Dans les Bouches-du-Rhône, la rentrée scolaire de tous les casse-tête
Si plusieurs communes du département ont choisi de ne pas ouvrir leurs écoles, pour toutes celles qui accueilleront des élèves dès ce mardi, les mesures sanitaires demandées par le ministère paraissent être une gageure. Condamnation des jeux dans les cours, lavage de main incessants... selon les écoles, les mesures restrictives varient, avec le risque de perturber le bien-être des enfants.
À l'école maternelle Eydoux (6e arr.), la cour a été séparée en deux par de la rubalise et le toboggan condamné. Photo : JML
Ce mardi, les enfants sont invités à retrouver le chemin de l’école. Cette simili-rentrée se fait dans des conditions bien particulières. Une quarantaine de communes du département refusent ainsi d’ouvrir les écoles. D’autres reportent au 18 mai, au 25 mai, voir même au 2 juin (voir notre carte ci-dessous). Comme près de 60 d’entre-elles, Marseille redémarre dès ce 12 mai dans la quasi totalité de ses écoles.
Outre les enfants des professions prioritaires, qui n’ont jamais cessé d’être accueillis, les élèves de grande section, CP et CM2 sont dans la plupart des cas les premiers à retrouver les classes. Les autres suivront jusqu’au 25 mai. Tout cela se fera sous la responsabilité des parents qui gardent la possibilité de préférer l’enseignement à distance et donc de ne pas ramener leurs enfants à l’école. Ainsi, Danièle Casanova, adjointe aux écoles de Jean-Claude Gaudin a avancé le chiffre de 9000 élèves sur 80 000 attendus ce 12 mai.
Ce retour en classe s’inscrit dans le cadre d’un protocole sanitaire strict. Il laisse aux enseignants et aux agents municipaux des écoles le soin de décliner et parfois d’adapter tout ou partie du protocole. Pour une école qui n’est “vraiment pas telle que nous la connaissions jusqu’au 13 mars” comme l’écrit un directeur d’école du département dans une adresse aux parents. Exemples locaux à l’appui, passage en revue des contraintes d’une rentrée casse-tête.
“J’ai calculé, je vais devoir leur laver les mains 10 fois par jour”
“On a calculé, sur une classe de petite section, si aucun élève ne tousse ou se mouche, on va devoir leur laver les mains 10 fois par jours, prévoit une enseignante d’une école de la périphérie d’Aix-en-Provence. En fait, on ne va faire que ça de la journée !” Quand ils arrivent à l’école, avant et après manger, avant et après chaque pause… Le temps alloué au lavage des mains rythmera une bonne partie de la journée des écoliers.
“Le lavage des mains doit durer 30 secondes, plus 15 secondes de rinçage et 15 secondes de séchage, sur un groupe de 10, ça fait 100 minutes par jour, sans compter le temps pour les amener aux toilettes, faire respecter le mètre de distance, parfois emprunter un chemin plus long pour ne pas croiser d’autres classes, les faire asseoir, le temps de passage entre chaque enfant..., se projette encore l’enseignante citée plus haut. S’il y a une Atsem, on pourra leur laver les mains deux par deux, mais sur mon école, 2 sur 5 au maximum reprennent le travail.”
Le lavage des mains risque aussi de donner des airs loufoques au temps de cantine. “Alors là, c’est le pompon, les agents de cantine doivent se laver les mains après chaque contact humain ou avec un objet. Tu sers le pain, tu te laves les mains, tu coupes la viande, tu te laves les mains… Eux aussi ne vont faire que ça.”
Des classes adaptées et vidées
Les élèves ne doivent pas s’attendre à retrouver leurs classes comme avant. D’abord parce que les groupes classes sont dans la plupart des établissements bousculés. Les fratries sont regroupées et avec le respect de la règle des 4 mètres carrés par élèves, ce ne sont parfois que huit élèves par classe qui peuvent être accueillis, bien loin des 15 proposés par le ministre de l’Éducation nationale.
Le changement le plus marquant concerne les classes de maternelle. “Il n’y aura plus de jeux en autonomie avec des ateliers partout dans la salle de classe. Là, ce sera chacun à sa table”, nous montrent deux enseignantes marseillaises à mi-temps qui se partagent une classe de petite et moyenne section. Les tables sont tenues à distance respectable les unes des autres, en U “pour garder l’effet de groupe”. “On va essayer de personnaliser les chaises pour qu’ils s’approprient un peu un espace”, expliquent-elles, conscientes du changement brutal imposé à leurs élèves.
Ils ne pourront plus s’échanger jouets, livres, feutres ou crayons : chaque objet sera attitré à un élève pour ne pas avoir à les désinfecter. Pour les plus grands, un livre emprunté ne pourra ainsi plus être touché pendant cinq jours.
