Après deux mois sur un ferry, des centaines d’Ukrainiens replongent dans l’incertitude

Le ferry Méditerranée accueille des réfugiés ukrainiens depuis le 29 mars. (Photo : ML)

“Demain on fait quoi ? On sort avec nos valises et on agite un drapeau ukrainien ?” Les derniers réfugiés ukrainiens encore présents à bord du ferry Méditerranée à Marseille ce jeudi 9 juin sont inquiets pour leur avenir. Ce vendredi, ils doivent tous avoir quitté ce bateau transformé en centre d’accueil depuis le 29 mars dernier. Après plusieurs mois à quai, le navire va reprendre la mer. Les demandeurs d’asile doivent remettre pied à terre avec des solutions proposées en urgence par la préfecture des Bouches-du-Rhône.

Le caractère provisoire du dispositif était annoncé dès le départ et la préfecture avait lancé un appel d’offres en mai afin de trouver un nouveau navire pour continuer de les accueillir. Mais, le mercredi 8 juin, les services de l’État indiquent dans un communiqué que les derniers Ukrainiens qui y logent ne seront plus hébergés sur un bateau. Pour chacun d’entre eux, la préfecture dit avoir proposé des solutions alternatives de relogement, présentées lors d’une réunion le 7 juin. “La majorité des personnes vont être acheminées vers d’autres régions moins tendues en termes de logement. Pour celles disposant de contraintes particulières, l’État s’efforcera de trouver des solutions à Marseille”, détaillent-ils dans le même communiqué. Les personnes envoyées dans d’autres régions devraient pouvoir “bénéficier dans leur département d’accueil du suivi initié dans les Bouches-du-Rhône”. Jeudi 9 juin au soir, il restait 460 personnes à bord, selon un autre texte diffusé par la suite.

Les alternatives n’arrivent pas à convaincre

En terrasse d’un bar à deux pas du ferry Méditerranée, trois Ukrainiens partagent leurs inquiétudes à la veille du départ. Mohammed vit avec son épouse enceinte de quatre mois sur le bateau depuis le 1er mai. Le jeune homme joue le traducteur pour Livdmyla et Tamara. Les deux femmes font, elles, partie des premiers à être montés sur le ferry le 29 mars.

À moins de 24 heures de leur départ, ils sont encore sous le choc. “On savait qu’on devait partir en juin, mais ils changeaient toujours d’avis sur le jour, explique Tamara. La semaine dernière on a finalement appris qu’on devait sortir le vendredi 10 juin”. La préfecture a organisé une réunion d’information sur le ferry mardi soir pour évoquer les solutions de relogements.

Mon fils est au collège du Vieux-Port. Il s’est fait des amis ici et il angoisse de changer de classe.

Tamara

“Ils nous ont proposé d’aller à l’hôtel à Arles”, indique Mohammed. Cette solution n’arrange pas sa famille. “Ma femme est suivie pour sa grossesse par un médecin ici et je dois aller régulièrement voir mon avocat pour ma demande de titre de séjour, explique encore le jeune homme. Mais ils m’ont expliqué qu’il n’y avait plus de place à Marseille”.

Tamara et Livdmyla risquent de se retrouver encore plus éloignées. “Ils nous ont proposé des chambres étudiantes sans cuisine à Châtillon [dans l’Ain, ndlr]”, déplorent les deux femmes. Cette petite commune proche de Lyon ne les attire pas. “Mon fils est au collège du Vieux-Port. Il s’est fait des amis ici et il angoisse de changer de classe, expose Tamara. Mais ils m’ont répondu qu’il pouvait très bien aller étudier dans une autre région”.

Les désagréments causés par le départ du ferry ne s’arrêtent pas là. “On nous a enfin donné un rendez-vous pour une formation de deux mois afin d’apprendre la langue française”, ajoute Tamara. Ce stage commence le 18 juin et se déroule à Marseille. Livdmyla ne peut cacher son angoisse. Émue aux larmes, elle a du mal à envisager son avenir.

Une communauté écartelée aux quatre coins de la France

Les Ukrainiens présents à Marseille ont tissé des liens sur le ferry. Ils échangent sur les messageries WhatsApp ou Telegram avec ceux déjà partis. L’occasion de garder contact, mais aussi d’en savoir plus sur les solutions proposées par l’État. Selon les associations présentes sur le navire, certains ont été relogés à Clermont-Ferrand dans une ancienne maison pour personnes âgés, d’autres vivent maintenant à Lourdes, à Argelès-sur-Mer ou Toulouse.

“Ce sont des solutions d’hébergement qui ne leur correspondent pas, affirme un associatif qui a travaillé sur le ferry jusqu’au 1er juin. Et pendant deux mois on leur a dit qu’on allait trouver un autre bateau”. À deux pas du navire, une travailleuse sociale prend sa pause mais enchaîne les coups de fil pour gérer les propositions reçues. Elle dit n’avoir jamais vu une telle débauche d’offres aussi précipitées, et donc pas toujours adaptées : “L’opération a été tellement médiatisée qu’il ne faut pas ternir son image. Du coup, ils débloquent en urgence des logements.”

“L’hébergement était bien et la nourriture très bonne”, tient à souligner Mohammed. “Les travailleurs sociaux sont formidables et nous aident beaucoup”, remercie quant à elle Tamara. Mais les derniers jours sur le ferry ne reflètent pas cette ambiance. Des crispations sont apparues, assurent les Ukrainiens accueillis. Plusieurs témoignages font état d’eau et d’électricité coupées pendant plusieurs heures, de convocations intempestives ou de musique de fond à plein volume…

Ils se sont sentis bien à bord, donc le départ est encore plus difficile.

Une porte-parole de la Corsica Linea

Une ambiance délétère que réfute la compagnie maritime Corsica Linea. “Tout fonctionne comme ces dernières semaines, répond une porte-parole interrogée par Marsactu. Ce sont des bruits normaux quand il y a de la vie à bord”. La compagnie rappelle que “tout le monde savait que cette solution était temporaire, personne n’a été pris par surprise”. Corsica Linea dit toutefois comprendre les angoisses des Ukrainiens. “Ils se sont sentis bien à bord, donc le départ est encore plus difficile”, admet l’entreprise.

Le dernier bus quittera la Joliette ce vendredi matin à 11 h. Le ferry Méditerranée reprendra la mer dès dimanche, pour assurer la liaison entre Marseille et l’Algérie. Les Ukrainiens reprendront quant à eux leur errance.