Du Nord à l’Est, la Ville de Marseille opère un grand recensement des commerces fermés

Décryptage
le 12 Juil 2022
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Une étude commandée par la mairie témoigne du recul des commerces de quartier à travers la ville. Marsactu a pu consulter les résultats en se concentrant sur deux arrondissements significatifs, le 11e et le 15e. Principal constat : l'inquiétant nombre de rideaux baissés.

 Avenue de Vienne dans le quartier de la Valbarelle, un carrefour aux commerces en difficulté.
Avenue de Vienne dans le quartier de la Valbarelle, un carrefour aux commerces en difficulté.

Avenue de Vienne dans le quartier de la Valbarelle, un carrefour aux commerces en difficulté.

Dans le quartier de la Valbarelle, au croisement du bruyant boulevard Saint-Loup, les quelques passants de l’avenue de Vienne se heurtent quotidiennement aux rideaux de fers baissés. Bientôt octogénaire, Gisèle continue de venir acheter son pain sur l’avenue : “J’habite autour du quartier depuis plus de quarante ans maintenant, explique-t-elle. Avant, il y avait dans le coin une droguerie, une poissonnerie, un fleuriste… c’était très vivant“. Des commerces qui disparaissent un à un et emportent avec eux les souvenirs d’une vie de quartier. “On se contente de ce qu’on a“, poursuit Gisèle en haussant les épaules. “Je ne viens ici que pour acheter mon pain et maintenant, je fais mes courses dans les grandes surfaces, je n’ai pas le choix“.

Une situation qui désole également Sarah, vendeuse en boulangerie. “C’est vraiment mort ici, il n’y a pas beaucoup de clients et beaucoup de commerces sont fermés“, explique-t-elle en pointant du doigt une ancienne brasserie. Concurrence avec les centres commerciaux, avènement du e-commerce, les explications sont multiples, mais l’effet sur les commerces de proximité est facilement mesurable. Café, salon de coiffure ou encore bar-tabac, sur les 13 locaux que compte l’avenue, 5 d’entre eux sont considérés aujourd’hui comme vacants.

Une augmentation de 38 % en l’espace de dix ans dans ce carrefour de la Valbarelle, comme le décrit une étude du cabinet AID, commandée par la Ville de Marseille. Celle-ci englobe quatre arrondissements (1er, 3e, 11e et 15e), dont deux sont situés en périphérie de la ville. Nous nous sommes concentrés sur ces deux derniers, où l’évolution des commerces est moins documentée que dans le centre-ville. “Quand je suis arrivée dans mes fonctions, j’ai été étonnée de voir que notre champ d’action ne se réduisait qu’au centre-ville”, commente d’ailleurs Rebecca Bernardi, adjointe au maire déléguée au commerce.

Les commerces rue de Vienne en 2012 à gauche, en 2022 à droite. Pour voir l’évolution des commerces, faites glisser le curseur.

Pour évaluer la vitalité économique d’un quartier, le principal indicateur, c’est le taux de vacance. C’est dans le 15e arrondissement que l’étude observe une nette augmentation, passant de 20 à près de 30 % en dix ans. Dans les centres-villes, on considère qu’un taux de 15 % est très élevé. Dans certains noyaux villageois du 15e, la moitié des locaux sont aujourd’hui considérés comme vacants. C’est le cas de la rue René d’Anjou, dans le quartier des Aygalades où l’on trouve le taux le plus élevé avec 55 % de locaux fermés. À l’inverse, le 11e arrondissement, dans son ensemble paraît avoir réussi à diminuer son nombre de fermetures avec une moyenne de locaux fermés de 15,4 % contre 17 % en 2012. À titre d’exemple, le quartier de la Pomme est passé de 18 % de locaux fermés à 9 % en 2022.

Des commerces, mais quels commerces ?

Une bonne nouvelle ? Ces chiffres sont à manier avec précaution car si l’on en croit l’étude, réduire son taux de vacance ne signifie pas augmenter le nombre de commerces. En effet, dans ces deux arrondissements, ils ont souvent laissé leur place à des espaces dédiés aux services. Dans le 11e, si le noyau villageois du boulevard de la Valbarelle a vu son taux de vacance légèrement baisser, il n’empêche que sur les 18 locaux commerciaux, seuls deux d’entre eux sont considérés comme des commerces : une alimentation et une rôtisserie. À l’inverse, les services (salon de coiffure, pharmacie ou encore agence de voyage), occupent 8 locaux du boulevard. Le reste se divise entre les activités automobiles et les cafés/restaurants.

