La nappe de la Crau cernée par le changement climatique
La nappe de Crau est essentielle pour l'eau potable de 270 000 habitants de l'Ouest des Bouches-du-Rhône et pour les zones humides. À cause du changement climatique, les tensions sur la ressource s'annoncent de plus en plus fréquentes. Une restriction de 25 % des volumes d'eau d'irrigation a été actée le 20 juin. Un article de notre partenaire L'Arlésienne.
Un lauron non loin de la manade des Chanoines à Raphèle, sorte de puits naturel dans lequel l'eau de la nappe de Crau affleure. (Photo : PID)
“Cette année, il y a eu très peu d’enneigement sur les Alpes. On se pose déjà des questions sur l’eau que l’on va avoir”, pose Marylène Bonfillon, historienne de l’irrigation en Crau. L’eau viendra-t-elle à manquer cet été ? Les précipitations ont été faibles et les températures hautes au cours de ce premier semestre 2022. Alors la question d’actualité anime quelques dizaines de techniciens de l’eau rassemblés pour le colloque de l’Association des hydrogéologues des services publics. L’événement est accueilli cette année en Crau par le Symcrau, le syndicat mixte de gestion de la nappe de la Crau.
Pour inaugurer leurs journées d’échanges en ce jeudi 9 juin, ils visitent la prise d’eau de Lamanon, point de départ des canaux d’irrigation des Alpilles et de la Crau. Sous un mistral à décorner un biòu, vent et flux d’eau se disputent le paysage sonore. Les oreilles se font très attentives pour suivre les explications données sur le modèle particulier de la Crau. “Avant l’irrigation des prairies de foin de Crau, il n’y avait pas grand-chose sur ce territoire et pas d’activités fixes. Les troupeaux et les bergers se déplaçaient en fonction de la disponibilité en herbe et vers les points bas pour trouver de l’eau résurgente”, expose Charlotte Alcazar, directrice du Symcrau à ses homologues de toute la France. “C’est un élevage transhumant qui justement, à la période sèche, est à la montagne”, complète Marylène Bonfillon, qui est aussi adjointe à l’urbanisme et à l’agriculture à Salon.
La vaste plaine entre Arles, Salon et Fos a été formée par les alluvions de la Durance. La rivière qui descend des Alpes était jadis un fleuve. Il y a 12 000 ans, son cours a changé pour rejoindre le Rhône, sur le trajet que l’on connaît aujourd’hui au nord des Alpilles, jusqu’à Avignon. Dépourvue de fleuve, la Crau a revêtu alors son aspect steppique, caractéristique de la réserve naturelle des Coussouls.
Prospérer sur les eaux de la Durance
Puis au cours des siècles, les activités militaires (base aérienne d’Istres et stockages de munitions), industrielles (zone industrialo-portuaire de Fos) et plus récemment la logistique se sont développées sur la Crau, grâce à ces grands espaces plats… mais aussi grâce à l’eau qui y est importée depuis le 16e siècle. De quoi développer aussi une agriculture foisonnante et permettre l’extension urbaine. Aujourd’hui, l’eau potable de 270 000 habitants sur 15 communes, dont seulement 100 000 qui vivent dans la plaine, dépend des eaux souterraines de la nappe de la Crau. Arles, Salon, Istres ou encore Martigues y sont connectés. 70 % des 550 millions de m3 de cette nappe sont renouvelés grâce à l’infiltration dans les sols d’une partie de l’eau de l’irrigation nécessaire à la culture du foin de Crau. Ce qui permet non seulement les prélèvements en eau potable, mais aussi la subsistance des zones humides et la biodiversité qu’elles abritent. Le reste est apporté par les pluies.
Le canal qui irrigue l’Est de la Crau avant de rejoindre l’étang de Berre est mis en eau en 1559. La branche arlésienne de cet ouvrage, d’Eyguières au Rhône via Saint-Martin et Pont-de-Crau, est érigée dans les années 1580. Ces réalisations constituent toujours la colonne vertébrale d’une Crau verte – ou Crau humide – aux airs de bocage. D’autres infrastructures se sont ajoutées et la Crau est aujourd’hui considérée comme un territoire “sécurisé” pour la disponibilité de l’eau.
Rémunérer des agriculteurs pour services rendus à la nature26 agriculteurs sont rémunérés par le Symcrau jusqu’en 2026 en échange de leurs “services environnementaux”. L’initiative est financée par des fonds européens mis à disposition par l’agence de l’eau. “C’est un dispositif de la politique agricole commune qui permet de rémunérer des agriculteurs qui mènent des actions favorables pour l’environnement, comme la plantation de haies qui favorise la biodiversité et permet de retenir de l’eau dans le sol, la rotation des cultures ou la limitation des pesticides qui sont des polluants pour les eaux souterraines”, explique Annick Mièvre de l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse. L’objectif principal est “le maintien de la culture du foin pour permettre la recharge de la nappe de la Crau”, précise Charlotte Alcazar du Symcrau. Le montant global de l’aide européenne est de 2,5 millions d’euros sur 5 ans. Les agriculteurs ont été sélectionnés via un appel à projet. 2800 hectares sont concernés. La subvention moyenne à l’hectare est de 171 euros par an.
