[Béton aimé] Le Saint-Georges, grand œuvre d’un bâtisseur méconnu

Série
le 20 Août 2021
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Tout l'été, Marsactu vous emmène à la découverte de raretés en béton, labellisées "patrimoine du XXe siècle", discrètes traces des architectes novateurs du passé. Récemment rénové, le Saint-Georges, construit près des Catalans, retrouve un peu de son éclat d'antan. Il fût le fleuron de l'entrepreneur Louis Cottin, apôtre de la construction fonctionnelle et inventeur d'une unité d'habitation très catholique.

Depuis la place du 4-Septembre, le Saint-Georges dévoile sa forme ondulée. (Photo : B.G.)
Depuis la place du 4-Septembre, le Saint-Georges dévoile sa forme ondulée. (Photo : B.G.)

Depuis la place du 4-Septembre, le Saint-Georges dévoile sa forme ondulée. (Photo : B.G.)

Lentement un géant de béton émerge de l’anonymat. Dans quelques semaines – si tout va bien – le Saint-Georges devrait être débarrassé de la menace d’un péril grave et imminent qui lui colle à la peau depuis septembre 2018. Il a même perdu le filet qui protégeait les passants et les élèves de l’école du même nom des éclats de béton qui de temps à autre s’envolaient avec le mistral. Situé juste à côté de la plage des Catalans (7e), cet immeuble de grande hauteur de près de 80 mètres est labellisé “architecture contemporaine remarquable” par le ministère de la Culture. Il forme un pendant fonctionnel à la Cité radieuse de Le Corbusier, construite une décennie plus tôt.

Unité d’habitation les pieds dans l’eau, l’immeuble offrait lors de sa livraison en 1962 en plus des logements une église flambant neuve, une salle de spectacle dernier cri, un restaurant panoramique, un hôtel trois étoiles et des commerces. Il n’a plus le lustre d’antan : les étages du restaurant accueillent les bureaux de l’association régionale des offices HLM. La salle des congrès à la pointe de la modernité a été transformée en un centre d’animation municipal qui git depuis dans son jus. Pourtant, le geste architectural est toujours là.

Un immeuble, trois hauteurs

La proue et la voile du Saint-Georges côté avenue de la Corse. (Photo : B.G.)

“J’ai beaucoup fréquenté, aimé et défendu le Saint-Georges, se souvient, ému, Philippe Oliviero, l’ancien directeur de l’association régionale des offices HLM qui y a passé 25 ans. Ce que j’aime surtout est qu’il soit un immeuble îlot, bordé par trois rues, qui offre à chaque fois une perspective différente. Dans la rue qui mène aux Catalans, l’église apparaît de plain-pied ; du côté de l’avenue de la Corse, il est dans la continuité des immeubles de la rue. On n’a jamais l’impression d’être au pied d’un immeuble de 20 étages qui est pourtant la tour centrale“.

La grande voile de béton affiche une curieuse torsion sur son îlot en triangle, comme si elle attendait un grand souffle de vent fou pour prendre le large. Mais l’immeuble de grande hauteur n’est plus le phare de modernité qu’il prétendait incarner à son inauguration.

Une croix blanche sur fond rouge

Vues du restaurant panoramique et de l’hôtel extraites de la plaquette du Saint-Georges. (Archives familiales)

Le Saint-Georges est le grand œuvre d’un homme, Louis Cottin. Son nom n’est pas connu du grand public, mais le blason de la Savoisienne – une croix blanche sur un fond rouge – orne encore le fronton de bien des immeubles aux quatre coins de Marseille et du département. Louis Cottin est un bâtisseur comme rarement l’histoire de la ville en a connu. Ses immeubles en béton, robustes et fonctionnels se comptent par centaines du Nord au Sud. Parmi ceux-ci, le Saint-Georges s’élève comme un phare. Le symbole en béton d’un homme aux mille vies.

Sa fille Sylvie Cottin a ouvert pour Marsactu les deux gros classeurs rouges qui constituent la mémoire de ce fleuron en béton. Directrice d’une agence de communication installée au rez-de-chaussée de la maison familiale, Sylvie Cottin ne s’étend pas sur la postérité de son père. En feuilletant ces archives, les trente glorieuses marseillaises se déploient et avec elles, l’assurance d’un capitalisme triomphant, synonyme de modernité.

