La dernière lutte des travailleurs immigrés du foyer Zoccola
Le foyer pour travailleurs immigrés Zoccola, dans le 15e arrondissement, s'apprête à un grand déménagement vers de nouveaux locaux. Face à l’augmentation des loyers et la suppression des lieux collectifs, les résidents multiplient les appels à soutiens.
Lors d'une soirée barbecue, les résidents anciens et actuels ont partagé des souvenirs de ce lieu chargé d'histoire. (Photo HS)
L’odeur des merguez et du yassa arrive jusque dans la rue, à quelques centaines de mètres du métro Gèze dans le 15e arrondissement. Le grand platane de la cour du foyer Zoccola Adoma (ex-Sonacotra) abrite ce mercredi soir un barbecue de soutien à la mobilisation des résidents contre le projet de réhabilitation de leur foyer pour travailleurs immigrés.
Installés à l’ombre dans des fauteuils en plastique, certains habitent là depuis plus de 40 ans. Ils ont observé l’évolution de ces lieux de vie collectifs à Marseille. En 1994 déjà, ils avaient mené une grève des loyers pour refuser leur augmentation. Bataille victorieuse à l’époque. C’est un scénario similaire qu’ils entendent aujourd’hui mener pour les générations suivantes, qui cohabitent désormais avec les plus anciens.
Foyer historique
Depuis 2016, Adoma prévoit de transférer les 115 résidents du foyer dans de nouveaux bâtiments, situés juste derrière les actuels locaux. La date du court déménagement approche à grand pas : il devrait avoir lieu au début du mois de juillet. Au lieu des chambres individuelles de 12 mètres carrés, des studios tout équipés entre 22 et 24 mètres carrés. Mais aussi, la suppression de la mosquée, des cuisines collectives et du parking… des équipements collectifs dont la perte suscite le plus de réactions chez les résidents.
Christophe Ricciarelli, directeur régional d’Adoma Méditerranée, place ce projet dans un processus national de réhabilitation des foyers pour travailleurs étrangers. “Ces bâtiments ont été construits à la va-vite dans les années 1960 et sont donc maintenant obsolètes, rappelle-t-il. Sur les 500 foyers en France, il en reste 124 à traiter. Mais déjà en 2019, dans nos foyers, il y a eu plus de studios que de chambres individuelles. C’est un cap historique”.
Le foyer Zoccola a, lui aussi, une dimension historique, comme tiennent à le rappeler les résidents. C’est là que s’est créé le premier collectif de sans-papiers en France autour de la figure de Baba Camara, alors président du comité des résidents. Ce qui en fait un haut lieu des luttes sociales des travailleurs immigrés à Marseille et en France. Un homme venu manger des merguez avec ses anciens voisins de chambre raconte son attachement à ce lieu particulier : “ici, c’est un foyer central à Marseille. En plus, on a de la place, il y a une cour avec un arbre, on ne dérange personne : c’est rare dans les foyers pour travailleurs étrangers. Quand on fait la fête, tous les foyers de Marseille viennent ici !”. Lui est arrivé en France en 1998 et a vécu au foyer dix ans. S’il a dû en déménager, il s’est installé juste à côté et continue de s’y rendre tous les jours. Pour lui, Zoccola, “c’est le paradis !”.
Cuisine collective en autogestion
Simballah Diakité, arrivé en France il y a 10 ans, est le référent pour l’organisation des repas. Il détaille le fonctionnement des cuisines collectives autour duquel s’organise le foyer depuis des années : “Ceux qui travaillent cotisent 30 euros chaque mois pour que ceux qui ne travaillent pas puissent cuisiner pour tout le monde”. Ce résident mauritanien de 38 ans a pris le relais de son père arrivé en France dans les années 1960. Grâce à ce système de cotisations, les plus jeunes, arrivés récemment, parfois sans papiers et sans travail, peuvent tenir le temps de régler leur situation administrative, parfois de suivre une formation, avant de trouver du travail.
“Ils [Adoma, ndlr] savent très bien qu’on a une organisation collective basée sur des parties communes, comme les cuisines, déplore un résident du foyer, sans-papiers, qui préfère rester anonyme. Ils veulent casser ça pour empêcher la convivialité et notre organisation et ça va mettre plein de gens dans la galère”. Simballah Diakité partage cet avis : “pour moi qui ai un CDI, ça me dérange pas de déménager, mais par contre ça va être chaud pour ceux qui n’ont pas de papiers et qui ne travaillent pas. Comment ils vont faire, comment ils vont vivre ?”
