Harry, migrant mort au Petit-Séminaire et symbole de la lenteur des pouvoirs publics

Enquête
par Suzanne Leenhardt & Clara Martot Bacry
le 29 Déc 2021
1

À chaque étage du bâtiment E du Petit Séminaire (13e), des traces de feu de bois sont présentes. (Photo SL)
À chaque étage du bâtiment E du Petit Séminaire (13e), des traces de feu de bois sont présentes. (Photo SL)

À chaque étage du bâtiment E du Petit Séminaire (13e), des traces de feu de bois sont présentes. (Photo SL)

Une dizaine d’hommes échangent en anglais au pied de la cité du Petit-Séminaire (13e) ce mardi 28 décembre. La majorité d’entre eux viennent du Nigéria mais certains sont ghanéens ou gambiens. Tous sont dans l’attente de la régularisation de leurs situations. Ils vivent dans les bâtiments D et E, devenus des squats en état de délabrement, en attendant de pouvoir trouver un hébergement d’urgence.

Certaines fenêtres sont murées et à leurs pieds, une montagne de détritus dégouline. Juste à côté, ils ont installé un canapé et un baril dans lequel ils font brûler du bois pour se réchauffer en cette saison d’hiver. Mardi 21 décembre, ils ont retrouvé l’un de leurs colocataires Harry* mort, asphyxié au dioxyde de carbone (CO2) dans son lit. Contactée par Marsactu, Dominique Laurens, procureure de Marseille a confirmé cette information et indiqué qu’une enquête avait été ouverte pour déterminer les causes du décès.

“On l’appelait Papa”

Harry, âgé de 48 ans, venait du Nigéria. Après un passage en Italie, où sa femme est restée, l’homme est arrivé en France, à Marseille plus précisément. Il vivait aux Flamants et a rejoint le squat du Petit-Séminaire en septembre, après l’incendie du tripode de la cité dégradée du 14ème arrondissement. Un incendie qui a causé la mort de trois personnes le 17 juillet dernier. “Il était le plus âgé d’entre nous alors on l’appelait Papa, se rappelle Vincent, un homme venu du Nigéria également. Il était tout le temps heureux et très bien éduqué”, poursuit-il en anglais. D’après des travailleurs sociaux qui l’ont rencontré, sa demande d’asile était en cours de réexamen. En théorie, il pouvait donc rester en France jusqu’en mai 2022 et aurait dû bénéficier d’un hébergement d’urgence. Seulement, les places dans les centres étant saturées, il squattait au troisième étage du bâtiment E.

Il était suivi médicalement pour des problématiques cutanées dues à ses conditions de vie“, indique un proche du dossier. Des problématiques qui touchent régulièrement les personnes vivant dans des logements insalubres, cibles des punaises de lit ou de la gale. Mais l’homme ne présentait pas de pathologie plus grave. À l’intérieur du bâtiment où vivait Harry, les appartements sont dépourvus de portes et les murs s’effritent. Marsactu s’est rendu dans celui qu’occupait le quadragénaire. Dans sa chambre, un oreiller traîne encore sur le lit, des habits jonchent le sol et seul un miroir est accroché au mur dont la peinture est craquelée de toutes parts. Sur le balcon, les traces noires de suie et de cendres témoignent d’un brasero utilisé pour cuisiner et se chauffer. Comme chacun le sait, le feu est un important consommateur d’oxygène et producteur du dioxyde de carbone.

“Il avait déjà fait un malaise à force de respirer les fumées”

Dans les bâtiments D et E du Petit-Séminaire, point de chauffage : l’électricité a été coupée “il y a un ou deux mois“, témoigne un des migrants. Les traces des feux, ces chauffages alternatifs, se retrouvent sur les balcons de chaque étage. “Il y a quelques jours, Harry a déjà eu un malaise à force de respirer les fumées“, explique Grace Inegbeze, médiatrice santé pour Médecins du Monde et fondatrice de l’association The Truth, qui suit depuis longtemps la situation des migrants. “Il y a une absence de vision des bailleurs et des collectivités. En coupant l’électricité, ils dégradent les conditions de vie. Qui peut croire que le froid n’a pas aggravé les choses ?“, souffle Jean-Régis Rooijackers, coordinateur du projet Just et membre de Médecins du Monde.

