[Béton aimé] À Saint-Menet, une splendeur de Pouillon dans une coque en chocolat
Tout l'été, Marsactu vous emmène à la découverte de raretés en béton, labellisées "patrimoine du XXe siècle", discrètes traces des architectes novateurs du passé. Nombreux sont ceux qui se souviennent des effluves de chocolat de l'usine de Saint-Menet, dans le 11e arrondissement. Elles cachent un trésor architectural beaucoup moins connu des Marseillais.
L'usine Nestlé n'est plus en activité, mais le bâti paraît par endroits intact. (Photo GM)
La zone industrielle de la vallée de L’Huveaune ronronne doucement en ce mois de juillet, accompagnée par le chant ininterrompu des cigales. Coincée entre l’autoroute A50 et le fleuve côtier, l’ancienne usine Nestlé à l’arrêt depuis 2019 s’excuse d’être toujours plantée là, derrière l’usine Arkéma et son labyrinthe de tuyaux et de fumée.
À sa mine décrépie, on en oublierait presque que le site recèle en son sein un patrimoine architectural de premier plan. Car l’usine, construite en 1952, est un exemple remarquable du courant rationaliste en vogue dans les années 1930. Ici, rien de baroque, du béton, des lignes droites et des grands espaces, sans ornementations additionnelles.
Un patrimoine remarquable du XXIe siècle
Pensé par les architectes Fernand Pouillon et René Egger, le site se déploie selon une ossature de béton aux lignes épurées et fonctionnelles. Un jeu de ciment et de lumière salué par la commission régionale du patrimoine et des sites (CRPS), qui l’inscrit en 2000 à l’inventaire du patrimoine remarquable du XXe siècle.
Basés sur des structures en béton, les bâtiments comportent des galeries, escaliers ou rampes qui animent les façades, et qui les distinguent des lieux de production, considérés comme purement fonctionnels, et dénués d’éléments décoratifs. Les variations de couleur et de texture, notamment sur les panneaux de remplissage, contrastent avec les éléments de structure de couleur grise, contribuant à créer des jeux de lumière. L’organisation soignée des bâtiments autour d’espaces paysagés a donné à cet ensemble son nom d'”usine verte”.
Extrait de la fiche de la direction régionale des affaires culturelles
Depuis le départ de Nestlé en 2006 et les reprises successives jusqu’à la fermeture définitive du site en 2019, cette splendeur bétonnée dort à l’ombre de l’autoroute A50. Jean, 78 ans, habite le boulevard de la Millière à deux pas de l’usine. Il se souvient : “Quand l’usine tournait à plein ballon, les gars de Nestlé venaient boire des coups et manger sur le boulevard, maintenant il y a Arkéma mais ça brasse moins de monde”
Tout commence par une période faste, celle de l’implantation de Nestlé dans la vallée en 1952 où la firme suisse emploie jusqu’à 1400 salariés réunis dans les unités de fabrication du chocolat et de café soluble. Une épopée industrielle dont le site de production est construit et pensé par deux architectes à l’empreinte déjà très forte à Marseille. Le style rationaliste est alors dans l’air du temps, au service de Nestlé et son paternalisme industriel assumé. Porte d’entrée des fèves de cacao et principal relais de l’empire colonial, la ville portuaire de Marseille offre un cadre idéal pour la firme mondiale. L’accueil est à la hauteur : le tracé de l’autoroute A50, alors en construction, est dévié pour s’adapter à l’arrivée du site.
L’année 2006 marque une rupture dans l’histoire du site. Aux termes des négociations entre Nestlé et l’État pour limiter l’impact social de la fermeture, il est scindé en deux. Le plus gros est confié au groupe Goodman pour y développer des bureaux, vus comme une source d’emplois tertiaires en compensation. L’aménagement paysager se mue alors en argument commercial de ce parc d’activités “Valentine Vallée verte”, de même que les dizaines de milliers de mètres carrés de bâtiments administratifs de l’œuvre de Pouillon et Egger, conservés et rénovés.
Des mochis, de la bière et de l’artisanat
L’autre pan, qui comprend une part de l’outil industriel, est cédé à Netcacao, qui reprend 180 salariés de Nestlé. Mais cette prolongation de l’activité durera moins de quinze ans, avec une étape intermédiaire en 2012 et l’arrivée de groupes russes. La production est arrêtée en 2019 et l’entreprise toujours nommée Chocolaterie de Provence s’oriente elle aussi vers la location de bureaux.
Lorsque Marsactu s’y rend pour revenir sur son héritage architectural, rien ne semble avoir bougé. L’ossature béton garde comme un mausolée solennel les fantômes ouvriers du passé. Thierry, agent de sécurité, monte la garde à son poste et nous demande de décliner notre identité. Deux Clio grises d’auto-écoles s’essayent au rangement en bataille devant les silos décrépis de l’usine.
Pourtant, loin du sentiment de capitulation que laissent transparaître les lieux, quelques entreprises y louent des locaux. Ces dernières sont peu nombreuses et ne permettent pas, sans doute, de rentabiliser les 4,8 ha de foncier mais leur présence donne de la vie sur le site. Premiers locataires en date, Sylvain et Salem, co-fondateurs de la micro-brasserie marseillaise La Brasserie de la Plaine se sont installés en 2017 dans la partie sud du site. “Avant 2017, nous étions sûrement la brasserie qui brassait le plus au mètres carré à Marseille” s’amuse Sylvain lorsqu’il pense aux 100 mètres carrés de leur ancien local situé dans le 6e arrondissement, tout près de la Plaine.
