa réponse, la direction justifie ce paiement de 150 000 par le risque qu’il finisse par gagner en appel.
Cette valse des têtes à la direction générale a aussi des conséquences en termes de rémunérations. La chambre cite le cas de monsieur V., entré comme directeur financier en 2014 avec un salaire à 5 000 euros brut, qui passe à 5 500 euros, un an plus tard. Il prend la direction générale par interim sans augmentation salariale. Mais, au moment où un nouveau directeur général prend ses fonctions, monsieur V. voit son salaire augmenté à 6 770 euros, une rémunération justifiée par son nouveau titre de directeur juridique et financier “pour des missions quasiment identiques”.
Directeur général par intérim, un cadre a lui-même décidé de s’augmenter de 1270 euros.
La chambre observe toutefois que l’organigramme de la société présentait déjà un directeur juridique à cette époque. “Cette augmentation peut par conséquent apparaître davantage comme le moyen de rémunérer indirectement et a posteriori l’exercice de ses fonctions de directeur général intérimaire”, considère-t-elle. M. V a contesté auprès de la chambre le caractère gracieux de la culbute. Il met en avant la mise en place d’une nouvelle grille de salaires pour justifier cette hausse. Ce à quoi la chambre rétorque qu’il a lui-même décidé de cette nouvelle grille et donc de sa propre augmentation.
Confusion des rôles
Il n’est pas le seul à être l’objet de sa propre générosité. Son successeur, décédé en 2021 des suites du Covid, a lui-même confondu ses casquettes de directeur général et de directeur opérationnel sous la responsabilité du premier. Les pouvoirs du directeur général ayant été, entre temps, élargi, il s’est ainsi retrouvé à négocier avec lui-même des augmentations de salaires ou valider ses propres frais de déplacements. Dans sa réponse, l’actuel directeur de l’Area soutient que l’homme à la double casquette a eu de fréquentes réunions avec son président, notamment sur la conduite de l’entreprise et les questions financières. Pas sûr que ce dernier ait scruté les augmentations de salaire de son DG.
Mais cette gestion ne se limite pas cette confusion des rôles. Un précédent directeur technique, monsieur M., a été recruté via un groupement d’employeurs, la SCET, dépendant de la Caisse des dépôts. Durant un an et demi, en 2014 et 2015, il a été mis à disposition et l’Area payait la Scet. Or, la dernière année de son contrat, en 2016, il ne travaille que trois mois. Cela n’empêche pas l’Area de verser 194 780 euros cette année-là. En tout, les deux années en poste de ce monsieur auront coûté à la société près de 658 000 euros, soit pas loin de 30 000 euros par mois.
Primes d’intéressement et voitures de fonction
Pour ce qui concerne l’intégralité des salariés, les largesses sont moins spectaculaires, mais le quotidien est plus que confortable. L’agence adhère en effet à la convention collective Syntec, des bureaux d’études techniques, mais n’en tient peu compte puisque les rémunérations brutes mensuelles dépassent de 30 à 67 % les minima prévus par cette convention. Même élan de générosité en ce qui concerne la prime d’intéressement, une disposition facultative et plutôt surprenante pour une société dépendant à 100 % d’une collectivité locale. Elle représente 2000 à 3300 euros net par salarié, soit une charge annuelle variant de 150 à 250 000 euros pour la société.
Mais les avantages ne s’arrêtent pas là : de nombreux salariés bénéficient d’une voiture de fonction, remisée au domicile. La région est grande et il faut bien se déplacer pour suivre les chantiers de Briançon à Arles. Bien entendu, les déplacements personnels ne sont pas pris en charge par la société et doivent faire l’objet d’un remboursement.
Les trajets et les pleins effectués la veille des vacances ne sont pas remboursés par les salariés.
Problème : l’Area n’impose pas de remplir un tableau de bord où les 37 détenteurs de véhicules reporteraient leur déplacement. Résultat, l’employeur n’est pas très regardant sur l’usage qui en est fait. La chambre observe que les remboursements par les salariés de frais d’essence ou de péage (5 % des dépenses supportées par l’Area) concernent les trajets réalisés durant les vacances ou les RTT, mais jamais les pleins ou les trajets effectués la veille ou au retour des vacances ou des week-ends. Certains conducteurs sont encore mieux traités. Pour l’un d’eux, l’Area ne demande pas le remboursement de déplacements réalisés pendant les vacances de fin d’année en 2018 et, en 2019, pour des trajets hors de la région.