Réhabilitation et hausse des loyers
Pour Adoma, c’est surtout l’état du foyer qui nécessitait ce déménagement : “Ces locaux ont 40 ans, ils sont en bout de course, il y a des fuites dans les tuyaux, justifie Christophe Ricciarelli. Aujourd’hui, on est très contents de pouvoir faire cette réhabilitation”. Le terrain sur lequel se trouve actuellement le foyer Zoccola intéresse aussi l’aménageur de l’État, Euroméditerranée. Le directeur d’Adoma le concède : “la requalification du quartier par Euromed a facilité les choses.” Contactée, la présidente de l’établissement public, Laure-Agnès Caradec explique les projets prévus sur le terrain du foyer actuel, qui doit être rasé : “on veut le valoriser pour prolonger la rue Allard et y faire une voie d’accès au futur parc urbain qui traversera la gare de Canet. Nous voulons en faire un espace public”.
Actuellement, la chambre de 12 mètres carrés coûte près de 400 euros par mois. Le nouveau projet comptera 108 studios entre 22 et 24 mètres carrés à 460 euros par mois et 62 chambres de 18 mètres carrés à 386 euros par mois. Une hausse du montant total du loyer non négligeable pour certains de ces travailleurs précaires, même si Adoma justifie la hausse par l’augmentation de la surface et de l’ajout de cuisines intégrées dans chaque chambre.
Concertation et déconcertation
En 2016, à l’annonce du déménagement et de ces nouvelles conditions, le comité des résidents et le comité des précaires et des chômeurs de la CGT ont écrit à la direction d’Adoma pour exiger une réunion, puis ont lancé une pétition. Sans réponse, selon un résident du foyer membre du comité précaires-chômeurs. Entre temps, les nouveaux bâtiments se sont construits pendant le premier confinement, en 2020. “Ils acceptent très peu le dialogue, ils sont dans une logique colonialiste et paternaliste et disent que les résidents veulent déménager”, assure Chloé Lola, membre du comité, venue en soutien des résidents.
Le directeur régional d’Adoma rectifie : depuis le début du projet, trois réunions de consultation ont été organisées chaque année, indique-t-il, “et plus en cas de problématiques précises”, sauf en 2020 à cause des conditions sanitaires. Lui voit dans le mouvement d’opposition des résidents une “réaction de transition. On n’en est pas à notre première réhabilitation, on a déjà vu ce genre de réaction, commente-t-il. Vous verrez, dans six mois, on n’en parlera plus. En tout cas, je l’espère”.
Le point d’achoppement se trouverait selon lui dans la suppression des lieux de culte dans le nouveau foyer : “Pour des raisons de laïcité, on n’a pas à héberger des lieux de cultes. Et autant dire les choses, à Zoccola, il s’agit d’une mosquée”. Lors du barbecue mercredi, nos interlocuteurs déploraient cette perte, mais évoquaient surtout la perte de la vie en collectivité. À la suite d’une convention signée avec les résidents, une “salle polyvalente” sera mise en place dans les nouveaux bâtiments.
Une réunion a finalement eu lieu en avril 2021 entre le comité des résidents, la CGT et la direction d’Adoma. La direction d’Adoma y a fait de “petites concessions”, selon le syndicat, comme la suppression de la caution dans les nouveaux logements. Le grand déménagement est tout cas imminent. Les résidents opposés au transfert, appuyés par la CGT, comptent mobiliser autour de leur cause, notamment avec une soirée de soutien prévue le 26 juin à la Bourse du travail. Et tout faire pour retarder le déménagement. Une dernière lutte en mémoire de toutes les autres.
Actualisation le 11 juin à 17 h : ajout de la citation de Laure-Agnès Caradec concernant le terrain
Commentaires
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Merci pour cet article éclairant un angle mort de l’actualité locale. Et puis de donner la parole à tous les acteurs.
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Bonjour,
Actuellement la chambre de 12 mètres carrés coûte près de 400 euros par mois / dans la nouvelle résidence 18 mètres carrés coûteront 386 euros. Je ne comprends pas pourquoi vous parlez de hausse des loyers ?
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En effet cher @Alfonse, notre amie Hélène se serait-elle mal renseignée? Mis à part le fait que les conditions de vie seront un peu différentes (pourront-ils se rencontrer dans un espace dédié, barbecue etc?). Sinon, logement neufs, que du bonheur (si j’ose dire).
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