Marseille se tape un zéro pointé en lecture publique
Marsactu s’est procuré un rapport sur l’état du réseau des bibliothèques à Marseille. Le constat est terrible surtout quand on compare l’offre à ce qui se fait dans d’autres grandes villes.
© Benoît Gilles
Au début du mois de septembre, le directeur des bibliothèques de Marseille, Christian Laget est sorti par la petite porte de l’Alcazar. Celle par laquelle les directeurs finissent tous par partir en la claquant plus ou moins. C’est le troisième à quitter son poste depuis l’ouverture en 2004 du vaisseau amiral du réseau de bibliothèques. “Ce n’est pas une punition”, se défend Anne-Marie d’Estienne d’Orves, adjointe à la culture, en réponse à toutes questions. Le directeur des affaires culturelles assure l’intérim mais les bibliothèques se retrouvent sans directeur, ni projet.
L’élue à la culture a tout de même de quoi potasser en attendant de pouvoir faire voter le “projet scientifique et culturel” resté en plan. Depuis des mois, elle a sur son bureau un rapport circonstancié sur la situation de la lecture publique à Marseille. Commandé par la Ville au cabinet parisien ABCD, ce rapport établit un diagnostic préalable à la mise en place d’un contrat Ville Lecture avec le ministère de la culture. Et le diagnostic décrit un élève assis tout au fond de la classe, près du radiateur. Un cancre avec zéro pointé en lecture publique.
Plus faible qu’ailleurs
En effet, les spécialistes du cabinet ABCD ont cherché à comparer Marseille à Paris, Lyon, Toulouse ou Nice, du benchmark comme on dit dans ce milieu. Sur l’ensemble des critères retenus, Marseille est derrière tout le monde comme le résument les graphiques présentés ci-contre. Le rapport d’ABCD en tire un constat sans appel : “La ville de Marseille manque de bibliothèques et les moyens dédiés à la lecture publique sont donc plus faibles qu’ailleurs. Le nombre de bibliothèque est de loin le plus faible des différents cas étudiés alors que la ville est dotée d’une superficie importante”.
À ce titre, un chiffre est particulièrement éclairant. Si on rapporte le nombre de mètres carrés de biblis ouvertes à celui des habitants, on obtient un ratio de 0,030 m2 par habitant (une demi-feuille A4), “soit deux fois moins que ce que l’on observe au niveau national”. Certes, ce chiffre est proche de celui de Paris mais la capitale compte 58 bibliothèques, un réseau de métro qui les rend accessibles et accessoirement la bibliothèque nationale de France.
Pour l’ensemble des indicateurs, le score marseillais s’effondre comme une étagère mal posée : “Un nombre de documents par habitant 2 fois inférieur au moins à l’offre de Lyon, Toulouse et Nice”, des acquisitions annuelles 2 à 3 fois inférieures aux autres villes. Même chose pour les places assises, les postes internet… Quant à l’amplitude horaire, elle serait plutôt dans la moyenne des autres villes (avec 4 ou 5 heures de moins tout de même) si la municipalité n’avait pas décidé de réduire jusqu’à nouvel ordre les plages horaires de Bonneveine et du Merlan, faute de personnel.
Le seul point positif tient en un mot : Alcazar. Le gros des lecteurs habitent à proximité, c’est là que l’on trouve la meilleure ressource documentaire et la plupart des évènements organisés. Mais tout n’est pas rose. Les bibliothèques n’ont gagné que 7 486 emprunteurs actifs depuis 1993. Marseille a gagné des habitants depuis mais peu de lecteurs.