Louis Cottin accueille le ministre Louis Joxe dans son stand permanent de la Foire de Marseille. (Photo : archives familiales)

L’homme de plusieurs vies

Louis Cottin a déjà connu deux ou trois vies et deux guerres quand il baptise la Savoisienne après une visite d’agrément dans le département du même nom. Entrepreneur en remorque, il est le promoteur du premier projet de mosquée sous la mandature d’Henri Tasso, puis résistant et enfin bâtisseur sans frein après avoir découvert les principes de la construction industrielle en 1947. Tous les jours, Louis Cottin traverse la Canebière pour rejoindre la corbeille de la bourse de Marseille où son entreprise est cotée.

En 1965, Gaston Defferre lui remet le diplôme “prestige de la France” dans les salons du restaurant panoramique.

En 1965, il revendique 4500 logements bâtis, ce qui fait dire à l’ancien ministre, Henry Laforest que la Savoisienne est “la plus importante société française de construction privée”, lors de la remise du diplôme “prestige de la France”. L’homme soigne ses relations, notamment au sein de l’appareil municipal. C’est le maire d’alors, Gaston Defferre, qui signe les permis de construire puis lui remettra le parchemin prestigieux dans les salons du restaurant qui coiffe l’édifice. Sa famille y passait tous ses dimanches, après la messe dite dans l’église du rez-de-chaussée.

L’image du patronat capitaliste

L’homme est un apôtre du capitalisme paternaliste. Très tôt, son groupe est doté d’un service social. Tous les employés sont invités une fois par an au “banquet de la Savoisienne” dont la presse locale fait l’article. Naturellement, son grand œuvre doit célébrer l’alliance entre le patronat et l’église. Dans le hall de l’immeuble, un vitrail signé Max Ingrand montre Saint-Georges terrassant le dragon, son bouclier à son bras est l’écusson de la Savoisienne.

Le vitrail du hall d’entrée du Saint-Georges, orné d’un vitrail de Max Ingrand. (Photo : B.G.)

Le terrain sur lequel le Saint-Georges est édifié est propriété de l’évêché. La notice que lui consacre le ministère de la Culture précise que l’immeuble est bâti “sur les terrains d’une usine de peinture détruite en 1944 et d’une église dédiée à Saint-Georges par son curé”. C’est d’ailleurs cette particularité historique qui a permis au promoteur de déroger aux règles d’urbanisme en vigueur à l’époque, au titre de l’effort de reconstruction. Il reçoit même le soutien d’un ministre de la reconstruction Pierre Sudreau qui l’autorise à surplomber la caserne toute proche.

Une cheminée en guise de clocher

Quant à l’Église, elle voit arriver ce projet avec enthousiasme. À côté de l’usine de peinture, le chanoine Castellin gère une église et des salles paroissiales, une école confessionnelle et un cinéma. Son clocher est une cheminée, vestige du passé industriel du lieu. “Cheminée”, c’est aussi le nom du bulletin paroissial qui, en 1963, revient sur la transformation du lieu. “Au cours de ces dernières années, il était bien soucieux, écrit le rédacteur. Un beau jour, il s’aperçut que le mur du presbytère se fendillait. Les jours de grand mistral, la cour se remplissait de morceaux de tuiles”.

Des images de l’ancienne paroisse Saint-Georges avant sa destruction, extraites de la plaquette du Saint-Georges.

Des travaux de confortement sont entrepris mais ils ne suffisent pas. Le projet est lancé avec Louis Cottin en moteur principal et l’architecte Claude Gros pour dessiner les plans. Les multiples dérogations nécessaires enlisent le projet. Le chanoine s’éteint avant d’en voir la première pierre posée par l’archevêque. L’église avec son immense vitrail d’un seul tenant et ses sculptures de François Bouché est inaugurée en 1962 avec une messe, en grande pompe, pour les employés de la Savoisienne. Depuis, l’Église est dispensée des charges de copropriété.