Pour Rebecca Bernardi, l’action de la Ville devrait pouvoir permettre un meilleur équilibre commercial au sein des noyaux. “Le danger, c’est d’avoir une répétition de commerces, justifie-t-elle. Il faut trouver la bonne dose entre les commerces et les services.” Un équilibre difficile à mettre en place, l’exemple d’un des noyaux situés dans le quartier de la Pomme l’illustre. L’avenue Emmanuel-Allard compte quarante-cinq locaux commerciaux. Parmi eux, de nombreux services d’hygiène et santé mais également des bars et restaurants. Les commerces, eux, ne représentent que 20 % de l’offre commerciale globale.

L’omniprésence de la voiture pointée comme un des facteurs négatifs principaux.

Face à ces commerces en chute libre ou à ces locaux fermés, l’étude AID pointe un aspect commun qui dessert beaucoup de ces noyaux villageois : la plupart d’entre eux sont situés sur des boulevards ou axes routiers, ce qui n’attire pas forcément les habitants. D’après l’étude, la majorité des noyaux présentés est soumise à “une forte ambiance routière qui vient effacer de plus en plus le sentiment de proximité”. Trottoirs étroits pour certains, expositions aux bruits des voitures pour la plupart. Pour l’étude, un des problèmes retrouvé dans la majorité des noyaux des deux arrondissements demeure le “développement des flux automobiles qui accentuerait la congestion routière et la pression sur le stationnement“.

Comme pour le quartier de la  Valbarelle, de nombreux noyaux villageois se retrouvent dorénavant à quelques mètres des grands axes routiers, de quoi faire fuir les habitants. Gisèle, citée plus haut est obligée d’élever la voix pour se plaindre de la cacophonie des klaxons qui dévalent le boulevard. “On est entourés de voitures, explique-t-elle. Les routes ont été refaites, les voitures sont partout, il faut être vigilant, c’est assez désagréable“. 

Les commerces des noyaux villageois vont-ils finir par disparaître ? L’étude relève néanmoins des points positifs constatés dans les deux arrondissements. D’après elle, une grande partie de ces noyaux villageois est bien desservie par les transports et sont suffisamment visibles des passants. Autre bonne nouvelle, quelques noyaux ont vu leur taux de commercialité augmenter. C’est le cas du quartier de la Barasse qui a vu son taux de vacance diminuer de 50 %. Cette amélioration n’est pas une surprise pour Rebecca Bernardi : “Le 11e arrondissement reste un territoire attractif. On a beaucoup de nouveaux arrivants dans le quartier, avec de nombreux jeunes dont certains sont porteurs de projets“.

Plusieurs dizaines de périmètres “sauvegardés”

Un budget de 3,6 millions d’euros sur cinq ans est prévu.

Remise à la Ville, l’étude propose des périmètres dits “de sauvegarde”. À l’intérieur de ces zones, le droit de préemption permettra à la mairie d’acquérir des biens immobiliers mis en vente. Jusqu’ici, cette politique, initiée dans le centre-ville en 2017 par la précédente majorité, a concerné quelques rez-de-chaussées de la Canebière et du quartier de l’Opéra. Une fois récupéré par la Ville, moyennant quelques dizaines à une centaine de milliers d’euros, le bail commercial est proposé dans le cadre d’un appel à projets. Les premières opérations ont donné lieu à l’installation d’une fromagerie ou d’une sandwicherie par exemple.

Pour cette extension, la Ville a retenu une dizaine de zones dans le 11e arrondissement, qui s’étendent le plus souvent sur quelques dizaines de mètres, parfois un carrefour. Dans le 15e, l’axe principal est formé par l’enfilade de la rue de Lyon, l’avenue Saint-Louis, de la Viste et Saint-Antoine. Pour le 11e, le périmètre comprend différents noyaux autour du boulevard de la Barasse mais aussi du quartier de la Pomme en passant par Saint-Marcel. Dans le 3e, c’est l’avenue Camille-Pelletan et le boulevard National qui servent de guide.  Le périmètre inclut aussi désormais l’ensemble du 1er arrondissement, où le dispositif a démarré.

Périmètre de sauvegarde définitif dans le 11e arrondissement. L’ensemble des cartes est disponible sur le site de la Ville.

