Le suivi chaotique des adultes sous tutelle par un satellite du département
La chambre régionale des comptes pointe les dysfonctionnements chroniques du centre gérontologique départemental, installé à Montolivet. Elle dénonce notamment une gestion défaillante des biens et avoirs des majeurs protégés.
Le centre gérontologique du département est installé à Montolivet. Il accueille près de 600 personnes et suit par ailleurs les cas de majeurs sous tutelles. (Capture Google maps)
“Un service en déshérence.” Dans un rapport rendu public le 28 octobre dernier, la chambre régionale des comptes (CRC) détaille ses observations définitives sur la gestion du centre gérontologique départemental (CGD) des Bouches-du-Rhône entre 2013 et 2019. Si ce recueil de quelque 100 pages expose “une gestion peu respectueuse des deniers publics” et des “comptes financiers, non fiabilisés” aux “graves anomalies“, il se penche aussi sur d‘autres dysfonctionnements qui impactent des personnes particulièrement fragiles, puisque placées sous tutelle. Les dérives pointées dans ce satellite du département concernent le service des mandataires judiciaires à la protection des majeurs (MJPM) qui assure “la gestion des avoirs des majeurs protégés sans intervention du trésor public pour les personnes hébergées dans des structures publiques”.
Sis dans le 12e arrondissement de Marseille, à Montolivet, le centre hospitalier public de la Tour-Blanche est “spécialisé dans la prise en charge des personnes âgées en particulier celles atteintes de maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer, il dispose, en 2020 de 579 lits et places”, précise la juridiction. On y gère au quotidien les dossiers d’environ 80 patients placés sous tutelle, issus du CDG mais aussi du centre hospitalier d’Allauch.
Des personnels occupaient le rôle de mandataire sans y être complètement habilités.
Or, selon la chambre, les faits reprochés sont lourds. D’abord, les effectifs sont insuffisants pour faire face à l’afflux de dossiers. Le service a, souligne la CRC, longtemps fait face à une problématique d’habilitations. En clair, des personnels qui faisaient fonction de mandataires de personnes placées sous tutelle ne bénéficiaient pas de toutes des autorisations nécessaires pour “manipuler des fonds ou […] assurer en autonomie la gestion des dossiers des protégés”. En poste depuis janvier 2020, la nouvelle ordonnatrice de l’établissement, Nathalie Jaffres, convient que “pour un mandataire, la procédure n’était effectivement pas complète”. Situation aujourd’hui “clarifiée”, assure la nouvelle directrice, qui explique que deux nouvelles mandataires ont été nommées en juillet 2020 et mars 2021 : “Elles ont tout repris, dossier par dossier, après avoir rencontré le juge des tutelles. Elles remettent tout à plat”.
Inventaires, cash et coffre-fort
Le rapport détaille aussi des pratiques inquiétantes et opaques. Il relève, dans 80% des dossiers, l’absence de conservation des inventaires réalisés au début de la prise en charge du patient. Or, si ces biens ne sont pas correctement inventoriés, comment s’assurer de leur bonne gestion ? “Cette situation rend en effet impossible le suivi de l’évolution du dossier et la garantie de la conformité des opérations réalisées au nom du majeur protégé”, pose la CRC.
Pire encore :
“La chambre a constaté la présence, dans le service, d’un coffre–fort contenant des objets de valeurs, des chéquiers, des clés appartenant aux majeurs protégés alors que l’ensemble de ces objets stockés, avant février 2019, auraient dû être déposés entre les mains du comptable public.”
Dans le coffre en question, les magistrats de la chambre découvrent 26 enveloppes qui contiennent diverses sommes d’argent liquide, sans aucune traçabilité des retraits. Certaines enveloppes portent même des annotations “faisant apparaitre des “prélèvements” d’une enveloppe à une autre avec la mention de remboursements sans possibilité de vérification faute de registre idoine retraçant les opérations“, s’alarme la CRC.
Risques de détournements
En plus de ces manipulations de fonds irrégulières, les magistrats s’étonnent d’une gestion qui ne préserve pas “les intérêts des protégés”. Car, le mandataire judiciaire à la protection des majeurs (MJPM) n’est pas censé seulement octroyer de l’argent de poche à la personne protégée, il doit aussi veiller à ce que l’argent du protégé soit placé au mieux de ses intérêts. La chambre s’appuie sur l’exemple concret d’une résidente pour démontrer que le service du centre gérontologique départemental est défaillant dans la gestion de ses biens. “Les défauts d’organisation matérielle et l’absence de procédures définies ne permettent de garantir ni l’indépendance du MJPM ni la prévention des risques pouvant conduire à des détournements de fonds, ou des agissements fortuits ou volontaires pouvant porter atteinte à l’intégrité des biens des majeurs protégés accueillis par l’établissement”, prévient la CRC.
Les magistrats, à juste titre, nous ont remis dans nos objectifs.