Pour ceux qui n’ont pas droit à la voiture de fonction, la société octroie un pass intégral pour prendre les transports en commun (plus de 19 000 euros par an). Cerise sur le gâteau, tous les salariés ont droit à trois boissons chaudes gratuites au distributeur chaque jour (plus de 16 000 euros par an). Et comme la générosité n’a pas de limite en ce qui concerne l’argent public, le président de l’Area finance également le Noël des enfants, des salariés, offre une prime de rentrée, un pass culture à 150 euros et prend en charge la moitié des téléphones portables. Des habitudes qui disparaîtront avec l’Area, courant 2023.
Commentaires
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Article inutilement à charge, pure paraphrase des aspects croustillants d’un rapport, qui ne creuse pas, n’interroge personne, n’enquête pas…
Du journalisme ?
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Je suis en train de parcourir le rapport, pour l’instant tout ce que je lis dans l’article est exact et la paraphrase n’est pas particulièrement racoleuse. Le rapport lui-même est le résultat d’une longue enquête contradictoire approfondie. Ce serait donc le rapport qui serait à charge ?
Si vous avez des pistes pour en avoir une autre lecture, partagez-les 🙂 (je dis ça sans ironie ni agressivité!)
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Article « inutilement a charge » ? Mais qu’y a-t-il à décharge ?
Bref un article qui informe, donc du journalisme.
Faut pas être vexé à ce point de perdre votre voiture de fonction.
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Article effectivement inutilement a charge. Par exemple, le niveau de rémunération comparé aux minimas syntec (une convention collective peu favorable aux salariés) n’est pas pertinent car les niveaux font référence a des coefficients sans liens véritables avec le marché de l’emploi. D’un autre côté, les éléments qui peuvent effectivement choquer ne sont pas étayés. Et c’est dommage.
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Encore un qui ne digère pas de se voir privé de sa voiture de fonction.
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Même en tenant compte des précisions, justes au demeurant, de @NeoMarseillais et @tj13, il n’en demeure pas moins que trop d’éléments demeurent pertinents. Il saute aux yeux des lecteurs, non spécialistes de la lectures des rapports de la CRC, que des “disfonctionnements” (en fait une certaine gabegie couplée à un laisser-aller généralisé) s’était bien institutionnalisée à l’Area. J’espère que l’on apprendra pas, dans l’avenir, que ces “critiques” appartenaient en fait à d’anciens collaborateurs de l’organisme…
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Le Conseil régional regardait ailleurs ? Une telle gabegie dans sa propre société présidée par un vice-président du conseil régional et dont le conseil d’administration comporte des conseillers régionaux. Aucun dirigeant ni cadre ne pouvait être recruté à l’Aréa sans l’accord du président-conseiller régional ou alors il n’a pas fait son boulot.
Ce satellite de la Région tournait tout seul dans son orbite et cela devait arranger tout le monde.
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La Chambre Régionale a fait son travail le rapport finira au fond d’un tiroir comme les autres .
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Bien dommage.
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Cher Benoît GILLES , une question tout à fait pratique; combien de “satellites” de ce type là tournent autour de la Région ?
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Bonjour,
outre le comité régional du tourisme (dont l’existence est réglementaire), les principaux sont la société du canal de Provence (objet de notre attention l’année dernière pour d’autres raisons https://marsactu.fr/le-nouveau-copinage-de-renaud-muselier/), Région Sud investissement. Les autres, où la région a souvent une part plus minoritaire, sont pour la plupart sur cette compétence clé pour la région de l’investissement dans les entreprises.
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Merci de votre retour.Nous attendrons les commentaires de la CRC au sujet de la gestion de ces satellites,le plus fameux étant quand même la SEM qui est un véritable OVNI dans la gestion de l’argent public.
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Quelles sont les filières à suivre pour obtenir un emploi dans ce genre de structure où, à l’évidence, l’ambiance est fort sympathique et la paye finalement assez correcte ?
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les noms des directeurs devraient nous éclairer , apparemment être au barreau est un plus et ça permet de mieux négocier une transaction pour remplacer un appel …
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@petitvelo
https://www.arearegionsud.com/area-paca/nos-equipes/
(à jour ou pas ?
)
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Si j’ai bonne mémoire l’Area a pris la suite de la SEMADER fondée en 1987 par Gaudin à la suite de son élection au conseil régional en 1986. Cette dernière société a défrayé la chronique il y a quelques années. Mais tout le monde s’en est sorti, alors pourquoi changer une affaire qui marche. ?
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ne s’agit-il pas de voiture de service plutôt ? Le contrat de travail ou l’employeur peut autoriser son salarié à utiliser la voiture de fonction à titre privé. Son usage n’est donc pas proscrit pendant les congés et week-ends. Cela constitue un avantage en nature pour l’employé. À cet effet, l’usage privé de la voiture de fonction peut être prévu dans le contrat de travail. cet avantage en nature est donc déclaré aux impôts
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