La prudente charte de la Ville de Marseille pour encadrer les promoteurs immobiliers

Décryptage
le 1 Oct 2021
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Ce vendredi, le conseil municipal vote la charte de la construction, ou les dix commandements pour plus de qualité dans la promotion immobilière. Si le document n'est pas opposable et se veut tout en généralité, il crée déjà des réticences dans la profession.

La prudente charte de la Ville de Marseille pour encadrer les promoteurs immobiliers
La prudente charte de la Ville de Marseille pour encadrer les promoteurs immobiliers

La prudente charte de la Ville de Marseille pour encadrer les promoteurs immobiliers

“Ce que l’ancienne majorité voulait pour sa ville manquait de clarté. Il est normal qu’une collectivité ait des exigences sur ce qui se construit.” Mathilde Chaboche est connue pour être du genre décidée. Comme elle le martèle depuis sa prise de fonction, l’adjointe au maire de Marseille déléguée à l’urbanisme entend changer les pratiques dans la promotion immobilière. “En arrivant, j’ai découvert des choses hallucinantes”, disait-elle il y a peu. Ce vendredi, lors du conseil municipal, elle présentera sa charte de la construction, ou plus précisément “de la co-construction durable”.

Depuis le printemps, Mathilde Chaboche s’est entretenue, à plusieurs reprises, avec les représentants des architectes, des professionnels du BTP, des promoteurs, des associations de riverains ou encore de protection de l’environnement et de la qualité de vie. Un travail de diplomate qui a fini par déboucher sur un document, qui est moins un socle réglementaire que l’édiction de quelques grands principes : processus de dialogue avec les parties prenantes et les habitants, respect du contexte de l’implantation du projet, valorisation du naturel et du bâti, réhabilitation… Cette charte “ne casse pas trois pattes à un canard”, fait remarquer un fin connaisseur du dossier, mais déjà, fait des remous dans le milieu.

“Des évidences que l’on n’a pas assez dites”

Si j’avais eu des ambitions plus grandes, comme on le voit dans d’autres villes, j’aurais perdu des acteurs.

Mathilde Chaboche, adjointe à l’urbanisme

“J’avais dès le départ des ambitions raisonnables, mais je n’ai pas transigé sur grand-chose, défend Mathilde Chaboche. Si j’avais eu des ambitions plus grandes, comme on le voit dans d’autres villes, j’aurais perdu des acteurs. On va déjà essayer de faire entrer Marseille en 2021.” Mixité sociale, densité adaptée, végétalisation et espaces communs. En tout, la charte présente dix “évidences que l’on n’a pas assez dites, mais qui doivent être partagées avec le privé”, insiste l’élue. Non opposable, c’est-à-dire impossible à défendre devant la justice, ce document repose pour le moment sur un accord de principe. Qui est loin d’être gagné.

Au début de l’été, les représentants de la profession de la construction, au premier rang desquels les promoteurs immobiliers, se sont mobilisés pour faire part de leur réticence au sujet de la charte. “Il ne faudrait pas que celle-ci surajoute des contraintes techniques et onéreuses supportées in fine par les acquéreurs”, écrivent plusieurs organismes dont la fédération de promoteurs immobiliers de Provence (FPI) dans un projet de courrier au maire. Finalement, ce texte, que Marsactu a pu consulter, ne sera pas envoyé, mais les inquiétudes qu’il comporte seront bien évoquées durant l’été lors d’une réunion avec Mathilde Chaboche. Contacté, le président de la FPI en convient : “La dernière version de la charte que nous avons vue comportait 80 % de choses que nous avions imaginées, mais le reste nous faisait peur”, justifie Jean-Noël Léon.

