Pour la justice, la pollution industrielle n’est pas responsable de la mort de Sylvie Anane
Habitante de Fos-sur-mer, Sylvie Anane est décédée en 2021 des suites de plusieurs cancers et affections cardio-vasculaires. Deux ans auparavant, elle avait déposé une requête contre des industriels de la zone avec 13 autres riverains. Le tribunal judiciaire d’Aix vient de débouter sa famille, qui la représente désormais dans cette procédure.
Une usine à Fos-sur-Mer - (Photo : Emilio Guzman)
L’air qu’ils respirent a-t-il causé la mort prématurée de Sylvie Anane ? Maeva et Mehdi, ses enfants, ainsi que son mari Toumi se posent toujours la question. Vivant à Fos-sur-Mer depuis l’enfance, Sylvie faisait partie des habitants en lutte contre la pollution industrielle, régulièrement interrogés dans les médias. Face aux journalistes, elle a maintes fois balayé la poussière grisâtre qui s’accumulait sur sa terrasse ou fait la litanie des maladies dont elle souffrait : problèmes cardio-vasculaires dès l’âge de 37 ans, pose de stent, obésité, diabète de type 2, cancers de l’ovaire, de la thyroïde, du sein, pontage… Jusqu’à son décès en novembre 2021, à 58 ans.
“Au bout d’un moment, je trouvais que ça faisait beaucoup, alors je me suis demandée s’il y avait des antécédents dans ma famille. Mais j’ai fait des analyses et ils n’ont rien trouvé au niveau génétique”, racontait-elle en 2018. Alors que la plupart de ses voisins avaient aussi de lourds problèmes de santé, il lui semblait de plus en plus évident qu’un lien direct existait entre ce que rejettent les cheminées des usines toutes proches et leurs pathologies.
Pas de “causalité” entre ses pathologies et les produits polluants
C’est justement l’existence de ce lien que le tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence vient de rejeter. La décision rendue hier pour le cas de Sylvie Anane, examiné en même temps que ceux de cinq autres habitants de Fos et Martigues le 7 avril dernier, conclut qu’il y a bien des “troubles du voisinage” particuliers causés par les pollutions émises par l’ensemble de la zone industrielle. Mais le juge conteste que l’on puisse spécifiquement imputer les préjudices subis par la requérante aux trois industriels qu’elle attaque, Arcelor Mittal, Kem One et Esso.
“Force est encore de constater que les demandeurs ne produisent aucun élément médical établissant spécifiquement un lien” entre les polluants rejetés par les trois sites incriminés et les maladies dont souffrait Sylvie Anane, avance-t-il. Et de conclure : “n’est donc pas démontrée l’existence d’un lien de causalité entre ces pathologies et ces produits”.
La situation actuelle en matière de pollution dans la région de Fos-sur-Mer est la conséquence prévisible et donc normale des choix de société effectués depuis plusieurs décennies.
extrait du jugement
Le tribunal estime par ailleurs que “la situation actuelle en matière de pollution dans la région de Fos-sur-Mer est la conséquence prévisible et donc normale des choix de société effectués depuis plusieurs décennies, et qu’elle doit donc être considérée comme ne présentant aucun caractère anormal”. Malgré “l’acceptation collective ancienne” de l’implantation d’une zone industrielle dans le golfe de Fos à partir des années 1960, le magistrat reconnaît les troubles du voisinage liés à la pollution. Mais il estime que leur anormalité n’est pas démontrée par la plaidoirie et les quelque 200 pages de conclusions produites par Julie Andreu, l’avocate des requérants, pour le cas de Sylvie Anane. Et décide en conséquence de débouter ses ayant-droit.
“Pourquoi ne pas enquêter davantage ?”
“Après tout ce que Sylvie a passé, tout ce qu’elle a souffert… c’est vraiment dégueulasse”, s’insurge Daniel Moutet, président de l’ADPLGF (association de défense et protection du littoral du golfe de Fos) où militait Sylvie Anane. “C’est une décision peu compréhensible”, réagit pour sa part Julie Andreu, qui pointe ce qu’elle perçoit comme des contradictions. “Le juge reconnaît qu’il existe des troubles, mais à demi-mot. Il rejette la demande d’expertise subsidiaire que j’avais faite, alors même qu’il affirme qu’il pourrait y avoir anormalité de ces troubles… Pourquoi alors ne pas enquêter davantage ?” Pour l’avocate, les diverses études sur les liens entre les émanations industrielles et la santé des habitants de la zone, dont l’étude Index ou Fos-Epseal, qu’elle cite largement dans ses conclusions, constituent au moins un début de caractérisation, justifiant qu’on pousse plus loin les investigations.
Le 7 avril dernier, juste avant que le cas de Sylvie Anane ne soit examiné, le délibéré était rendu pour la première requérante, Karine Pithon, ancienne habitante de Fos qui ne présente pas de pathologies spécifiques. Celle-ci avait également été déboutée par le tribunal, mais le juge n’invoquait pas exactement les mêmes causes pour rejeter la demande. Il n’envisageait pas à ce moment-là que les troubles de voisinage puissent être considérés comme « anormaux ». “La première décision établissait simplement que le développement industriel français primait sur la santé des habitants de Fos, actant le fait qu’ils sont des sacrifiés”, résume Julie Andreu.
Face au cas à la fois tragique et emblématique de Sylvie Anane, le tribunal judiciaire d’Aix semble cette fois-ci légèrement infléchir sa position. De là à reconnaître que les habitants du golfe de Fos ont le droit de vivre dans un environnement sain comme tous les Français, il y a un pas qu’il ne semble pas prêt de franchir. Certainement parce que, comme souvent sur les questions de pollution industrielle, il est la plupart du temps impossible de démontrer le lien de cause à effet entre tel polluant et telle pathologie individuelle.
“Dans tous les cas, le résultat est le même : la réponse du juge est insuffisante et, si les requérants donnent leur accord, nous allons faire appel”, tranche Julie Andreu. Les cas de sept autres personnes doivent encore être examinés d’ici à la fin 2022. Avec une procédure pénale pour mise en danger de la vie d’autrui toujours en cours d’instruction ainsi qu’une plainte pour carence fautive de l’État en préparation, le combat judiciaire des habitants de l’étang de Berre est loin d’être fini.
Commentaires
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Plus jeune je vivais à Châteauneuf les Martigues charmante petite ville du bord de l’etang de berre et on avait droit aux magnifiques odeur de l’usine Total la mède sortant des torchères juste à coté mais qui permettait néanmoins de remplir le frigo plus tard j’ai travaillée à Port st Louis du rhônes et j’ai pu constater tres régulièrement qu’Arcelor Mittal dégazait beaucoup et ce en regardant simplement le ciel..
Alors Oui les usines du bord de l’etang de berre permettent de faire vivre et faire travailler énormement de gens mais à quel prix
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Les conclusions des juges, dans les deux affaires, sont proprement scandaleuses dans leurs propos.” Des gens sacrifiés au développement industriel français, ou bien c est le fruit de 30 ans de politique donc cest normal” relèvent à la fois de l insulte et du déni.
Qui juge les juges?
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Et tous les jours on nous affirme que la pollution tue des millions de personnes dans le monde !!!!
Les journalistes ont des infos qu’ils devraient transmettre aux juges puisqu’ils affirment qu’il y a un lien entre mortalité et pollution
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