Une entreprise de terrassement transforme une zone agricole d’Aubagne en usine mobile
Depuis mars, une entreprise de terrassements a investi une parcelle du chemin des Craux, y concassant notamment des roches. En pleine zone agricole d'Aubagne, une telle activité n'est pourtant en aucun cas permise à cet endroit. Les riverains se mobilisent pour dénoncer les nuisances tandis qu'une procédure d'expulsion est enfin en cours.
Au bord du chemin des Craux, à Aubagne, une entreprise de terrassements s'est installée sur des terres agricoles pour stocker de la pierre concassée sur place. (Photo : CG)
“Le matin, les engins peuvent commencer à 5 heures et tourner jusqu’à 21 h 30. Ils ont même fonctionné des dimanches et des jours fériés”, s’exaspère Jean-François*, riverain du chemin des Craux. À cheval entre Aubagne et Gémenos, cette étroite et sinueuse voie carrossable sans être goudronnée dessert sur plusieurs kilomètres un grand nombre de maisons de campagne et de pavillons. Mais depuis l’arrivée de camions, d’engins de terrassement et de concasseurs de pierre dans cette zone agricole, la quiétude de ces habitants est mise à mal.
Sur place, mercredi 15 juillet, pas le moindre bruit de pelleteuse ou de camion. Néanmoins, un imposant tas de pierres fait face aux jardins partagés situés de l’autre côté du chemin. L’entrée sur le site, jusque là laissé en friche, ne se fait désormais que par un portail sécurisé sans aucun affichage. Difficile de déterminer l’activité de ce bruyant voisin. “Des camions arrivent chargés et d’autres repartent pleins de sable, de gravier ou de ballast”, détaille Mickaël*, également riverain du chemin des Craux. En mars, H.I.N Terrassements, une entreprise aixoise, a obtenu la location d’une parcelle du quartier pour une activité qui devait se limiter au stationnement de ses engins. Mais entre-temps, ces tas “comprenant de grosses roches” sont broyés sur place grâce à des unités de concassage mobiles. “La situation est infernale entre le bruit et la poussière que cela génère”, expose Mickaël.
Joint par Marsactu, l’un des responsables de H.I.N terrassements a coupé court à l’entretien téléphonique. Affirmant d’abord respecter le bail de location prévoyant du stationnement de véhicules, il concède avoir eu “une petite activité de concassage pour de l’enrochement calcaire”.
Un établissement accueillant des personnes handicapées en première ligne
Le broyage fait un ramdam d’enfer. Avec la poussière, toutes les fenêtres doivent rester fermées.
Philippe Niogret directeur d’un ESAT voisin
Après de multiples relances auprès du propriétaire des lieux et du locataire, les habitants du chemin des Craux ont décidé de passer la vitesse supérieure. “Avec 60 autres riverains, nous avons entamé les démarches pour se constituer en association afin de mettre un terme à l’activité”, explique Jean-François. Mais ces derniers ne sont pas les seuls concernés.
Jouxtant la parcelle, l’établissement spécialisé d’aide par le travail (ESAT) Grand Linche, n’est séparé de l’énorme tas de gravas que par un simple grillage. L’établissement compte également entamer une procédure. “Le broyage fait un ramdam d’enfer et pour la cinquantaine de personnes qui travaillent sur place, avec la poussière, toutes les fenêtres doivent rester fermées”, témoigne Philippe Niogret, directeur de pôle à l’Association pour l’intégration des personnes en situation de handicap ou en difficulté (ARI), qui gère l’établissement. Des nuisances qui pourraient avoir des conséquences plus graves. “Le matin, les camions arrivent par 3 ou 4 à vive allure, observe Mickaël depuis sa maison. Un jour il y aura un accident avec les personnes handicapées qui se rendent à pied à l’ESAT.” La crainte est partagée par le responsable de l’ARI : “Heureusement, nous avons formé tous les travailleurs aux dangers de la circulation.”
Autour, les maisons ne sont pas très loin. De petits champs dotés de bouches d’irrigation font respirer le quartier. Et si désormais elles ne servent plus le maraîchage, mais principalement la production de foin, la plupart des parcelles du quartier restent classées en “zone agricole” dans le plan d’urbanisme (PLUI) d’Aubagne et Gémenos. Une classification incompatible avec de tels dépôts de gravats, mais qui autorise le “parking occasionnel de véhicules” prévu sur le bail de location signé par H.I.N Terrassements, le propriétaire et l’agence immobilière Orpi de La Ciotat. Celle-ci s’est en effet vue confier la gestion du terrain par le propriétaire, Raymond Combrez de Montmort. “Il est précisé que toute activités non autorisées par le PLUI de la ville d’Aubagne sur la zone A1 est strictement interdite”, détaille Arnaud Mougel, le directeur de l’agence immobilière qui a déniché la mystérieuse entreprise pour louer le terrain.