Surfaces minimum, extérieurs et hauteurs sous plafond

Ces “20 % effrayants” se traduisent en grande partie en chiffres. Très peu nombreux dans cette charte, on en retrouve tout de même quelques-uns dans un minuscule paragraphe d’annexe. Ils concernent les surfaces minimum en fonction des typologies d’appartement (entre 35 m² pour un T1 et 95 pour un T5 en passant par 70 pour un T3), précisent la taille des espaces extérieurs (5 m² pour un T1, 25 pour un T5) et celle des chambres (12 m²). Enfin, ils donnent une hauteur sous plafond minimum de 2,70 mètres. Ces chiffres, précise le texte, sont des objectifs et “pourront être adaptés en fonction du programme et du contexte urbain”. Pas de quoi rassurer Jean-Noël Léon. “Les efforts doivent être partagés et non imposés, répète-t-il. On sait par expérience que dès lors qu’il y a une charte, son adoption permettra aux instructeurs [du service des permis de construire] de l’appliquer à la règle.”

Et le président de la FPI de rappeler le contexte de crise économique et le retard qu’accuse Marseille en termes de construction. “Nous sommes d’accord pour travailler différemment, c’est une question de méthode, il faut un mode d’emploi bien huilé. Mais ce que l’on demande, c’est de ne pas rajouter des tensions là où c’est déjà critique”, conclut celui qui est aussi directeur général du groupe Quartus et pour qui “les premiers impactés, ce sont ceux qui en ont le plus besoin, à savoir les primo-accédants et les populations les plus fragiles !”. 

Fin juillet, “les promoteurs ont boycotté la dernière réunion organisée par la Ville en plénière sur la charte”, glisse l’un de ses participants. Quant à la version définitive de celle-ci, Jean-Noël Léon ne l’a reçue que deux jours avant son adoption. Il n’a pas encore apposé sa signature en dessous. “Nous devons d’abord consulter nos adhérents pour avoir une vision globale, nous déciderons ensuite si l’on signe ou pas”, signifie-t-il à Marsactu sans s’avancer davantage.

Lobbying et marche arrière sur les HLM

Pour les bailleurs sociaux aussi, plus de contraintes c’est “un surcoût”.

Dans les couloirs de la mairie, on fait remarquer “un énorme lobbying” de la part des promoteurs depuis l’arrivée de Mathilde Chaboche. Et si pendant ce temps, l’adjointe à l’urbanisme tente de garder la tête haute, elle n’a pas pour autant réussi à inscrire dans sa charte tout ce qu’elle aurait voulu. Par exemple, l’encadrement du prix de vente aux bailleurs sociaux d’appartements inclus dans des projets mixtes. Associés à la démarche, ces derniers ne semblent pas montrer beaucoup plus d’entrain quant à ce projet de charte. “Au début, nous étions inquiets. Les principes de qualité risquent de générer un surcoût, et en logement social, l’équilibre est difficile à tenir”, formule Patrick Gallard, directeur de l’Association régionale HLM PACA-Corse (AR HLM), dont l’insigne a un temps figuré sur le projet de courrier au maire. La Ville doit comprendre qu’une opération de logements sociaux ne se monte pas comme une opération privée.” 

Bien conscient que l’encadrement du prix de vente n’est pas pour demain, il poursuit : “La charte ne va pas jusque-là, il va y avoir des étapes. Réguler le prix serait bien, mais cette question arrivera dans un deuxième temps.” Sur ce point, Mathilde Chaboche admet avoir mis de côté cette préconisation, qui n’est pas des moindres. “Mais je continue de travailler dessus avec Patrick Amico [adjoint au logement, ndlr], nous préparons quelque chose pour l’année prochaine”, assure l’élue.

“Cette charte doit être traduite en règles légales”

C’est un bon outil de dialogue avec la métropole pour faire évoluer le PLan local d’urbanisme.

Raphaëlle Segond, membre du conseil régional de l’Ordre des architectes.

Également conviées autour de la table, les associations saluent majoritairement la démarche. “Cela nous servira de base pour attaquer certains projets”, se projette Guy Coja, du collectif Laisse béton. La majorité, elle fait le pari que les promoteurs finiront bien par suivre. “La corporation est vaste. Certains ont vite adhéré, d’autres moins. Jusqu’à présent, ils fonctionnaient en vase clos sur une base arbitraire. Mais le sens de l’histoire veut qu’ils s’adaptent”, défend pour sa part Laurent Lhardit, adjoint à l’économie. L’élu explique avoir rencontré, depuis quelques mois, plusieurs promoteurs “venus d’ailleurs” et plein de bonnes idées pour construire autrement.