Paradoxalement, la coupure de courant devait résorber un danger. Au Petit-Séminaire, le risque électrique était connu de longue date. Le 16 novembre 2020, un arrêté de péril imminent avait déjà ciblé quatre bâtiments de la cité (F, G, I et J). Une semaine plus tard, un incendie se déclarait dans une cave du bâtiment J. De quoi décider les autorités à évacuer et sécuriser ces immeubles à la fin du mois de novembre 2020. Comme nous l’écrivions à l’époque, l’opération s’était conclue par la “mise à l’abri” de 119 personnes, dont des familles. Une solution provisoire, loin d’éradiquer le fond du problème des squats du Petit-Séminaire, qui touche d’autres bâtiments de la résidence, comme celui où vivait Harry. À peine un mois plus tard, le 18 décembre 2020, un nouvel arrêté était signé des mains de Patrick Amico, adjoint en charge du logement et de la lutte contre l’habitat indigne.

L’électricité coupée par la Ville

Cette fois-ci, le document vise le bâtiment D et le bâtiment E, celui où est décédé Harry, et prend la forme d’un “arrêté d’insécurité imminente”. Comme dans l’arrêté précédent, la Ville pointe la dangerosité des “branchements sauvages”. Et des risques en cascade : “échauffement important de la filerie pouvant conduire à des départs d’incendie”, “arrachage” des fils créant un danger “d’électrocution des personnes”“Une menace grave et imminente pour la sécurité des personnes”, écrit un expert mandaté par la Ville. L’arrêté exige ainsi que “des mesures d’inviolabilité” soient mises en place afin que les coursives des immeubles soient “libérées de toute occupation”, tout comme les “logements vacants”

Sur tous les problèmes relevés par la Ville, un an plus tard, un seul a été – partiellement – résorbé : la neutralisation des “fluides”, soit le gaz et l’électricité dans les logements vacants. Contacté, l’élu Patrick Amico confirme avoir dû “retirer la colonne d’électricité” des bâtiments D et E en procédant à des travaux d’office puisque le bailleur Habitat Marseille Provence (HMP), dont la métropole est l’actionnaire principal, ne s’y était pas attelé. Pourtant, HMP était contraint par l’arrêté de péril de réaliser ces travaux sous 7 jours. Puis, de sécuriser les lieux afin d’éviter qu’ils ne soient squattés. Pourquoi n’a-t-il pas agi ?

La cuisine de l’appartement où vivait Harry. (Photo SL)

“À l’époque, la Ville nous avait demandé de retirer la colonne d’électricité. Moi, j’ai dit que je voulais bien le faire mais qu’en retirant l’électricité aux migrants qui squattent, ça risquait de mal se passer. Ce que j’aurais aimé, c’est que les bâtiments D et E soient aussi évacués fin novembre 2020 pour pouvoir tout raser”, répond Christian Gil, directeur général du bailleur social. Car pour rappel, le Petit-Séminaire est promis à la démolition depuis 2019Mais qu’en est-il des autres travaux demandés, ceux qui devaient servir à condamner les appartements ? “Le bailleur ne pouvait pas agir seul, sans évacuer, sans le concours de la force publique”, se défend le directeur de HMP.

vous avez un bailleur parfaitement équipé, bien informé de ces procédures, et qui n’a rien fait !

Patrick Amico, adjoint au logement à la ville de Marseille

Quant à la mairie, censée se substituer au bailleur en cas de défaillance, “les travaux restants ne sont pas de notre ressort”, clame à son tour l’élu Patrick Amico. Il s’en explique : “une fois que nous avions coupé le courant, il n’y avait plus de péril grave et imminent.” Même si cette coupure peut entraîner des feux, ou d’autres branchements sauvages encore plus dangereux. “Le squat est un problème lourd mais il n’entraînait plus ici de risques techniques ou structurels, simplement des risques d’usages, si on peut dire. Du point de vue de nos compétences, la situation ne revêtait absolument pas un caractère d’urgence”, conclut-il. Avant de renvoyer la balle : “vous avez un bailleur parfaitement équipé, bien informé de ces procédures, et qui n’a rien fait !” Ville et bailleur assurent ne pas connaître la cause du décès de Harry, et disent le découvrir par nos appels.

L’évacuation préparée après la mort d’Harry

De son côté la préfecture, autorité décisionnaire de cette opération, assure à Marsactu que l’évacuation était en préparation, avant le décès de la semaine dernière.” Elle explique le délai par la nécessité de trouver notamment un gymnase équipé et des places d’hébergement pour les squatteurs. Mais aussi des travailleurs sociaux, des policiers et des équipes pour sécuriser et fermer le site. Des tâches qui incombent autant à l’État qu’au bailleur et à la Ville. Une version contredite par Christian Gil lui-même, qui clame que l’opération “s’est décidée en urgence la semaine dernière”.

