Nadia Champesme, libraire : “Les gens se livrent à travers le livre”
Depuis longtemps, Marsactu souhaitait parler du travail sans passer par la voie collective, syndicale ou patronale, celle des luttes ou de la flexibilité. Avec "Voilà le travail", la journaliste Sandrine Lana aborde ce sujet quotidien en partant des femmes et des hommes au labeur, de leur rapport à l'autre, au lieu, à soi et au corps. Depuis la fin du confinement, les libraires ont dû redoubler d'effort. Nadia Champesme raconte son métier, avant et après.
Nadia Champesme dans sa librairie l'Histoire de l'œil. Photo : Sandrine Lana.
Le post-confinement met les libraires indépendants de Marseille et d’ailleurs dans un état d’ébullition permanente. Les clients sont revenus en masse, comme jamais. Un soulagement pour Nadia Champesme, libraire et gérante de l’Histoire de l’Œil. Il y a quinze ans, elle montait pour la première fois le rideau de sa librairie dans le quartier de la Plaine. C’était déjà LE quartier de la culture, des bars, des artistes de Marseille et les librairies étaient déjà nombreuses.
“Mon compagnon était depuis cinq ans dans le quartier. J’arrivais de Lille où je m’occupais des relations avec le public dans une scène nationale, équivalente au Merlan et il s’agissait de partager une passion, de donner envie à un public de découvrir quelque chose qui crée une émotion inoubliable. Que ce soit au théâtre ou en littérature, on participe à cela. J’ai fait le grand écart géographique, par contre pour moi, je faisais le même métier. Tu fais découvrir des choses et se déplacer les gens. Plein de gens cherchent quelque chose de précis. Il arrive qu’on ne l’ait pas. On essaye de les déplacer pour les emmener ailleurs et les faire découvrir autre chose.”
Aujourd’hui, quatre salariés ont rejoint Nadia dans ces murs. Ils et elles remplissent toutes et tous les mêmes qualités : “Aimer les gens, aimer lire, aimer les chiffres”, explique-t-elle. “Bien sûr qu’il faut aimer lire, c’est la condition de base pour être libraire. Mais il faut aussi aimer les gens. On est un commerce de proximité où on passe du temps. C’est hallucinant de se rendre compte à quel point les gens se livrent à travers le livre justement. L’un cherche un cadeau pour quelqu’un mais nous dit « non pas ça, car elle vient d’avoir un cancer…», l’autre nous dit qu’il vient de se séparer et « n’a pas envie de ce genre d’histoires »… Des gens viennent aussi simplement pour parler parce qu’ils se sentent suffisamment à l’aise pour te laisser leurs émotions, parce que c’est un petit cocon. Tu es dépositaire de cela malgré toi et il faut l’accueillir. Puis il y a les grincheux, pénibles, jamais contents. De la même façon qu’ils ont la possibilité de se livrer personnellement, de déverser tout leur fiel et toute leur rancœur car il y a une écoute, une oreille. Si tu n’aimes pas les gens, c’est insupportable !”
Charge et calculs mentaux
La charge est surtout physique pour les salariés qui gèrent les arrivages de cartons de livres quotidiennement. La gérante porte plutôt la charge mentale du lieu : “Au niveau de l’équipe, je gère les ressources humaines, les plannings, mais surtout, j’en reviens au fait qu’il faille aimer les chiffres.” En librairie, la rentabilité est extrêmement faible. Pour un livre vendu à 10 euros, le libraire fait une marge de 3,5 euros qui lui sert à payer l’ensemble de ses charges. “Je gère mieux aujourd’hui qu’à l’ouverture mais il y a eu des mois où je me réveillais à quatre heures du matin pour reprendre la comptabilité et savoir comment j’allais payer tout le monde. Cette charge mentale est surtout à cet endroit de la gestion en terme de chiffres et de découvert bancaire.”
Il faut aussi gérer le stock qui doit parfois être à payer avant d’être vendu. “C’est toujours un challenge, de mois en mois de commander les bonnes quantités et les bons titres. Tu prends des risques car tu ne sais pas ce qui va fonctionner ou pas. Il nous arrive de prendre des bouquins et, après les avoir lus, de savoir qu’ils ne partiront pas et qu’ils prennent la place d’autres sur la table. Ou alors, un livre bénéficie d’une grosse médiatisation et il faut l’anticiper. C’est touchy d’avoir suffisamment d’offres mais pas trop pour ne pas gréver sa trésorerie.”