Restrictions à venir ?
Le groupe d’hydrogéologues poursuit sa visite par le domaine du Merle à Salon. Cette antenne de l’institut Agro de Montpellier se définit sur son site internet comme “une plateforme pédagogique et expérimentale spécialisée dans l’élevage ovin transhumant, la gestion de l’eau et la production du foin de Crau AOP”. L’eau coule abondamment dans les filioles du domaine agricole. “On a mis du pastis dedans”, plaisante Alexis Verbeke, chargé de mission eaux souterraines au Symcrau. Ici, ce sont les riches limons de la Durance qui troublent l’eau jusqu’à donner la couleur caractéristique de l’anisette. Pour l’instant, comme habituellement de mars à octobre, les canaux de Crau sont pleins et les prairies inondées, sans restrictions. En conséquence, “les niveaux de la nappe sont plutôt normaux. L’irrigation permet de s’affranchir de la météo”, expose Alexis Verbeke.
En ce début d’été à la sécheresse exceptionnelle, la Crau n’est toujours pas concernée par des restrictions générales d’usage de l’eau. Alors que d’autres territoires de Paca le sont déjà depuis le mois de mars. Le secteur est placé en vigilance sécheresse (niveau 1 sur 4) par la préfecture, alors qu’à l’est du département les bassins de l’Arc sont en alerte (niveau 2) et ceux de l’Huveaune sont en crise (niveau 4). Néanmoins, les débits d’irrigation viennent d’être limités depuis ce 20 juin de 25 % par la commission exécutive de Durance (CED), qui réunit les différents acteurs des canaux. La ressource doit être partagée et les départements alpins sont déjà en tension.
Une restriction qui pourrait empêcher des exploitants d’arroser. “Sur mon canal, les derniers en aval n’arrosent pas s’il n’y a plus assez d’eau. Sur d’autres canaux, ce sont les premiers qui ne pourraient plus arroser. Leurs prises d’eau peuvent être trop hautes par rapport au faible niveau d’eau dans le canal”, explique Didier Tronc, directeur technique du comité de foin de Crau, président de l’Association syndicale autorisée (ASA) du canal de Craponne et adjoint à l’agriculture à Istres.
Une nappe plus vulnérable à la pollution
“Il n’y a pas là de risque de pénurie en eau potable”, assure Charlotte Alcazar. Du moins pas sur l’été qui vient. “Il y a deux usages prioritaires qui sont garantis : l’eau potable et l’eau indispensable aux milieux naturels”, rappelle Annick Mièvre, directrice de la délégation de l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse à Marseille, jointe par téléphone. Sauf que les années de crise pourraient s’enchaîner. À l’horizon 2050, toutes les projections prévoient que les sécheresses sévères pourraient se produire tous les 2 à 3 ans plutôt qu’une fois par décennie comme c’était le cas avant que le climat ne s’emballe.
Les risques qui pèsent sur la nappe ne sont pas que climatiques. La bétonisation de terres agricoles pour agrandir zones urbaines et zones logistiques restreint la capacité de recharge des eaux souterraines. Une nappe moins volumineuse pourrait aussi être plus vulnérable aux pollutions plastiques, d’hydrocarbures ou issues d’éventuelles fuites des décharges d’anciennes munitions de l’armée. “Aujourd’hui, il y a assez peu de pollution car le flux d’eau énorme est en capacité de diluer les polluants”, explique la directrice du syndicat mixte de gestion de la nappe.
“Nous au Symcrau on considère que la Crau n’est pas sécurisée car le système peut basculer. Il est totalement binaire, donc il peut s’effondrer très très vite”, prévient-elle. Le changement climatique pose le défi d’une redéfinition des priorités d’usage et de partage de l’eau.
Commentaires
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Article très intéressant.
La situation est paradoxale : les canaux de Crau sont pleins, pas de restrictions jusque-là, alors que les Alpes connaissent une sécheresse exceptionnelle (peu de neige, peu de pluies), le lac de Serre Ponçon n’a jamais été aussi bas aussi tôt… ce qui justifie les restrictions ailleurs. la Crau serait-elle favorisée dans la répartition des eaux de la Durance ?
La question se pose de tenir jusqu’au pluies de septembre octobre…
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