Partenaire d’OCB
En gros, il manque 9 150 m2 à la Ville pour remonter un peu ses stats. Selon ABCD, la municipalité devrait implanter ces mètres carrés là où le taux d’inscrits est le plus bas, au Nord et à l’Est. Pour compenser ce manque, elle a signé un partenariat avec le réseau OCB (pour office central des bibliothèques, pas le papier à rouler) créé en 1936 et bien implanté à Marseille. Mais, là encore ce réseau né dans le giron de l’église n’est pas d’un grand dynamisme : “1 500 à 2 000 inscrits (contre 4000 en 1996) en baisse de 5 à 7% par an depuis au moins 6 ans”. Il faut dire que l’association demande 1,2 euros par livre emprunté. “N’est-ce pas dissuasif pour certaines populations ?”, interroge candidement le rapport.
En dehors de cela, la Ville n’a qu’un projet de 1200 mètres carré, la future bibliothèque de Saint-Antoine, bâtie au Plan d’Aou. Mais ce nouvel équipement risque d’entraîner la fermeture de celui de Saint-André.
À l’Est, en revanche, rien de nouveau. Le projet de l’ancienne usine Rivoire et Carret est resté lettre morte malgré un engagement de la région à en financer une partie. Difficile en effet d’ouvrir un nouvel établissement quand ceux qui existent sont déjà chancelants.
De Bonneveine aux Cinq-Avenues en passant par le métro Castellane, le rapport dresse un terrible constat : “6 bibliothèques sur les 8 doivent faire l’objet d’une réflexion en matière de transfert, rénovation… Par rapport à ces chantiers, des priorités devront bien sûr être définies dans le schéma directeur.”
Ledit schéma est loin d’être finalisé. La version que nous avons pu consulter reprend une partie des constats du rapport d’ABCD. Mais il est fort prudent sur les éventuelles préconisations. “L’extension territoriale programmée à la suite du Contrat Territoire Lecture ne saurait être l’unique réponse (…) à cet objectif. Notre politique des publics devra emprunter nécessairement des chemins inusités afin de coller aux attentes de chacun”, peut-on y lire. En gros, pas de construction mais une curieuse volonté de “coloriser la bibliothèque comme le lieu commun permettant de satisfaire des besoins multiples, différents, en phase avec les attentes de chacun”.
Médiamétro
Bon, bon, bon. Pour le concret, le lecteur de ce document tombé du rayon doit patienter. On apprendra seulement qu’un “effort [est] à prévoir pour une ouverture plus large de la BMVR : plus tôt en matinée, certains soirs en « nocturne » et réfléchir à une ouverture certains dimanches”.
Quant à la gratuité totale, un temps envisagée, “un tel manque à gagner est difficilement envisageable au moment où le gouvernement réduit fortement et brutalement ses dotations”. En lieu et place, le projet de schéma prévoit une “tarification modeste et universelle” et une inscription en ligne.
Concernant le reste du réseau, le rapport ABCD avance une typologie de nouveaux lieux autour de l’Alcazar avec des “médiathèques d’équilibre” avenue du capitaine Gèze (15e) ou à la Valentine (12e), des “bibliothèques d’échanges” place Cadenat (3e), à la Blancarde (5e) ou encore à la Capelette (11e) et enfin des “médiamétro” dans les stations de métro ou dans les gares du réseau de transports en commun à l’horizon 2023. Le projet municipal reprend cette typologie en se gardant bien d’évoquer de quelconques créations. Entre temps, la révolution numérique aura balayé tout cela.
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Les bibliothèques publiques, une super initiative à l’époque où l’internet n’existait pas. Même transformées en médiathèques, elles connaissent un problème de fréquentation, bien que l’on puisse sans doute trouver aussi des exemples de réussite. On ne lit plus beaucoup : le Capital au XXI siècle de Piketty a été une des plus grosses ventes, mais beaucoup en parlent sans l’avoir lu (le plus grand écart entre acheté et lu) et sans savoir que les exemples qu’il donne datent et sont parfois un peu rapides. On se place dans le sillage des idées qui circulent, on se meut dans des croyances. Des lieux d’échange où on lirait seraient utiles, mais tout le monde peut consommer dans son coin grâce au web. Alors quoi faire ? Lire d’abord (sans oublier Marsactu) et militer ensuite !
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