Nathalie Jaffres, directrice du CGD
Cette gestion à la façon d’un épicier de campagne n’a plus trait, affirme la nouvelle direction de l’établissement qui ajoute qu’aucun détournement ou vol n’a jamais été constaté. Elle promet aussi que l’espace dévolu à ce service a déménagé : la chambre s’inquiétait du fait que “les dossiers des majeurs [étaient] conservés dans un local, libre d’accès, permettant à des personnes non habilitées, la consultation de documents aussi sensibles que des pièces d’identité ou d’état civil“. “Les tutelles cela ne se gère pas comme ça !, reconnaît Nathalie Jaffres. Les magistrats, à juste titre, nous ont remis dans nos objectifs.”
Protocole introuvable
La chambre s’agace toutefois que ses préconisations déjà édictées en 2009 n’aient pas été suivies d’effets. Dans la réponse qu’il rédige à la CRC, Jean-Claude Pical, directeur du centre gérontologique du 1er janvier 2006 au 31 juillet 2019 botte en touche : “Les recommandations émises par la chambre lors de sa précédente venue ont donné lieu à l’époque à la rédaction d’un protocole qui a été rigoureusement suivi par l’agent alors en charge du secteur. La difficulté rencontrée n’a pas tenu à une marginalisation du service ou à la volonté d’abandonner le respect du protocole et des engagements pris mais aux nombreux arrêts maladie de son responsable qui était particulièrement investi et à la rareté de candidatures adaptées pour assurer son remplacement.” Voilà qui ne manque pas d’étonner les magistrats qui ont enquêté. “La procédure évoquée par l’ancien ordonnateur dans sa réponse aux observations provisoires n’a été ni transmise par ses soins ni retrouvée au service des majeurs protégés ce que confirme d’ailleurs la direction”, insistent-ils.
La CRC ne se montre pas convaincue. Elle martèle que cette gestion défaillante, “d’abord préjudiciable aux majeurs protégés, a engendré de nombreuses relances de la part du service des tutelles du tribunal judiciaire de Marseille lequel, contacté par la chambre, évoque une situation chaotique”. Comme en 2009, ces magistrats somment cet établissement, anciennement baptisé “asile départemental de vieillards de Montolivet”, de revoir intégralement la gestion des majeurs protégés pour “apporter toutes les garanties de préservation de leurs droits et intérêts”. L’avertissement vaut notamment pour le conseil de surveillance, présidé par Marine Pustorino, élue au conseil départemental. Après parution de cet article, la collectivité a indiqué à Marsactu qu’elle n’était “pas concerné[e] par les majeurs protégés” dont les tutelles et curatelles sont ordonnées par la justice.
Actualisation le 4/11/2021 à 18 h :
– Modification du titre pour évoquer un “satellite” du département plutôt qu’une “antenne”. Cette modification fait suite aux réponses (voir document infra) du conseil départemental, qui n’avait pu répondre dans le délai imparti à la publication de cet article. Celui-ci souligne que le centre gérontologique département est un établissement public à part entière avec une personnalité juridique propre, ce qui ne correspond effectivement pas au terme initialement employé. En revanche, le CGD est effectivement très lié au département puisqu’il fait partie des établissements dont le budget dépend à plus de 50 % du département, comme le service départemental d’incendie et secours (SDIS) ou le bailleur social 13 habitat. D’un point de vue comptable, il fait ainsi l’objet d’une “consolidation par intégration globale”, une méthode appliquée pour les “entités sous contrôle exclusif” de la collectivité selon l’autorité des normes comptables.
– Mention est faite de la présidence du conseil de surveillance par Marine Pustorino, conseillère départementale et non de la mention “exécutif départemental” comme initialement indiqué.
– Ajout de la remarque du département sur sa non-responsabilité comme collectivité sur la tutelle des majeurs.
Commentaires
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Inquiétant. Le Conseil départemental ne fait pas son boulot en ce qui concerne les mineurs isolés. Il ne le fait guère mieux en ce qui concerne les adultes sous tutelle. Quelqu’un peut-il rappeler à Madame Vassal que les compétences de l’institution qu’elle préside sont d’abord des compétences sociales, et qu’elles ne se limitent pas au financement de ronds-points d’intérêt communal ?
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Y aura-t-il une enquête et un procès des responsables, à tous les niveaux, de cette gestion calamiteuse ? Merci Marsactu de mettre en lumière ce rapport. Qui concerne un établissement du département touché aussi par l’affaire des procurations frauduleuses du 11-12e, non ?
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Bravo pour votre article bien documenté ! Vous faites honneur à votre profession
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Merci pour cet article, qui fait froid dans le dos!
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‘Majeur protégé’ à Tours depuis quelques mois, cet article calme mon impatience de me ‘réfugier’ dans MA maison à La Verrerie après la fin de l’obligation de résidence (ah ! la retraite !-).
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