Nouvelle ministre et nouvelle maire face au vide de la rue d’Aubagne
Michèle Rubirola faisait ses premiers pas en tant que maire de Marseille sur le lieu des effondrements du 5 novembre 2018, à l'occasion d'une visite ministérielle. Un passage sans annonce particulière au cours duquel des riverains ont exprimé leur attente de perspectives pour le quartier.
Un fonctionnaire présente les travaux en cours au 74 rue d'Aubagne. Derrière le cortège, le 71, promis à la démolition "en extrême urgence". Photo : Julien Vinzent
L'enjeu
La démolition de deux immeubles est l'objet d'une bataille d'experts tandis que le devenir plus large de la rue est dans le flou. La ministre promet une réunion pour "donner de la visibilité".
Le contexte
Un après la signature par l’État et les collectivités d'un "programme partenarial d'aménagement" pour s'attaquer au logement indigne du centre-ville, la participation des habitants reste en suspens.
Le champ, le contre-champ. En visite rue d’Aubagne ce jeudi, la nouvelle ministre du Logement Emmanuelle Wargon fait un arrêt devant le numéro 74. Petite fiche en main, le représentant local de l’Agence nationale d’amélioration de l’habitat (ANAH) expose les travaux en cours à la ministre, entourée de la maire de Marseille, Michèle Rubirola, deux de ses adjoints et le vice-président de la métropole chargé de l’habitat. L’exemple se veut emblématique de l’action de l’État après le drame du 5 novembre 2018 et la vague consécutive d’évacuations : l’ANAH subventionne la totalité du coût des travaux engagés par la copropriété de cet immeuble, évacué dès le 11 novembre 2018 et déclaré en péril grave et imminent le 4 février 2019.
Combien d’immeubles sont ainsi concernés ? La ministre ne le dit pas et aucun dossier de presse ne vient éclairer ce point. Selon un bilan consulté par Marsactu, il semble que cela touche une dizaine de cas similaires, pour un montant dépassant le million d’euros. Mais la question essentielle est peut-être ailleurs. Juste derrière le cortège ministériel et d’élus locaux, qui sont entrés dans le périmètre de sécurité, les numéros 69 et 71 de la rue étalent leurs lézardes. Le 3 avril, Jean-Claude Gaudin signait un arrêté de démolition de ces mêmes immeubles, évoquant une “situation d’extrême urgence” créée par “le risque aggravé d’effondrement du fait des mouvements constants des structures”.
En plein confinement, la nouvelle avait fait l’effet d’une bombe pour les propriétaires et locataires des immeubles concernés et de leurs voisins. “On a appris dans la presse que les immeubles bougeaient et qu’ils pouvaient tomber. Quand on voit “déconstruction sans délai”, après avoir vécu une année à l’hôtel, on se dit que le cauchemar recommence, témoigne Virginie, propriétaire en face, venue interpeller la ministre sur le sort des habitants. Mais depuis, nous n’avons pas d’informations.”
La Ville cherche à éviter la démolition
L’extrême urgence et l’absence de délais se sont muées en une étrange incertitude, au point de voir des officiels arpenter tranquillement la zone, et les piétons autorisés à passer sur le trottoir d’en face. “Les experts ne nous disent pas que cela risque de tomber”, rassure Patrick Amico, adjoint délégué au logement. L’élu chargé du dossier confirme ainsi, prudemment, que la nouvelle municipalité cherche à éviter l’application de l’arrêté : “Des experts ont dit que c’était une bonne solution de démolir mais il y a un vrai débat.”
A plusieurs reprises, Marsactu a documenté les tenants et aboutissants de cette décision du maire, qui faisait suite à une alerte de la justice. Pour mener ses investigations sur les causes du drame, celle-ci souhaitait réaliser une étude approfondie des sols au niveau de l’effondrement mais s’est heurtée à l’instabilité des immeubles. “En l’état actuel, il n’est pas possible de faire ces gros trous. Quant à la conclusion selon laquelle il n’y a pas d’autre solution que de faire tomber ces deux immeubles, c’est plus compliqué”, confirme Jean-Philippe D’Issernio, directeur départemental des territoires et de la mer, qui chapeaute localement les services de l’État en charge de l’habitat. Comme l’écrivait Marsactu le mois dernier, il confirme que certains experts invitent à la prudence sur un potentiel effet domino : “Il faut avoir une petite idée du projet avant d’aller plus loin. En tout cas, l’État sera extrêmement attentif à ce que cela n’ait pas des conséquences sur d’autres immeubles.”
“Reconstruire cette rue avec les habitants”
Il faut que l’on donne plus de visibilité sur ce qu’il va se passer.