Mais d’autres se questionnent aussi sur son application. “Cette charte ne pèse pas lourd. C’est bien de vouloir remettre de l’ordre dans le fonctionnement de cette ville, de moins gérer au cas par cas avec les promoteurs, mais je n’y crois pas”, considère pour sa part Emmanuel Patris, de l’association Un centre-ville pour tous. Une analyse que partagent certains architectes. “Nous approuvons cette charte dans les grandes lignes, mais elle est basée sur une approbation volontaire. On ne peut qu’émettre des doutes sur son application concrète”, développe Maxime Repaux, président du syndicat des architectes des Bouches-du-Rhône.

Pour lui, “il faut qu’elle soit traduite en règles légales, dans le PLUI [plan local d’urbanisme intercommunal, ndlr] ou en arrêté municipal.” Et l’architecte de pointer “le courage politique” nécessaire pour y parvenir et “l’intention d’y aller progressivement” de l’élue à l’urbanisme. Du côté de l’Ordre des architectes, qui a travaillé en étroite collaboration avec la mairie dans ce projet, on soutient forcément la méthode. “Ce projet de charte tient la route. Elle permettra de dire lors des instructions quand des projets ne respectent pas le paysage. C’est un bon outil de dialogue avec la métropole pour faire évoluer le PLUI”, veut croire Raphaëlle Segond, membre du conseil régional de l’Ordre.

S’appuyer sur la charte pour influer sur le PLUI, compétence de la métropole détenue par la droite ? Mathilde Chaboche entend bien aller dans ce sens. Cette semaine, lors des conseils d’arrondissement, plusieurs élus LR ont dénoncé une charte réalisée “sans véritable concertation et dans l’entre-soi.” Et rappelé que, pour le moment, “seul le PLUI reste force de loi”. Mais la concession accordée à la majorité municipale sur l’obligation plus forte d’intégrer des logements sociaux dans les programmes immobiliers montre bien que la pression peut faire bouger les lignes.

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Commentaires

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  1. Karo Karo

    La ville de Montpellier s est dotée depuis 2011 d’un document similaire
    https://www.montpellier.fr/4034-grille-aura.htm
    et pourtant les promoteurs continuent à construire en intégrant les principes de celle ci dont le contenu vont bien plus loin que celles décrites dans l’article . Est ce que les promoteurs montpellierains seraient plus intelligents que les marseillais ?

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    • Alceste. Alceste.

      Non, ce sont nos élus qui le sont moins

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    • Assedix Assedix

      Une démarche certes prudente parce le texte risque d’avoir peu de poids en fin
      de compte mais en revanche dans les ambitions chiffrées : 70 m2 minimum pour un T3, des chambres de 12m2, 2,70m sous plafond ça me paraît très très au-delà de ce qui se fait actuellement, limite trop ambitieux.

      (Bien sûr si je me permets de le dire c’est parce que le logement que j’occupe est un peu en dessous de ces préconisations et me part tout de même confortable)

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    • Assedix Assedix

      *paraît tout de même confortable

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  2. picto13 picto13

    Enervante cette ritournelle qui affirme à longueur d’articles qu'”on ne construit pas assez à Marseille”. Allez faire le tour des bétonneuses qui tournent à fond dans le 8e ou le 9e (Michelet, Bonneveine, Borely, Sablier, San Remo, Ste Anne, etc.) : des programmes démesurés “au coeur de la nature”, des centaines de logements “dans un emplacement privilégié avec vue mer”. Qui peut acheter ces appartements ? Des Marseillais ? Alors que les besoins de logements en centre ville sont criants. Mais la rénovation rapporte certainement moins aux promoteurs que la construction de cages à lapin de luxe…

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  3. BRASILIA8 BRASILIA8

    De la com encore et toujours de la com . Pourquoi voulez vous qu’un promoteur se complique la vie avec des mesures non contraignantes ?
    Ils serait temps que les politiques prennent conscience qu’ils n’ont plus aucun pouvoir au niveau local . Les lois sont préparées par les lobbies divers et variés votés par des députés aux ordres le reste c’est de la poudre aux yeux .

