Confusion en terres de droite , entre “vote utile” et ” vote panaché” LR et RN

Reportage
le 20 Juin 2021
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Entre le vote utile pour Renaud Muselier et la tentation du vote RN pour Thierry Mariani, les électeurs de droite ont en main une partie du scrutin. Reportage dans les terres de droite pendant la journée du premier tour, au Sud de Marseille, à la rencontre d'électeurs déboussolés.

Deux électrices patientent devant le bureau de vote de l
Deux électrices patientent devant le bureau de vote de l'école Sainte-Anne. (Photo : BG)

Deux électrices patientent devant le bureau de vote de l'école Sainte-Anne. (Photo : BG)

Des éclats de voix troublent le début d’après-midi. “Ne touche pas à ma voiture ! Sale machiste !”, hurle une dame à l’entrée des bureaux de vote du lycée Périer. Elle apostrophe un vieux monsieur qui la regarde, interloqué. Les deux citoyens se sont garés en double-file pour exercer leur devoir démocratique dans ce double bureau de vote, acquis à la droite, qui borde la rue Paradis (8e). Aux municipales, Martine Vassal y était passée au second tour, malgré le maintien du candidat macroniste Yvon Berland quand le secteur des 6e et 8e arrondissements basculait à gauche pour la première fois depuis plus de 30 ans.

Un an plus tard, le trouble domine toujours. Cette fois-ci, c’est la stratégie d’ouverture de Renaud Muselier à la sphère macroniste qui a créé des fractures dans son propre camp. À la porte, l’ancien élu LR Philippe Berger, lui-même candidat aux départementales du côté du Camas, écoute imperturbable, un électeur lui asséner : “Les politiques, on les connaît, ils savent faire deux choses : promettre et dépenser.”

“Ceux qui veulent partir au RN qu’ils y aillent”

L’ancien adjoint de Gaudin admet qu’il ne reconnaît pas sa “famille politique, dans sa diversité, qui rassemblait du centre à la droite traditionnelle”. Pour lui, la confusion naît plus de la façon dont son parti a géré cette tentative d’ouverture que de l’ouverture elle-même. “Maintenant il nous faut un chef et ceux qui veulent partir au RN, qu’ils y aillent”, balaie-t-il.

À l’intérieur du premier bureau, Nicolas sent bien la tendance. Petite chaîne avec médaille de la vierge au poignet, il se décrit comme “d’une famille de droite traditionnelle qui va voter à droite après la messe”. Il ne vote plus depuis longtemps pour Les Républicains. Même s’il n’a pas la carte du parti, il est assesseur pour Stéphane Ravier et Bernard Marandat, “un ami de longue date”. Cet amoureux de la politique voit le moment “comme un glissement global de la société vers la droite dont le vote Mariani est le signal”.

Lui se dit plus proche de Marion Maréchal-Le Pen que de sa tante Marine Le Pen. “Parce que je suis plus sur des valeurs identitaires, de la droite catholique, qu’elle incarne bien, analyse-t-il. Sa tante va se tôler l’an prochain et la nièce attend son heure”. Le signe de ce glissement social tient en une anecdote : Marseillais depuis 35 ans, il a fini par “s’acheter un appartement à Aix, quartier Mazarin. Je suis un noctambule et je peux sortir le soir sur le cours Mirabeau alors qu’il n’est pas question que j’aille cours d’Estienne d’Orves à 2 heures du matin !

La tentation du “vote panaché”

Comme pour donner du corps à son analyse, arrive Hubert, son épouse et sa fille. Ensemble, ils ont décidé au repas de midi de procéder à un “vote panaché”. Tous les trois ont voté Thierry Mariani aux régionales et Martine Vassal aux départementales, qui se présente ici en binôme avec Lionel Royer-Perreaut. “C’est la première fois que nous votons pour le Rassemblement national, reconnaît le chef de famille. On était tous d’accord pour ne pas cautionner l’ouverture de Renaud Muselier à La République en marche. Jusque-là, nous avions une forme de réticence, mais nous avons passé le pas. Et puis Thierry Mariani, un ancien ministre LR, a le bon profil pour nous inciter à passer la porte“.

Muselier m’a tenu la jambe un quart d’heure au téléphone, c’est qu’il doit avoir peur.

Marcel, 87 ans

Coincé dans une impasse du quartier Saint-Anne, l’école Étienne-Milan est un beau modèle des écoles dites Pailleron, au jaune très seventies. Qu’ils viennent à pied ou en voiture, les électeurs prennent tous le temps de regarder le programme immobilier qui monte ses étages de béton à l’entrée de l’impasse. Marcel, 87 ans, clopine, casquette vissée sur la tête et chemise largement ouverte. Il a voté à droite aux deux élections “sans hésitation, car ce sont toujours mes idées”. En revanche, il ne se fait guère d’illusion : “les politiques ne se manifestent que lors des élections”. Renaud Muselier – dont il connaît la famille personnellement – l’a appelé il y a quelques jours. “Il m’a tenu la jambe un quart d’heure, c’est qu’il doit avoir peur”, sourit-il.