Emmanuelle Wargon, ministre du logement
Au-delà de cette double démolition qui agrandirait encore la cicatrice de la rue, c’est tout l’avenir du secteur qui reste dans le flou. Les échanges les plus concrets restent les propositions de rachat de l’établissement public foncier, chargé par la Ville et la métropole de s’assurer la maîtrise des numéros 69 à 83. Le 21 juillet, le collectif du 5-novembre, le conseil citoyen des 1er et 6e arrondissements et le collectif des riverains de la rue d’Aubagne organisaient une réunion de quartier pour en discuter. “Des élus du secteur sont venus et ont écouté”, note Kévin Vacher pour le collectif du 5-novembre. Mais sans livrer de réponses en retour. Sur le lieu même de la réunion et de la visite ministérielle – à laquelle ils ne participent pas – des reproductions des échanges entre les collectifs d’habitants et la Ville de Marseille à la suite de l’annonce de la démolition ont été placardés sur la barrière en métal ondulé qui marque le début du périmètre.
“Nous avons écrit à Michèle Rubirola, avec le conseil citoyen, pour faire suite à cet échange de courrier avec Jean-Claude Gaudin”, poursuit Kévin Vacher, qui ne cache pas “une forme d’attente issue de l’élection : la maire a un mandat pour reconstruire cette rue avec les habitants et honorer la mémoire, il me semble que c’était dans les priorités.” Pour ce qui est du dernier aspect, Michèle Rubirola semble réserver le recueillement à un moment plus maîtrisé : pas de discours, un départ rapide et une réponse vague de son adjoint sur “une réflexion” à propos d’une plaque commémorative.
Face à la ministre, c’est en des mots plus crus qu’une propriétaire dit sa détresse au cours des 21 mois depuis l’effondrement : “À un moment on se dit “est-ce que je me mets tout de suite une balle dans la tête ?” J’ai retrouvé mon appartement. Je n’ai pas encore retrouvé ma vie. On est comme dans un ghetto, il faut qu’on en sorte”, souffle en aparté Virginie, voisine deux numéros plus bas. Quand ce grillage disparaîtra-t-il, pour quel projet en face ? Emmanuelle Wargon n’a pas la réponse mais en tire les conséquences : “Il faut des réunions d’information de proximité qui n’ont pour l’instant pas eu lieu.” La préfecture en sera saisie, avec la participation attendue de la Ville. “Il faut que l’on donne plus de visibilité sur ce qu’il va se passer, sur le creux, pour les immeubles d’à côté et en face, que l’on partage aussi les contraintes”, poursuit la ministre lors d’un échange avec la presse.
“C’était mon baptême du feu et je pensais que ce serait plus tumultueux. J’ai trouvé que c’était très digne. Il faut qu’en face on en soit digne”, réagit pour sa part Frédéric Guinieri, vice-président de la métropole délégué à l’habitat. Cette question de l’information, sans parler de la concertation sur le devenir de quartiers entiers, vaut plus largement pour le large périmètre du programme partenarial d’aménagement (PPA) “Marseille horizons”, qui s’étend sur huit arrondissements.
Encore près de 500 personnes à l’hôtel
“Cela fait partie des attendus de l’État, nous l’avons martelé. Force est de constater que jusqu’à présent les conditions n’étaient pas réunies pour le faire”, considère Jean-Philippe D’Issernio qui ne précise pas si des blocages politiques s’ajoutent à la longue coupure de la campagne électorale et du confinement. Ce qui n’empêche pas études et travaux isolés d’être menés, précise le technicien, rejetant l’idée d’un plan à l’arrêt.
Lors de la réunion avec des associations en préfecture, sur cette question de leur participation à la gouvernance du plan, “la ministre a dit “oui pourquoi pas mais il faudra aussi voir avec la Ville et la métropole”. Son prédécesseur Julien Denormandie déjà ne disait pas non, mais on a l’impression que tout le monde s’attend”, regrette Kévin Vacher, pour qui la seule annonce du jour est le maintien de la participation de l’État à la mission d’accompagnement des délogés.
Car là encore, de manière plus disséminée, les cadenas continuent de barrer nombre de portes d’immeubles. D’un dossier qu’il tient sous le bras, l’adjoint au logement Patrick Amico remet à jour le compteur des délogés, bloqué à 2528 personnes sur le site internet de la Ville, qui a arrêté de le communiquer en janvier 2019 : 4300 personnes ont été sorties en urgence de 614 immeubles, dont 437 ont ensuite été confirmés comme dangereux. 445 sont encore à l’hôtel ou en appart hôtel. C’est plus qu’en novembre dernier.
Commentaires
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Le MIKADO marseillais vient de commencer et le cesse tête chinois en même temps.