Pour revitaliser ces dizaines de périmètres, le conseil municipal a voté en avril un financement de 3,6 millions sur 5 ans. L’élue insiste sur la finesse que nécessite ce dispositif. “La préemption n’est pas une sanction. L’essentiel est de travailler de concert avec les habitants. Chaque noyau villageois connaît des problématiques et attentes différentes.” L’élue ambitionne pourtant d’étendre le dispositif à tous les autres arrondissements. Une chose est sûre : de nombreux rideaux fermés attendent encore d’être recensés.

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Commentaires

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  1. Alfonse Alfonse

    Les commerces de proximité rendent service aux habitants mais contribuent aussi à la vie de quartier. Ils sont essentiels. C’est une très bonne chose que la Ville s’en préoccupe.
    En tant que consommateurs, nous avons aussi une responsabilité. À chaque achat en ligne nous fragilisons ces commerces. C’est vrai que c’est plus facile et souvent moins cher d’acheter en ligne… À chaque fois que je suis tentée, je me dis : “t’imagine une ville sans commerce ?” et je vais dans un magasin.

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  2. Electeur du 8e © Electeur du 8e ©

    Intéressant. Souvent, par pur réflexe et sans trop réfléchir, on nous explique que “la bagnole, c’est le commerce”, et que supprimer trois places de parking ou élargir un trottoir, c’est la mort assurée de celui-ci.

    Ici, on s’aperçoit que l’omniprésence de la bagnole a plutôt l’effet inverse : on fait rarement ses achats de proximité en entrant en voiture dans les magasins et, quand les piétons sont quasiment expulsés de l’espace public, ils désertent. Qui a jamais trouvé agréable de faire du lèche-vitrine au bord d’une quasi-autoroute, sur des trottoirs de 80 cm de large ?

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  3. Andre Andre

    La Valentine, Grand Littoral, les Terrasses du port auxquels on peut ajouter Plan de Campagne, Auchan Aubagne, Carrefour Vitrolles… Des lieux qui attirent aussi le soir avec leurs cinés et leurs restaus, bien adaptés au mode de vie peri-urbain de résidences fermées et de lotissements qu’on a laissés s’étaler en flaque tout autour de Marseille.
    On nous avait raconté que les Terrasses seraient tournées vers les loisirs et le tourisme. Mais on a rarement vu un touriste italien aller acheter un frigo chez Darty…
    Comment voulez vous que les petits commerces quotidiens voire même occasionnels survivent?
    Jusqu’à présent, la municipalité a eu une politique schizophrène. On lance des opérations de soutien au commerce du centre ville et, juste à côté, on laisse construire les Terrasses, on transforme les Docks en Disneyland, avec un parking accessible directement depuis l’autoroute. Cherchez l’erreur.
    Ajouter à cela l’étalement urbain évoqué plus haut et des noyaux villageois qui se pauperisent (St Antoine, la Belle de Mai, St Marcel…) et le tour est joué.
    Une politique foncière est certes louable et pourra sauver les meubles ici ou là, mais elle ne changera rien à une tendance lourde qui dépasse de loin la question des petits commerces et du stationnement à proximité.

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    • Avicenne Avicenne

      Un peu d’espoir peut-être ? Je vis sur le boulevard Chave – Camas, et bien, il ne nous manque rien,sur 3 arrêts de tram nous avons, 2 fromagers, 7 boulangeries – pâtisseries, 2magasins de fruits et légumes. 2 magasins de spécialités corses, 1 poissonnerie, 1 biocoop. 1 Super U, 1 Intermarché, 1 carrefour express, 2 magasins de fleurs, 3 magasins d’optique, 3 pharmacies, x coiffeurs et salons de beauté, 4 cavistes, les marchés de La Plaine et Sébastopol… et des restaurants excellents mais dont je suis incapable d’en donner le nombre.
      Les trottoirs sont larges et le boulevard est couvert de part et d’autre de platanes et de micocouliers, à l’époque des travaux du tram ( 68 ), la mairie avait voulu supprimer tous les platanes sous prétexte de maladie, une association a été créée et nous avons pu les sauver.
      C’est un «  village «  où nous nous connaissons et où il fait bon vivre. Je souhaite que ces futurs espaces y ressemblent.
      Bien à vous.

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  4. LOU GABIAN LOU GABIAN

    ON ferme les grandes surfaces : chiche????

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