Un cerceau de liberté
Il convient à l’école de respecter les distanciations sociales, notamment lors de l’accueil matinal qui même étalé concentrera beaucoup d’enfants. “Un seul parent pourra emmener son enfant devant le portail de la cour (en respectant la distanciation aux abords de l’école). L’enfant sera alors invité à rentrer seul dans la cour de récréation et à s’asseoir dans un cerceau. Si un enfant n’arrive pas à quitter son parent accompagnant, il devra repartir avec lui”, explique ainsi un directeur d’école maternelle du sud de Marseille dans un mail aux parents. Cette mesure est controversée et plusieurs écoles refusent de mettre en place jugeant le procédé trop dur pour les petits.
“La récré, faut oublier, ça va plus ressembler à une balade dans une cour de prison”
Après une journée de lundi consacrée à l’adaptation de sa classe, le directeur d’une école du centre-ville de Marseille résume ainsi ce à quoi va se résumer le temps d’habitude dévolu à la récréation : “Comme les groupes constitués ne peuvent plus se croiser, il n’y aura plus à proprement parler de récré. Ça va plus ressembler à une balade dans une cour de prison. Ils vont faire des tours, ils vont se laver les mains et ils vont retourner en classe.”
Entre la distanciation physique, le bannissement des ballons et la clôture des toboggans, la récréation sera sacrément amputée. “Les jeux de cour et les bancs seront condamnés par de la “rubalise” pour éviter leur utilisation (impossibilité de les entretenir après chaque passage d’enfant)”, a précisé la Ville de Marseille dans une note aux parents. “Cela veut dire qu’on n’a pas prévu que les enfants puissent s’asseoir”, s’agace un directeur d’école qui entend bien laisser quelques bancs avec matérialisation des espaces entre chaque occupant et de les désinfecter a posteriori.
Des temps cantine étalés
À Marseille, la cantine de 11 h à 14 h est au programme pour les enfants afin, là aussi, de respecter les distanciations sociales. Elle sera organisée par des agents municipaux – dont seulement un gros tiers devrait reprendre le travail, selon des sources concordantes – qui proposeront des repas chauds aux enfants. Avec les faibles effectifs attendus, cela devrait être “faisable”, assure une cantinière. Mais “à partir du 25 mai et ensuite au mois de juin”, ce sera beaucoup plus compliqué. Un autre directeur d’école entrevoit lui déjà des difficultés très concrètes : “les enfants qui arrivent à 7 h 30 pour la garderie ne pourront certainement pas tenir sans manger jusqu’à 14 heures !” Avec de telles circonstances d’accueil, qu’en sera-t-il du bien-être des enfants ? Leur ressenti vis-à-vis de l’école pourrait en être chamboulé.
(Avec Violette Artaud et Pierre Isnard-Dupuy)
- Cet article est le résultat d'une enquête participative lancée le 6 mai. Merci aux parents et aux enseignants qui nous ont fait part des conditions de leur rentrée dans leurs établissements. Merci aussi aux enseignants qui nous ont accordé un entretien par téléphone ou sur le pas de porte de leur école lundi 11 mai.
- Les enseignants ont été anonymisés parce qu'ils sont tenus de ne pas s'exprimer par le devoir de réserve imposé par leur hiérarchie.
Commentaires
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Bon article mais la faute d’orthographe sur le dernier mot, ça pique les yeux! Omar m’a tuée…😄
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“Un cerceau de liberté. L’enfant sera alors invité à rentrer seul dans la cour de récréation et à s’asseoir dans un cerceau”.
Pour des maternelles… Quelle honte.
Certains professionnels sont prêts à ne reculer devant rien pour faire appliquer leur vision du protocole sanitaire.
D’autres, comme celui cité plus bas à propos des bancs, conservent leur humanité.
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Disons-le, répetons-le, hurlons-le : il n’existe pas de “devoir de réserve”, d’ailleurs dans vos Coulisses vous employez à bon escient l’expression “imposé par leur hiérarchie”.
Les fonctionnaires dans notre pays sont des citoyen.ne.s de plein droit. La seule contrainte liée à leur statut qui limite leur liberté d’expression est l’obligation de discrétion concernant les cas personnels. Tout le reste n’est que chantage hiérarchique.
Le créateur de l’actuel statut de la Fonction Publique, Anicet Le pire, l’a rappelé de multiples fois.
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J’ai été voir sur le site service-public.fr ce qui était dit sur ce « devoir de réserve ». Il existe bien et c’est un chef d’œuvre de ce que l’administration peut fabriquer pour essayer d’interdire sans le dire. En résumé on peut dire ce que veut, mais pas si ça fâche, pas en criant, et pas à trop de monde à la fois.
Côté légal, il y a la loi de 1983 (Anicet Le Pors) qui ne le mentionne pas. Vous avez donc raison, ça n’existe pas. Mais il y a une décision du conseil d’état qui justifie un licenciement pour manquement au devoir de réserve, et qui fait jurisprudence… C’est beau non ?
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“On peut dire ce qu’on veut, mais pas si ça fâche, pas en criant, et pas à trop de monde à la fois” : j’adore ce résumé, très clair et très pédagogique, façon “le droit administratif pour les nuls” 😉
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