Travaux d’office dans les taudis : la Ville indemnise la boîte qu’elle n’a jamais sollicitée
De 2014 à 2018, la Ville n'a jamais actionné le marché de travaux d'office qu'elle avait elle-même lancé. S'estimant lésée, l'entreprise a fini par obtenir un dédommagement symbolique de 25 000 euros, alors qu'elle avait été forcée de licencier.
Depuis plus de dix ans, la cour intérieure du 7 rue de Versailles sert de dépotoir. Depuis 2014, les balcons sont frappés d'arrêté de péril.
En quelques mots, l’affaire illustre parfaitement à la fois la continuité républicaine et la rupture d’une alternance politique à la mairie de Marseille. Enrôlé sous le numéro 241, un rapport soumis lundi au vote des conseillers municipaux entérine un protocole transactionnel entre la Ville et la société Engineering Territoires et Habitat (ETH), conclu sous l’ancienne majorité.
Pour un montant de 25 000 euros, les deux parties éteignent un contentieux né en 2018. Ce type de décision, banale, aurait peu d’intérêt si elle ne portait pas sur un thème de rupture entre l’ancienne et la nouvelle majorité : la possibilité pour la Ville de réaliser des travaux d’office en lieu et place des propriétaires de logements indignes qui rechignent à agir pour sortir leur bien du péril ou de l’insalubrité.
Deux millions d’euros jamais dépensés
Si ETH se trouve aujourd’hui indemnisée, c’est qu’elle estime avoir subi un préjudice de la part de la Ville. En 2014, elle lui avait accordé un marché pour un montant global de deux millions d’euros, dans le cadre d’une délibération cadre sur la politique de lutte contre l’habitat indigne adoptée en 2013. Ce marché dit “à bons de commande” devait être déclenché à chaque fois que les services de la Ville l’estimaient nécessaire.
Et c’est là que la langue française permet un luxe de diplomatie puisque la délibération votée lundi s’ouvre par ces mots savoureux :
“La Ville de Marseille est fortement engagée dans la lutte contre l’habitat indigne et dispose d’outils lui permettant d’imposer aux propriétaires les travaux de mise en sécurité et de sortie d’insalubrité”.
En réalité, la délibération dit tout le contraire. Ainsi que l’avaient révélé plusieurs médias dont Marsactu. En effet, en 2014, ce marché à bons de commande permettait de répondre au coup par coup à des situations de péril ou d’insalubrité. “En tout et pour tout, il a dû être actionné deux fois en toute fin de contrat, explique Éric Baudet, le patron d’ETH. Notre travail était d’expertiser les immeubles repérés par la Ville à la demande des services compétents, en l’occurrence le service de gestion et de prévention des risques, le service de lutte contre l’insalubrité et le service habitat“.
(Re)lire notre article : Comment la Ville n’a jamais fait faire de travaux d’office en cinq ans.
Des réunions régulières devaient permettre de repérer les immeubles en déshérence. Très vite, elles cessent d’avoir lieu, au point que les sommes allouées ne sont jamais débloquées ni pour la société d’ingénierie, ni pour les sociétés du bâtiment censées réaliser les travaux. En février 2019 quand le scandale éclate, l’adjoint en charge de la prévention du risque Julien Ruas ne se démonte pas puis qu’il assène en plein conseil : “Il n’y a pas d’employés municipaux qui sont payés pour se balader dans la rue le nez en l’air pour repérer les façades qui menacent de s’effondrer.”
Or, ces mêmes employés auraient dû parfaitement connaître les quelque 500 immeubles que l’État et la Ville avaient mis dans le viseur commun d’une opération d’éradication de l’habitat indigne qui n’a, en réalité, jamais porté ses fruits. “Les relations avec le service de prévention étaient exécrables, explique aujourd’hui Éric Baudet. Quand on leur signalait un immeuble en menace de péril repéré dans le cadre d’autres opérations, on avait l’impression que ça les gonflait plus qu’autre chose. En même temps, ils étaient beaucoup moins nombreux qu’aujourd’hui.”
“Difficultés d’exploitations”
La vague de péril qui a suivi les effondrements de la rue d’Aubagne et qui n’a jamais vraiment cessé depuis montre bien à quel point le sujet n’était pas pris à sa juste mesure. Malgré ce que la continuité républicaine impose aux rédacteurs du rapport qui va être présenté au conseil municipal, pudiquement, ceux-ci écrivent :
Cependant, des difficultés d’exploitation sont apparues dès le début de l’exécution de ce marché en termes de transposition des données techniques. Pour des raisons d’intérêt général, cette situation nécessitait un réajustement d’objectifs. Les mesures prises dans ce sens se sont soldées par un rythme et un volume de commandes inférieur à celui attendu.
