Cinq mois après sa condamnation, Jean-Noël Guérini continue sa vie de sénateur
Reconnu coupable le 28 mai dernier de prise illégale d'intérêts par le tribunal de Marseille, le parlementaire siège toujours au Sénat malgré la peine d'inéligibilité qui devait s'appliquer séance tenante. Le dossier est en cours d'instruction... mais avance à pas de sénateur.
Jean-Noël Guérini en mars 2021 lors de son procès en première instance. (Photo : Emilio Guzman)
“Monsieur Jean-Noël Guérini appelle l’attention de madame la ministre de la Mer sur les nombreux poulpes qui envahissent les côtes bretonnes depuis le début de l’été 2021.” Cette question écrite, cruciale, à lire sur le site du Sénat, a été transmise par le sénateur des Bouches-du-Rhône à la membre du gouvernement le 14 octobre dernier. La requête pourrait sembler anecdotique. À ceci près qu’elle rappelle qu’outre son intérêt non dissimulé pour les céphalopodes bretons, Jean-Noël Guérini est toujours sénateur.
Le 28 mai dernier, pourtant, l’ancien président du conseil général des Bouches-du-Rhône (PS puis DVG) a été reconnu coupable de prise illégale d’intérêts par le tribunal judiciaire de Marseille. Il est condamné à trois ans de prison dont 18 mois ferme avec détention à domicile, ainsi qu’à une amende de 30 000 euros et à cinq ans de privation de droits civiques et civils, donc d’inéligibilité. Surtout, le 28 mai, le tribunal demande une exécution provisoire de cette peine. En clair, elle s’applique séance tenante, sans attendre les conclusions d’un éventuel procès en appel ou d’un recours en cassation.
“La responsabilité d’un homme qui assure des fonctions électives est de s’en montrer digne.
La présidente du tribunal
Pour le tribunal, il s’agissait au terme d’un procès monstre de solder illico une carrière qui n’avait que trop duré du fait du lent rythme de l’instruction judiciaire. Mais c’était compter sans une autre lenteur, celle de la procédure administrative ainsi déclenchée. Depuis cinq mois, le sénateur aurait dû selon toute logique quitter son fauteuil de velours rouge situé au quatrième rang et presque au centre de l’hémicycle du Palais du Luxembourg. Ce n’est pas le cas. “La responsabilité d’un homme qui assure des fonctions électives est de s’en montrer digne et de ne jamais permettre à des intérêts personnels de prendre le dessus sur l’intérêt général”, avait d’ailleurs sèchement rappelé la présidente Céline Ballerini. Le Marseillais aux racines corses aurait pu démissionner de son propre chef, il a fait le choix de continuer à siéger.
Jouer la montre
De fait, le sénateur des Bouches-duRhône a choisi de jouer la montre en attendant l’audience en appel qui doit se tenir à Aix-en-Provence, du 29 novembre au 17 décembre. Comme l’avait raconté La Provence, il a ainsi renoncé à saisir la cour d’appel pour suspendre cette exécution provisoire comme le code de procédure le prévoit lorsqu’il apparaît que “l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives”. “Nous n’avons pas déposé de demande en ce sens”, confirme Dominique Mattei, l’avocat du sénateur. L’un et l’autre connaissent la lenteur des rouages judiciaires dans ce type de procédure.
En effet, afin que la peine s’applique, il faut au préalable que le Conseil constitutionnel constate la déchéance du mandat. Pour ce faire, l’instance doit avoir été saisie. Les textes permettent au bureau du Sénat de le faire. Cela n’a pas été le cas. “S’agissant d’une décision de justice, il est habituel que ce soit le Garde des Sceaux qui saisisse le Conseil constitutionnel. En effet, la décision de justice n’est pas officiellement transmise au Sénat, qui n’en a donc pas une connaissance directe”, botte en touche un porte-parole de la chambre haute. “Le principe est effectivement que cela passe par le ministre de la Justice”, confirme-t-on à la chancellerie.
Le Sénat fait l’autruche
L’usage veut donc que le bureau du Sénat fasse l’autruche en attendant qu’un autre s’y colle. Laissant passer la torpeur de l’été, le Garde des Sceaux, Éric Dupont-Moretti a donc saisi les sages, le 7 septembre. Joint par Marsactu, le Conseil constitutionnel indique que le dossier “2021-26 D est en instance de traitement.” L’étude des derniers cas similaires traités – celui du député d’Ille-et-Vilaine Mustapha Laabid (LREM), de la députée ex-socialiste des Bouches-du-Rhône, Sylvie Andrieux, ou du sénateur de l’Héraut Robert Navarro (LREM) – n’avait pas donné de migraines aux locataires du Palais Royal. Ces trois élus ont démissionné d’eux-mêmes une fois toutes les voies d’appel et de cassation épuisées.