Car c’est bien après la mort de Harry, la semaine dernière, que la mairie, HMP et la préfecture se sont finalement rencontrées sur place pour préparer l’évacuation de ce mercredi. À l’heure où cet article est publié, la préfecture aura diligenté à l’aube l’évacuation des bâtiments D et E. Soit, un an et un décès après les premières alertes. Devrait alors suivre la destruction des escaliers et coursives des deux étages les plus bas, de quoi empêcher tout retour des squatteurs.

Un brasero est installé au pied des bâtiments squattés. (Photo SL)

En prévision de cette évacuation et quelques jours seulement après le décès de Harry, seize squatteurs ont été placés en hébergement d’urgence ainsi que cinq demandeurs d’asile, pris en charge par l’Office français de l’immigration et intégration (Ofii). Pour Jean-Régis Rooijackers, le lien entre l’accélération des procédures et le décès de Harry est évident. Le 9 décembre, Médecins du Monde, la Fondation Abbé Pierre, l’association The Truth et l’association Just alertaient la préfecture sur les conditions de vie au squat du Petit-Séminaire. “22 personnes demandent une mise à l’abri” et “une personne a déjà été évacuée par les secours, suite à un malaise consécutif aux modes alternatifs de chauffage (brasero)“, écrivaient-ils dans leur mail. Une alerte qui sonne comme une prédiction sans que l’on sache s’il s’agissait de Harry.

Malgré l’évacuation de ce matin, le danger des squats au Petit-Séminaire pourrait perdurer. Car deux autres bâtiments de la cité, le B et le C, devrait bientôt être vidés des tout derniers locataires en règle. Les appartements vacants pourraient alors devenir le nouveau refuge de migrants sans abri. Pendant ce temps, l’enquête sur la mort de Harry se poursuit. Vincent, âgé de 36 ans, espère lui trouver un logement permanent et se désole de ne pas pouvoir travailler, faute de papiers en règle. Il demande, cynique : “est-ce que vous laisseriez votre animal de compagnie vivre ici ?

*Le prénom a été modifié pour préserver l’intimité du défunt

Actualisation à 12H50 le 29/12/21 : ajout de l’enquête ouverte par le parquet.

Avec Violette Artaud.

Cet article vous est offert par Marsactu
Marsactu est un journal local d'investigation indépendant. Nous n'avons pas de propriétaire milliardaire, pas de publicité ni subvention des collectivités locales. Ce sont nos abonné.e.s qui nous financent.
Suzanne Leenhardt
Clara Martot Bacry

Commentaires

L’abonnement au journal vous permet de rejoindre la communauté Marsactu : créez votre blog, commentez, échanger avec les autres lecteurs. Découvrez nos offres ou connectez-vous si vous êtes déjà abonné.

  1. Pascal L Pascal L

    Juste une remarque scientifique c’est surtout le monoxyde de carbone, le CO qui tue dans ce genre de situation :
    1 % de CO dans l’air respiré vous tue en 5 minutes, 0,05 % de CO vous tue dans la nuit

    Lors d’une combustion de carbone ou d’hydrocarbure (Barbecue, chauffage au charbon, au bois, au gaz, à l’alcool, à l’essence) dans une pièce fermée, au bout de quelques heures, le manque d’oxygène fait qu’au lieu de produire du CO2 la combustion commence à produire de plus en plus de CO et, en l’absence de raccordement à une cheminée l’évacuation des gaz brulés se fait dans la pièce et cela tue les occupants
    D’où l’importance de ne pas boucher les entrées d’air comme on le fait parfois en pensant que l’air qui entre refroidit la pièce.

    Le même phénomène se produit avec un véhicule enfermé dans un garage, la combustion de l’essence produit du CO (bien plus qu’un chauffage) et ceci d’autant plus que l’oxygène se fait rare.

    Mais même avec un poêle à évacuation extérieur et sans manque d’oxygène, plus la température est élevée plus la combustion du carbone produit du CO (à environ 1100° on ne produit quasiment que ça, c’est utilisé en sidérurgie)
    Donc, c’est plus rare mais possible, un petit braséro surchauffé, (dont les parois sont quasiment portées au rouge) produit en son sein du CO et, ce que l’on sait moins, c’est que le CO à la capacité de traverser les parois de métal surchauffé et de se répandre dans la pièce. Donc même avec une cheminée un chauffage mal réglé peut tuer.

    En Europe, le CO est responsable de plusieurs centaines de morts chaque année. Beaucoup plus au nord qu’au sud pour des raisons climatiques. Majoritairement ce sont des gens très pauvres.

    Signaler

Vous avez un compte ?

Mot de passe oublié ?


Ajouter un compte Facebook ?


Nouveau sur Marsactu ?

S'inscrire