Beaucoup plus crûment, Éric Baudet confie : “On a failli mettre la clef sous la porte. J’ai eu deux ans de déficit successifs, j’ai dû licencier. Cela n’a pas été simple”. Le chef d’entreprise a donc pris le risque d’attaquer la Ville, en passant tout d’abord par une phase amiable qui a débouché sur cette modeste indemnisation. “C’est symbolique mais ça fait du bien au moral”, souffle Éric Baudet.
De son côté, la Ville a lancé un nouveau marché, centré sur les corps de métier (gros oeuvre, plomberie, menuiseries, peintures) nécessaires à la mise en œuvre concrète des travaux d’office, dont l’appel d’offres se termine le 12 octobre prochain. En attendant l’issue d’un autre différend, beaucoup plus vaste, entre la métropole et la municipalité. En effet, la question du partage de compétence entre la Ville et l’institution intercommunale n’est toujours pas tranchée sur la question de l’habitat indigne. La compétence de l’habitat est en théorie métropolitaine, tandis que la gestion du péril relève du pouvoir de police de la maire. Et Michèle Rubirola n’entend pas s’en défaire. De quoi alimenter les négociations qui viennent de commencer entre les deux institutions.
Commentaires
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Une nouvelle illustration de la rigueur de la gestion gaudiniste, qui méprisait tant le logement ancien que la valeur de l’argent prélevé auprès du contribuable.
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L’accumulation de toutes ces “affaires” ne manque pas de poser une question : où donc passait le pognon ? Par exemple, avec cet article, nous apprenons qu’un marché portant sur deux millions (2.000.000) d’euros n’a jamais été exécuté et donc dépensé. Mais alors qu’est devenu cet argent ? La rédaction de Marsactu, vous avez une piste?
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Il fallait bien payer les ballotins de chocolats offerts par ces Messieurs-Dames aux clubs du 3ème âge et aux résidents des EHPAD.
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Je suis peut-être bien naïf mais je pense que cet argent dort toujours au chaud sur la ligne de compte/crédit/provision qui avait été attribuée.
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Et pendant ce temps, des regards d’écoulement d’eaux pluviales débordent car bouchés. Et comme on a raccordé à la descente d’EP des machines à laver, des sanybroyeurs,… ça déborde dans la rue et dans le meilleur des cas, ça sent la lessive…
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Gaudin, Gaudin oui sans doute, mais son premier adjoint, ah oui désolé mais il a été condamné,donc peu fiable L’adjoint aux finances et celui en charge des marchés sont aussi mouillés que les deux premiers. L’on peut se poser néanmoins une question toute simple: tout ce fric ne revenait ‘il pas aux LR ?.
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L’article laisse planer un doute sur les compétences de ETH à « expertiser » les logements menaçant péril. « Notre travail était d’expertiser les immeubles… »
L’article L511-3 du code de la construction et de l’habitation dispose : « En cas de péril imminent, le maire, après avertissement adressé au propriétaire, provoque la nomination par le juge du tribunal d’instance d’un homme de l’art qui est chargé d’examiner l’état des bâtiments dans les vingt-quatre heures qui suivent sa nomination. »
Les textes sont là : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000006159097/2006-06-30/
Il semble donc que ce soit le juge qui ait compétence pour nommer l’expert et non la commune. Sour réserve que l’on parle bien d’un marché d’expertise, la délibération était donc probablement illégale ?
Par ailleurs, les sommes engagées par les communes pour le compte des propriétaires sont recouvrables par les services fiscaux (comme pour les impôts). On peut toujours évoquer que la plupart des propriétaires ne sont pas solvables, mais si les services fiscaux mettent autant d’ardeur à suivre ces dépenses que celles qui résultent de l’évasion fiscale, on peut imaginer que les communes se découragent rapidement.
Michèle Rubirola pourra toujours essayer de négocier. En l’état actuel du droit, c’est bien le pouvoir de police du maire qui s’applique et si la Métropole engage des dépenses, elle ne pourra pas utiliser les règles de recouvrement (sauf si les communes regroupées délèguent le pouvoir de police à la Métropole, ce qui serait probablement une première dans le pays).
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en cas de péril imminent le maire prend un arrêté de péril et prend les premières mesures pour faire cesser le danger: balisage , intervention du BMP …..puis il saisit le tribunal
il y a quelques années à Marseille c’étaient les ingénieurs ou les architectes de la direction de la Sécurité qui faisaient le diagnostic et proposaient l’arrêté à la signature
il semblerait que ce soit cette mission de première expertise qui a été privatisée
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Si cela est le cas, y a t’il une sous traitancede la responsabilité ?
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