La libraire marche sur un fil en équilibriste donc. Et heureusement dans le quartier, les autres libraires représentent davantage une ressource qu’une concurrence à contrer. “À nous tous, nous avons plus de bouquins qu’à la Fnac, avec chacun des rayons spécialisés. Nous sommes dans cette complémentarité et nous nous renvoyons les clients chez les autres. Tu ne perdras pas un client à qui tu as rendu service.”
La bougeotte
Nadia Champesme a toujours eu plusieurs casquettes : formatrice à l’IUT Métiers du livre de l’université Aix-Marseille, présidente de l’association Libraires du Sud, réseau de librairies indépendantes de la région, elle est depuis cinq ans à la tête de l’association Des livres comme des idées qui organise les Rencontres d’Averroès et le festival de littérature Oh les beaux jours !. “C’est une volonté. j’ai un peu la bougeotte et j’aime monter de nouveaux projets. Cela vient aussi enrichir la librairie. Pour moi, c’est important de ne pas s’avilir dans le travail et d’avoir des temps de respiration pour faire des choses qui nous passionnent, nous tiennent à cœur.” Ainsi, il y a des “jours librairie” et des “jours festival”. “C’est complètement schizophrène de faire les deux dans la même journée.”
On lui demande alors quand lit-elle avec un rythme si intense. “C’est très aléatoire. Je lis le soir et le week-end. J’aime aussi lire le matin, au café. C’est une question de disponibilité mentale et puis j’ai deux enfants ! Mais j’arrive à lire pas mal. Chacun de nous trouve des espaces de lecture avec des moments où il lit plus ou moins. Pendant le confinement par contre, j’ai très peu lu… je n’y arrivais pas.”
Un 11 mai “comme à Noël !”
“Le premier mois du confinement, l’équipe se donnait des nouvelles régulièrement mais j’ai eu très peur que la librairie ne passe pas l’été. Il n’y avait plus rien qui rentrait et des factures à payer. On nous disait que ce serait la catastrophe à la réouverture. Finalement, ça s’est très bien passé. La semaine du 11 mai, c’était comme à Noël ! C’était dingue. Les gens n’en pouvaient plus de ne pas pouvoir acheter de bouquins. C’était parfois la première chose qu’ils achetaient hormis le papier toilette et la nourriture !”
Le confinement a été le moment de questionnement sur la nécessité de l’achat de livres, la place de la consommation… “Les questions se sont estompées lorsque j’ai commencé le drive de livres. Les lecteurs étaient soulagés et contents qu’on soit présents. On n’est pas un commerce tout à fait normal. Donc oui, la nourriture intellectuelle quand tout est fermé est importante. Il fallait être là pour eux.”
En pleine rentrée littéraire (et scolaire), Nadia Champesme est confiante pour la pérennité de son entreprise pas comme les autres et pour l’emploi de ses salariés. “J’ai toujours su que je n’allais pas faire fortune en ouvrant une librairie mais pendant le confinement, les librairies indépendantes ont été très médiatisées, justement parce qu’on est tout en bas de la «chaîne» [du commerce]. Pour la première fois, l’importance du réseau des librairies indépendantes est devenue claire pour le grand public, tout comme le commerce de proximité.”
Reste à trouver une date pour fêter dignement les quinze ans du lieu. “On est dans une attente, un entre-deux. On a plein d’envies et on ne veut pas les réaliser à moitié. C’est très compliqué de se projeter. On va voir comment ça se passe et on ajustera…”
Commentaires
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Nous sommes arrivés dans le quartier au même moment que l’ouverture de HO, nous avons quitté Notre dame dumont et nous sommes toujours clients. C’est LA librairie. Bravo à toute l’équipe.
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L’ouverture de la librairie Pantagruel dans mon quartier a eu aussi un impact très positif. Livres, échanges avec les libraires et lecteurs, sans compter tous les auteurs pour des moments intenses d’échange. Ici aussi nous avons attendu avec impatience la re-ouverture des portes après le confinement. J’ai eu l’impression que le retour
de la clientèle a été bien au rendez-vous.
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