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  4. Pascal L Pascal L

    La photo illustre bien le problème : quatre (même si H99 ne se fera peut-être jamais) immeubles des très grande hauteur entourant une courette de 100 m² et bordés de route à grande circulation donc pas d’espace piétonnier suffisant.

    Des places de parking souterrain en nombre trop limité (à Blagnac, chaque appartement jusqu’au T3 doit disposer d’une place, à partir du T4 2 places, A Marseille mêm pas une place par appartement) donc plein de voitures qui stationnent à l’arrache, de préférence sur les trottoirs car c’est plus sûr pour ne pas se faire arracher le rétroviseur.

    Le parc habité de l’autre coté de l’autoroute c’est incroyable : des rues étroites qui ne voient plus le soleil tellement les immeubles sont hauts et serrés, des voitures partout, en stationnement sauvage, et des espaces (des courettes) verts de taille ridicule et fermé au public, bref un lieu où il ne fera pas bon vivre avec pour conséquence à moyen terme une dégradation rapide des lieux
    .
    Les grandes cités Marseillaises devenues des zones n’ont pas servies de leçon.

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  5. CAT13 CAT13

    Cela marque le début d’une volonté politique enfin! Sous l’ère Gaudin les promoteurs ont fait ce qu’ils ont voulu avec des programmes souvent inadaptés au contexte, une pauvreté architecturale, sans parler de l’intégration dans la ville où on a construit à tout va des ensembles immobiliers sans se soucier des infrastructures routières, des équipements publics etc…La ZAC des Hauts de Ste Marthe en est une parfaite illustration et est à ce titre un véritable scandale.
    Vouloir imposer des règles minimales d’habitabilité me paraît être aussi une bonne chose, mais aussi des logements traversants, des ilots de verdure.
    Des pièces à vivre minuscules et des logements mon-exposés sous nos latitudes auquel s’ajoute le réchauffement climatique, quelle hérésie! Les appartements de centre-ville d’époque dits 3 fenêtres marseillais, traversants et munis de volets à persiennes, ne doivent pas leur configuration au hasard.
    Les promoteurs finiront bien par se plier aux règles!

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  6. petitvelo petitvelo

    Si on pouvait au passage interdire les balcons avec évacuation des eaux sur la tête des passants …

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  7. Assedix Assedix

    Honnêtement, je suis étonné de me retrouver tout seul à contre courant sur ce sujet mais il me semble que les minima énoncés pour les surfaces des différents types d’appartement sont tout à fait irréalistes. A titre de comparaison, le Castel qui se présente comme une résidence de prestige propose des T2 de 40m2 soit 10 de moins que la charte et des T3 de 64m2. Qui peut croire qu’aucun des programmes à venir ne fera moins bien ?
    Il aurait été plus constructif, me semble-t-il, de fixer des minima réalistes et d’essayer de les faire respecter plutôt que de multiplier les entorses…

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    • GlenRunciter GlenRunciter

      J’avoue moi non plus ne pas comprendre. Je suis un béotien mais je me dis que les enjeux de demain doivent être : isolation, économie d’énergie, pas trop chaud l’été… Non ? Donc je ne ne vois pas que vient faire un minima étendu pour un T1, et des plafond à 2,70 m.. Plus c’est haut plus c’est dur a chauffer non ? Si un sachant peut m’éclairer…

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  8. GlenRunciter GlenRunciter

    J’imagine qu’il serait totalement indécent de demander du “beau” et de l’harmonieux ?!! Quand je vois par exemple sur le Prado ce bâtiment d’acier et de verre de 20 m de haut accolé à un belle demeure en pierre de taille, je me pose vraiment des questions….

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