Dans leurs locaux à Saint-Menet, bien plus grands, le sol est encore gras des fèves de cacao stockées ici pendant des décennies. À notre arrivée, l’équipe s’affaire pour réparer un cadre de refroidissement pour les cuves de malt. “Il y a toujours quelque chose à réparer” soupire Sylvain, ancien pharmacien de 45 ans. L’équipe officie ainsi non loin de l’usine Heineken de la Valentine. “On utilise le même puits qu’eux même si on est beaucoup plus petit, sourit Jean-Julien, responsable administratif du site. Avant le site produisait des Maltesers, maintenant on brasse ensemble de la bière“, fait-il remarquer, devant les cuves pleine de malt. Cheveux longs frisés et sourire béat, cet ancien étudiant en économie a même repéré du houblon sauvage qui pousse aux alentours de l'”usine verte”.
Plus loin, des artisans indépendants s’affairent dans la trentaine de vestiaires que Nestlé avait prévu pour ses ouvriers. Rangés en ligne dans une succession de pavés de verres et de panneaux de grès rose, ces anciens vestiaires sont des exemples éclatants d’architecture Pouillon.
“Des loyers peu chers”
À notre arrivée, Ronan et Yohann découpent de l’acier dans l’un des vestiaires. L’entreprise reçoit des matières bruts qu’elle transforme en structures métalliques pour des pergolas ou des verrières.
“Le site est pratique, il y a de l’espace et c’est bien desservi avec l’autoroute, détaille Ronan, en pantalon bleu de travail et chaussures de chantier. Nos fournisseurs nous livrent et repartent direct, ça facilite le travail d’autant plus que le site est sécurisé.”
Laurent et Harmony occupent le vestiaire d’à côté. Ensemble, les deux anciens compagnons du devoir travaillent le bois pour des intérieurs haut de gamme. “Les ateliers sont tops pour commencer car les loyers sont peu chers, nous explique Harmony, devant des traces d’anciens casiers encore visibles sur les murs de l’atelier. Mais l’entreprise s’est développée depuis notre installation en 2018 et l’atelier est devenu trop petit, nous allons déménager dans des locaux plus grands.”
Outre l’exiguïté des ateliers, les contraintes du site classé Seveso, du fait de l’usine de pétrochimie Arkema située plus haut, pèsent sur ces indépendants. “Nous ne pouvons pas accueillir nos clients et nous n’avons plus accès au site car il est fermé à 19 h”, nous détaille Laurent.
Un caractère industriel marqué qui peut attirer d’autres usages. Outre le tournage du clip du morceau Self Made Men d’IAM en 2019, Plus Belle La Vie pose régulièrement ses caméras sur le site. “On peut tourner ici différentes ambiances, des scènes de kidnapping mais aussi des scènes chez le juge d’instruction dans les bâtiments de la direction, nous détaille la production. Nous y sommes allés cette année et nous y retournerons.” Sur site, on parle d’un possible studio de cinéma, sans que la direction ne puisse le confirmer.
Commentaires
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Pas très loin de là, l’église de la Barasse, “moderniste”, fait écho au béton de Pouillon, sur les berges du canal de Pagnol.
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Les bureaux du site ont été repris et son entretenus par le Domaine Vallée Verte, fondé sur la création d’un concept innovant de lieu de travail. Il propose une nouvelle génération de lieu, dans un environnement préservé. Une révolution pour faire cohabiter l’homme, la nature, le quotidien professionnel et l’épanouissement. https://www.domainevalleeverte.com/domaine-dexcellences/
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super souvenir de mon enfance, visite de l’usine NESTLE, c’était la sortie de fin d’année pour toutes les écoles de marseille.
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Quelle plaie cette usine chimique en pleine ville qui empêche le développement de nouvelles activités…
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Sans vouloir ouvrir un grand débat (je n’y travaille pas mais je la connais assez bien) : l’usine Arkema est là depuis bientôt un siècle… et c’est la ville qui a poussé autour.
Elle produit (seul site au monde !) un plastique très spécifique et breveté, le Rilsan, issu de l’huile de ricin (donc pas d’une énergie fossile). Elle emploie aussi pas mal de monde, et fait de gros efforts pour diminuer ses impacts (vu que tout le monde la surveille comme le lait sur le feu, du monde associatif à la DREAL). A ma connaissance elle est aux normes de qualité de l’air !
Donc oui, usine classée Seveso et située “en pleine ville” mais de là à l’appeler une plaie, c’est un peu court au vu de son intérêt industriel, social, stratégique etc.
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Article très intéressant, merci !
Bon, on dit décrépiTe (mais j’ai du aller vérifier…)
😉
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L’occasion de réécouter Brassens, Gare au Gorille :
Tout le monde se précipite
Hors d’atteinte du singe en rut,
Sauf une vieille décrépite
Et un jeune juge en bois brut;
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On n’a plus eu de nouvelles de la fresque de Pouillon détruite par inadvertance au Lycée Colbert
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