“Individuel, familial et social”

La grande tour qui dessine le vaisseau principal de l’ensemble est inaugurée en présence du maire et de grandes personnalités locales et nationales, un an plus tard. Ce n’est pas un simple immeuble qui est ainsi érigé. Louis Cottin porte un projet qui le dépasse. Dans ses archives, on retrouve un brouillon de la plaquette que la Savoisienne, corrigé de sa main :

“Dans les perspectives d’un urbanisme avide de grands ensembles collectifs, l’histoire du Saint-Georges est une illustration harmonieuse de ce que doit être un cadre, un climat, à la mesure de l’homme. L’homme qui est pris dans un triple aspect : individuel, familial, de voisinage [ barré et corrigé] social.”

Le promoteur a peu de mots pour célébrer le geste de l’architecte. Le nom de Claude Gros, pourtant auteur de grands ensembles dans toute la ville, est à peine cité dans la plaquette rouge. Sur la plaque posée lors de l’inauguration, les deux concepteurs du Saint-Georges sont Lucien Gros, vicaire général du diocèse et Louis Cottin. L’architecte véritable est renvoyé aux seuls “plans d’avant-projet”. Les plans définitifs sont dus au bureau d’étude de la Savoisienne et du cabinet Laupies. Ce sont les indices d’un différend durable entre les deux parties. C’est ce que précise la notice du ministère de la Culture :

“L’architecte ne suivra pas l’exécution de l’ouvrage, ce qui donnera lieu à plusieurs recours notamment auprès de la Commission des Sites sur la question des couleurs mises en œuvre qui ne respectent pas le projet initial.”

De ces couleurs, il ne reste plus grand-chose. Si ce n’est des traces de rouge écaillées sous les fenêtres. “Il paraît que ce rouge est un vestige de la couleur pourpre d’origine posée sur des tôles émaillées de chaque fenêtre en référence aux couleurs de l’église, croit savoir Marc Delestrade qui dirige D4, syndic de l’immeuble aujourd’hui. Cette couleur a bien résisté aux intempéries. D’ailleurs, toute tentative pour la recouvrir de peinture échoue”.

Une des vues des tôles émaillées rouges, qui résistent à toutes les tentatives pour les recouvrir. (Photo : B.G.)

Le rouge de la Savoisienne

Plutôt qu’une référence ecclésiale, ce rouge est un rappel de la couleur du groupe immobilier dont le Saint-Georges est le fleuron. Dès qu’une personnalité de renom débarque à Marseille, Louis Cottin le reçoit dans son restaurant. C’est le cas du cosmonaute russe Alexeï Leonov, le “premier piéton dans l’espace”, du ministre soviétique de la construction, de plusieurs ministres gaullistes, de stars du cinéma ou d’académiciens. Toutes ces personnalités se retrouvent dans le livre d’or de la Savoisienne et dans les quotidiens locaux où Louis Cottin prend soin de prendre d’abondantes publicités.

Photo d’un repas entre Louis Cottin et les patrons du Méridional et du Provençal, extraite des classeurs de ses archives. (Photo : B.G.)

Jusqu’à la fin de sa vie, Louis Cottin n’aura de cesse d’entretenir la postérité de son œuvre bâtisseuse, entre deux toiles de peinture provençale. Sa dernière secrétaire le suivit à la retraite pour l’aider à entretenir cette mémoire et soigneusement remplir ces épais classeurs rouges. Atypique jusqu’au bout, il a été enterré dans une chapelle œcuménique bâtie au centre d’un lotissement de Bouc-Bel-Air.

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Commentaires

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  1. N SV N SV

    Très intéressant merci. J’avais cherché à en savoir plus sur ces immeubles avec La Croix de Savoie, mais sans trouver grand chose.

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  2. Pussaloreille Pussaloreille

    J’ai toujours eu de l’affection pour ces mignons immeubles de béton dont les écussons parsèment Marseille. Moi aussi je suis contente d’apprendre la saga de leur créateur (y compris le détail « people « du lien familial avec la sympathique et très professionnelle Sylvie Cottin).

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  3. Mars1 Mars1

    Super article qui permet de regarder la ville avec plus d’attention et de découvrir l’histoire locale également.
    Merci.

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  4. Alceste. Alceste.

    Ayant habité des logements de la Savoisienne, je peux confirmer une excellente qualité de construction.

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  5. Coquelicot Coquelicot

    mon premier appart à Marseille : une savoisienne à Endoume… Des plans géniaux, mais une acoustique effroyable : On peut suivre les conversations des voisins… Je croyais que c’était des hlm d”époque. Merci pour cet historique.

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