Jean-Noël Guérini, lui, attend son heure. Et son affaire suit son cours – à pas lents de sénateur. Ce qui arrange bien les affaires de son conseil Dominique Mattei qui répète à l’envi que “seul le Conseil constitutionnel peut se prononcer” et qu’il faut patienter jusqu’à “sa décision”. Le temps s’étire, c’est normal, juge le ministère de la Justice. “Le processus est assez classique. Une fois le jugement rendu, puis rédigé, il est transmis au service exécution, puis au ministère. La chancellerie ne délivre aucune appréciation au fond mais s’assure que toutes les pièces sont là pour transmettre au Conseil constitutionnel”, détaille-t-on au ministère.
“Il n’y a aucun commentaire à faire. Dans tous les groupes, lorsque cela arrive, c’est comme cela, on ne commente pas”
Un membre du groupe RDSE
Pendant ce temps, l’ancien homme fort du PS bucco-rhodanien continue de rédiger des questions écrites sur le harcèlement scolaire, l’accès aux droits des personnes âgées ou l’égalité salariale et professionnelle. Depuis 2014, le parlementaire ne siège plus dans les rangs socialistes, mais au sein du Rassemblement démocratique et social européen (RDSE). Au téléphone le secrétaire général du groupe écourte la conversation. Il prévient qu’il ne veut ni évoquer la condamnation de son collègue marseillais, ni être cité. “Il n’y a aucun commentaire à faire. Dans tous les groupes, lorsque cela arrive, c’est comme cela, on ne commente pas”, balaye-t-il.
Il revient donc aux sages, désormais, de constater cette déchéance. Quand peut intervenir cette décision ? Ni le Sénat, ni la Chancellerie, ni le Conseil constitutionnel ne sont en mesure de donner une échéance précise. “Seul le Conseil constitutionnel peut dire à quelle date une décision sera prise concernant M. Guérini, en fonction du déroulement de l’instruction”, répond le bureau du Sénat. Le ministère de la Justice conclut d’ailleurs que les Sages peuvent aussi bien constater la déchéance de mandat que rendre un sursis à statuer… D’ici à ce dénouement, Jean-Noël Guérini reste accroché à son fauteuil, comme un poulpe à son rocher breton.
Commentaires
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Un article fort éclairant sur les rouages administratifs de la justice.
Une petite chose m’étonne cependant : vous envoyez un gros tacle au bureau du Sénat alors que celui-ci, d’après vos propres infos, ne fait que respecter l’usage “habituel” en laissant au ministère de la Justice le soin de monter le dossier.
Et par ailleurs, vous ne semblez pas envisager que la juge en première instance, en rendant une décision provisoire dont l’application ne dépend pas d’elle, avait sans doute connaissance de la procédure administrative impliquée.
En clair, la juge qui a demandé l’application immédiate de l’inégibilité n’était-elle pas parfaitement consciente que la procédure n’arriverait jamais à son terme avant l’appel ?
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Jusqu’au bout, ce type aura été indigne et lâche. Pendant ce temps, le petit délinquant occasionnel est puni sans délai ni mansuétude.
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Cher 8e , tout à fait d’accord, en rappelant que les loups ne se mangent pas entre eux.Souvenons nous des séances d’auto amnisties parlementaires.
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Ce personnage est indigne d’une fonction électorale c’est certain. Mais qui lui a donné cette fonction ? N’oublions pas que les sénateurs sont élus par les grands électeurs.. combien de pourris parmi eux ?
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Les “grands” électeurs sont parfois vraiment très petits. Il s’en trouve parmi eux qui ont aussi permis l’élection de Ravier, alors que l’arithmétique électorale lui était défavorable. Les élections sénatoriales, entre copains et coquins, sont une anomalie qui ne grandit pas la démocratie.
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J’aurai mieux compris qu’il s’accroche comme un poulpe à son rocher Corse !!!
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Et si vous voyez le programme immobilier qu’à fait le frangin à Calenzana,je ne vos dis que cela.
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Le monde pourri des politiciens véreux : car faut dire ce qui est , aucun sénateur ,trice, ne relève en séance “de débat ” le fait que Guérini est un escroc, et qu’il devrait être en prison. Donc, complices et faux-culs, après on s’étonne de l’abstention…
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De l’utilité du Sénat et des sénateurs , cet ancrage territorial irremplaçable …
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