Comme lui, ils sont nombreux à avoir voté Muselier sans barguigner. Véronique, 63 ans, a voté à droite aux deux élections “Marine Le Pen, ce n’est pas ma famille politique. Y en a marre de focaliser sur la couleur de peau et l’insécurité, à croire qu’ils le font exprès pour faire monter le front”, râle-t-elle, assise dans sa voiture dont le moteur tourne toujours. À l’inverse, Jean-Dominique, 34 ans, a voté Mariani pour la première fois, “à cause de  l’attitude plus qu’ambigüe de Muselier”.

“J’ai voté Muselier. Felizia est un peu hors-sol”

À l’inverse, on croise également des électeurs de gauche qui ont glissé un bulletin Muselier pour la première fois. C’est le cas de ces deux copines, casques gris et attitude sportive, qui disent clairement “avoir voté utile”. “Je me suis fait plaisir avec l’union de gauche aux départementales”, se réjouit l’une d’elles. Et la liste d’union à gauche aux régionales ? Jean-Laurent Félizia ? “Personne ne le connaît et puis je l’ai écouté, il est un peu hors-sol”. Même chose pour Anissa qui ne s’est pas posé la question : “Le FN, ce n’est pas permis, si on est une femme, on ne peut pas voter pour ces gens-là”.

Comme ce secteur de droite est aussi une terre de contraste, Odile, 56 ans vote au même endroit. Cheveux longs raides, lunettes ailées, elle vote pour le RN depuis longtemps même si elle pense que même “avec Marine, ça sera trop tard”. “Elle va pouvoir freiner un peu, mais la situation est trop engagée, grimace cette zemmouriste assumée. Et puis il y aura toujours des associations pour tout judiciariser.” Elle a donc voté Mariani, “qui présente bien”, ignorant totalement qu’une candidate, Valérie Laupies, se revendiquait en soutien du polémiste. “Zou ? Ils ne pouvaient pas être plus clairs ?”, s’étonne-t-elle.

À l’école de Saint-Anne, ce quatuor d’amis prend le temps de regarder les affiches avant de franchir le pas du bureau de vote. Deux sur quatre ont glissé un bulletin pour la liste régionaliste “Oui La Provence”, pour le couple de votants souhaitant “censurer Muselier qui flirte avec Macron” et “bleu blanc rouge aux départementales”. Ils apparaissent bien incapables de justifier leur vote : “vous savez, on se décide toujours au dernier moment et si on votait encore demain, ça serait encore autre chose”, rient-ils en chœur.

Le dérèglement démocratique

À 18 heures pétantes, dans une petite ruelle du quartier de Mazargues, l’école du même nom voit arriver les électeurs au compte-gouttes. Pourtant, dans cette journée à très faible participation, les habitués tablent toujours sur une ruée de dernière minute. Elle n’est pas très franche dans ce vieux bâtiment du début du siècle.

Dans ce bureau du 8e, selon Pierre Robin, quatre assesseurs dépouilleront les votes, sans scrutateurs.

Dans une minuscule salle de classes, le conseiller municipal LR Pierre Robin attend les suffrages avec quatre assesseurs. À l’aune de son clan, il se désole de la désorganisation municipale de ces élections : “on n’a pas eu une bouteille d’eau, alors qu’on est là depuis 8 heures du matin”.

Lui aussi sent la confusion monter dans son propre camp. “Même s’ils gagnent tous les deux, [Martine Vassal et Renaud Muselier, NDLR], ils ne peuvent pas s’exonérer d’une réinvention, d’une reconstruction de la droite”. Mais ce qui inquiète le plus Pierre Robin tient dans le dérèglement continu “de ce rituel républicain”. Il y a l’abstention qui, élection après élection, devient chronique et puis cette désorganisation qui est pour lui, “le signe d’un affaiblissement de la démocratie”.

“Vous imaginez qu’ici on va dépouiller avec quatre assesseurs et aucun scrutateur, se désole le conseiller municipal de droite. Le Printemps marseillais n’a envoyé personne. Les partis n’ont plus assez de militants. Si ce rituel républicain se dérègle, c’est la démocratie qui vacille”. Le vent d’Est colore en ardoise les collines de Marseille. Il souffle en bourrasque, poussant un orage qui jamais n’éclate.

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