Une fosse septique et des bungalows de chantier installés
Créé le 14 janvier et déclaré pour des “activités de location et de location-bail”, H.I.N Terrassements devraient ainsi se contenter de stationner ses engins sur la petite parcelle. “Nous avons rédigé le bail dans ce sens-là, mais quasiment dès le début il n’a pas été respecté”, retrace l’agent immobilier. “Pendant une matinée, ils nous ont coupé l’eau. Ils creusaient, avec une pelleteuse, une énorme fosse septique”, raconte Philippe Niogret. Des aménagements, relatés dans un constat d’huissier daté du 18 mai et dont nous avons pu prendre connaissance, qui interrogent un peu plus l’activité de l’entreprise. Celle-ci a également installé des bungalows de chantier, “plus grands qu’un simple studio”. “Selon moi, c’est fort possible que cela serve d’habitat”, imagine le responsable de l’ESAT Grand Linche. Une hypothèse que nous n’avons pu vérifier.
Nous sommes des travailleurs, les riverains, eux sont des vieux qui maronnent.
Un responsable de H.I.N terrassement
Le propriétaire, résidant non loin de son terrain, affirme lui “ne pas vouloir de problèmes avec ses voisins” et constate les nuisances. “La situation est inadmissible, le droit doit être respecté”, affirme Raymond Combrez de Montmort. L’agence Orpi a mandaté un huissier le 30 juin pour une procédure d’expulsion, 15 jours après une première mise en demeure. Une action qui interviendrait près de 4 mois après l’arrivée de l’entreprise aixoise. “Le propriétaire ne pouvait pas ne pas savoir. Il fait simplement de l’argent sans être très regardant”, juge pour sa part Philippe Niogret. Le bailleur et son représentant, eux avancent “des courriers recommandés envoyés au locataire” et “pléthore d’appels et de mails suivis de promesses non respectées.” Malgré ce, après avoir été alerté par les riverains, le service de l’urbanisme de la Ville d’Aubagne affirme avoir envoyé la police municipale qui a “adressé deux procès-verbaux au procureur, le 11 et le 25 mai”. Le terrain étant présent sur une zone agricole, le propriétaire et le locataire sont tous deux considérés en infraction.
Mais le responsable de HIN terrassements qui nous a brièvement répondu minimise également les nuisances en se justifiant : “nous sommes des travailleurs, les riverains, eux sont des vieux qui marronnent.” L’argument ne suffira probablement pas à adoucir les aigreurs des riverains qui envisagent d’engager des poursuites prochainement. “Quand on pense qu’il y des procès pour des coqs qui chantent trop forts, à côté on se sent légitimes”, sourit Mickaël.
* Les prénoms des riverains ont été anonymisés à leur demande.
Commentaires
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Bienheureux les malfaiteurs confrontés aux honnêtes gens …
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Oui, c’est un peu le sentiment qu’on a à la lecture de tous les efforts et les démarches nécessaires pour simplement faire cesser une infraction.
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on peut assimiler cela à des dépôts sauvages contre lesquels une loi a été annoncée à grands bruits à la suite du décès du maire de Signe mais ni la police municipale ni la gendarmerie ne semblent concernées
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Il faut mettre ces gens au tribunal, pour qu’ils comprennent que “travailler” ne saurait suffire à légitimer n’importe quelle pratique mafieuse.
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“Je travaille, moi”, c’est aussi l’argument utilisé par tant de gens qui pensent qu’il donne le droit de se garer en double file ou d’obstruer une rue même quand des places de stationnement sont disponibles 10 mètres plus loin. Traduction : “rien à f.utre des règles et des autres.”
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Merci Clément et Marsactu pour ce très intéressant reportage. Ca permet de mieux comprendre pourquoi l’accumulation de règles et de lois n’est pas une fin en soi. Le commentaire du “responsable” HIN donne d’ailleurs la mesure de l’effet que ça lui fait d’être en infraction…
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Beau travail d’investigation qui aide à comprendre la société dans laquelle nous vivons tous. Marsactu comme je l’aime ! Si seulement, la presse, dans son ensemble, fonctionnait ainsi…
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Je ne comprends pas. S’il y a des infractions au code de l’urbanisme, il existe des amendes et des sanctions que le maire – pouvoir de police – peut activer. Les riverains peuvent porter plainte, etc …
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