[Mes châteaux d’If] Péage sud, où luttent des gilets jaunes
Christophe Goby a longtemps écrit pour la revue Silence, le magazine CQFD, il collabore aujourd'hui au Monde Diplomatique aux pages livres. Il tient ici une chronique littéraire qui embrasse le monde dans toute sa diversité.
Le château d'If (Crédit : Milena/Flickr)
Ils portaient des Gilets jaunes, des bottes de moto…
En 2018, un mouvement social imprévisible traversait la France et faillit renverser l’histoire. De nombreux livres sont sortis pour raconter. En voici une sélection.
L’auteur n’y croyait pas. « Ne plus être soi, être chacun » comme l’écrivait Desnos. Et puis il a retrouvé les sans culottes à deux coups de pédale de chez lui, chez les Gilets jaunes de sa région. Situé dans le sud ouest de la France, ces chroniques d’un acteur du mouvement, font le portrait de cette lutte qu’on ne reverra pas de sitôt. Un des dernières insurrections? On est sur de se tromper, comme tous les révolutionnaires de salon qui n’ont rien vu venir et qui sont encore à la recherche d’un passé de révoltes. L’auteur, rédacteur au mensuel CQFD, nous raconte les week-ends au rond-point ou au péage avec l’odeur des camions qu’il fait arrêter sur l’autoroute, le fumet des matins froids et les l’humeur des révoltés. Chaque journée de ces longs mois raconte la fureur et les arrestations, les manoeuvres de la police, l’enthousiasme et la fraternité sous le drapeau Bleu blanc rouge. De quoi dérouter notre vieil anar qui dut enfiler de nouvelles lunettes pour comprendre l’insurrection française.
C’est un beau roman, c’est une belle histoire que nous raconte l’ancienne patronne du Média. Pendant l’hiver le plus insurrectionnel depuis 50 ans, Aude Lancelin tenait le micro du Media. Contrairement aux médias de gauche habituels qui n’ont compris le mouvement des Gilets Jaunes que tardivement, le Media s’est plutôt bien distingué avec la Presse Quotidienne Regionale pour raconter le peuple sur les ronds points. En racontant la montée à Paris et l’arrestation d’un Gilet jaune creusois, Aude Lancelin raconte l’aventure incroyable de milliers de femmes et d’hommes qui sont allés braver le pouvoir dans ses plus beaux quartiers. Là bas, dés 4H 40 du matin, sous une pluie de lacrymogènes, ils ont répliqué pendant plusieurs samedis à la guerre de l’Etat contre ses sujets. Ils auront pris l’Arc de triomphe, mis en déroute la police, les ayant fait reculer car emplis d’espoir contre l’oligarchie, ils ont cru tout possible.
Aude Lancelin raconte en parallèle la vie d’un de ces journalistes parisiens, poseurs de gauche, féru de philosophie, dont l’existence va être chamboulé par ce mouvement révolutionnaire. Il règle des comptes avec toute l’élite parisienne qui a vomi sur ce mouvement qualifié d’extrême droite. Il raconte avec ses sources les hésitations de l’Etat major français qui ne sait plus s’il va obéir. Mais est ce que les forces de police n’ont pas faibli par manque de croyance et par un affaiblissement consécutif à quatre années de bataille dans les rues, plus apaisées certes mais qui ont miné les troupes ? Elle cache à peine les noms de ses personnages qu’on reconnaitra aisément, tels Laurent Bourdin, contraction possible de deux vedettes de la désinformation quotidienne. On reconnaitra aussi Eric Hazan dont on sent l’estime qu’elle lui porte autant que le dédain qu’elle distribue autour de cette cour d’extrême gauche, plus prompte à reconnaître le peuple dans ces livres qu’au coin du supermarché. Elle moque les défilés plan-plan de la gauche syndicale avec le dégout d’une nouvelle « toto » Elle est féroce avec la BAC qui se déchaine contre des vieilles femmes, qui s’en prend à des ouvriers de toutes les provinces de France, habillés de jean et de baskets. Romançant la vie de quelques têtes du mouvement, elle ne les épargne pas de critiques.
Ingrid Levavasseur, raconte dans Rester digne, la tourmente dans laquelle elle fut prise. Entre médias et réseaux sociaux, elle va connaître les joies de la notoriété jusqu’à l’écoeurement. Aide soignante dans l’ Eure, cette divorcée avec deux enfants rejoint le péage d’Heudebouville avant de devenir une figure du mouvement. Sa présence trop assidue dans les médias lui sera reprochée et elle sera même menacée lors d’une manifestation à Paris.
Les éditions l’Insomniaque ont choisi de rassembler les dos ou se sont écrits les revendications et les cris des manifestants. Dans Ahou ahou ahou, la parole brute où chaque dos est devenu un mur graffité s’exprime librement. « Ils ont la police, on a la peau dure. » pouvait on lire sur l’un d’eux.
Péage Sud, Sébastien Navarro, Editions du Chien Rouge, Marseille, 2020, 335 pages, 13 euros.
La Fièvre. Aude Lancelin. Roman, Les Liens qui Libèrent. 2020, 20 euros, 281 pages.
Ahou Ahou Ahou. Editions Insomniaque. 2020. 9 euros.
Rester Digne. Ingrid Levavasseur. Ed Flammarion. 240 pages, 2019. 19 euros.
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