Si je démolis 1 . 2,3,4 et 5 risquent de s’effondrer.Mais si je garde 1.2,3,4 et 5 doivent êtes réparés mais sans être sûr que 2 ou 3 ne s’effondrent pas.
Je rase le quartier ?, Je réhabilite le quartier ?
Un pan entier de Marseille doit être repensé sur une feuille blanche entachée de 8 morts . A cette feuille ,il faut rajouter celle de l’abandon volontaire par Gaudin et de son équipe de la rue d’Aubagne et environs.
J’ose espérer qu’au prochain conseil municipal , Vassal aura la décence de se taire sur ce sujet ou alors de reconnaître leurs erreurs pour être gentil. Les premières conclusions de le l’enquête n’étant pas très favorables à l’ancienne équipe.
La politique du pourrissement volontaire a des conséquences redoutables sur les habitants d’une part , mais sur le temps aussi . Cette requalification risque de prendre au moins 10 ans. Bon courage RUBIROLA .
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Je ne suis ni architecte, ni urbaniste et je ne suis plus élu local. En revanche je suis assez vieux et assez impliqué dans la vie publique de Marseille pour me souvenir de la Mission Centre Ville installée par Gaston Deferre et avec comme premier directeur son propre directeur de cabinet d’alors, Loïc Fauchon. Quoi que l’on pense de l’un comme de l’autre, on ne peut pas leur reprocher ni de manquer de volonté, ni de manquer d’autorité. Hélas ça n’a pas duré. Malgré l’énergie de ce début, on ne peut pas dire que 35 ans après on s’en soit sorti !
Entre temps on a vu réhabiliter les centres de Montpellier, Bordeaux Aix en Provence, Toulon, Nice… avec des projets politiques sociaux et urbains différents mais qui en tout cas ont avancé et, pour les plus tardifs (Toulon), avancent encore.
Qu’on ne dise donc surtout pas que ce n’est pas possible et qu’il faut se contenter de quelques numéros rue d’Aubagne ! C’est bien d’une réhabilitation de l’ensemble du Centre que Marseille a besoin, quand les habitants meurent sous les décombres et que les immeubles s’enfoncent dans la boue des égouts qui fuient, on ne résoud pas le problème avec du replatrage et des consolidations homéopathiques, comme on en fait depuis des décennies dans les cités des Quartiers Nord !
Si d’autres villes, en France, ont su le faire c’est bien que les outils techniques, administratifs et budgétaires existent, même avec le carcan des contraintes administratives françaises.
Ce qu’il faut c’est d’abord de la volonté politique.
Rubirolla et ses élus ainsi que les fonctionnaires qu’ils commencent à nommer doivent s’y atteler d’arrache pied dans le respect de leur projet politique progressiste, inclusif et écologiste. Ils doivent épuiser les ministres, les préfets et les directeurs d’administration centrale de leurs demandes, de leurs pressions et de leurs dossiers, ils doivent maintenant faire de la politique. Vraiment.
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Cher Félix tout est possible en matière de réhabilitation à condition d’avoir les bonnes personnes au bon endroit et bon moment
Malheureusement, ces trois conditions ne sont pas réunies depuis 20 années à Marseille. Le milieu politico-immobilier a joué à fond dans notre ville et nous en voyons le triste résultat. 20 ans de magouilles avec les promoteurs, doublé par un non entretien des éléments structurants de cette ville, je pense au traitement des fluides plus particulièrement.
Politique et argent ne font jamais bon ménage. À Rubirola de faire le choix inverse de celui effectué par Gaudin et Vassal
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Pour être honnête, à part la courte parenthèse Vigouroux, résumer l’incapacité de l’administration marseillaise à la seule gouvernance de Gaudin serait une erreur. La gouvernance deferriste a installé la co-gestion avecFO, a mis en place les principes de recrutement basé sur des critères tous plus étranges les uns que les autres (jouer au 1er canton par exemple, les plus anciens comprendront …) et surtout a instauré le clientélisme comme principe cardinal de gouvernance. Gaudin quant à lui a seulement innové dans la vente de Marseille aux promoteurs. Ce qui n’est pas rien.
C’est pourquoi, c’est une immense page de 50 ans d’incompétences en matière de gouvernance qu’il s’agit de tourner et ce sera long. Mme Rubirola doit absolument s’appuyer sur la société civile marseillaise sinon elle risque d’échouer compte tenu de l’ampleur de la tâche.
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Kitty, Gaston est mort en 1983. Cela commence à faire. On peut remonter à l’époque Sabiani aussi.
Le meilleur maire a bien été Vigouroux durant sa courte periode.
Gaudin a eu tout son temps pour depouiller la ville.
Concernant le foot à une époque l’un des critères d’embauche à la caisse d’épargne c’était le foot aussi. Tout une époque
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