Quatre ans de prison requis contre deux policiers jugés pour l’agression d’un jeune au Canet
Deux fonctionnaires de police ont comparu ce jeudi pour avoir agressé un jeune adolescent en février 2018. Ils ont continué de clamer leur innocence malgré que leur ADN ait été retrouvé sur un stylo siglé du syndicat « Alliance ». Le parquet requiert quatre ans de prison dont un avec sursis.
L'un des stylos brandis par des membres du syndicat, venus en soutien à leurs collègues. Photo : Clara Martot
“Avant tout, je tiens à vous dire à quel point il est déplaisant de prendre la parole à l’encontre de fonctionnaires de police.” Au début de ses réquisitions ce jeudi, la procureure Virginie Tavanti a donné le ton en requérant quatre ans de prison. Quatre heures plus tôt, avant que ne commence le procès des deux agresseurs du jeune Ishaq, les fonctionnaires avaient donné le leur : une trentaine de policiers en civil se sont déplacés en soutien. Tout comme les deux policiers prévenus dans cette affaire, les collègues présents sont presque tous membres du syndicat Alliance, classé à droite dans la police.
Rudy Manna, secrétaire départemental du syndicat, explique cette mobilisation : “Nous croyons en l’innocence de nos collègues car nous avons confiance en eux”. Il sort de ses poches une dizaine de stylos siglés Alliance à destination du petit groupe et provoque des rires gras : “Servez-vous ! Et vite, apparemment c’est des pièces à conviction !” C’est devenu la signature de ce dossier. Si l’enquête a pu aboutir sur la comparution de deux policiers pour “violences volontaires”, c’est bien parce que les ADN ont été retrouvés : l’une sur la manche de la victime, l’autre sur un stylo siglé Alliance Police Nationale oublié sur place…
“J’en ai tué un la semaine dernière, cette semaine je peux le refaire”
Originaire du Lot-et-Garonne, Ishaq passe ses vacances de février 2018 dans la famille de son grand frère, établi à Marseille dans le quartier du Canet (14e). Dans la soirée du 20 février, le jeune homme sort faire un tour à l’épicerie. Il s’engage traverse de la Passerelle, une petite rue piétonne qui lui sert de raccourci pour rentrer chez son frère. Il passe un coup de fil à une amie mais doit raccrocher subitement : une voiture de police s’arrête à sa hauteur.
La suite, il l’a racontée lors de trois dépositions différentes : deux policiers descendent du véhicule et commencent à le frapper. Rapidement, l’un d’eux le fait tomber par terre et les coups de poings pleuvent. Les violences s’accompagnent selon lui d’insultes racistes : “sale bougnoule”. Ishaq explique que les fonctionnaires lui disent rechercher un braqueur en fuite. Il dit aussi distinguer cette phrase particulièrement glaçante : “J’en ai tué un la semaine dernière, cette semaine je peux le refaire ça ne me pose pas problème.”
15 jours d’incapacité de travail
Deux étages au-dessus du petit rassemblement informel de fonctionnaires, autre ambiance : Ishaq et sa famille attendent en silence devant la 11e chambre correctionnelle du tribunal de Marseille. La jeune victime, 18 ans, tortille ses doigts et se crispe lorsqu’il aperçoit les policiers monter les marches. Ishaq a failli ne pas venir : depuis cette soirée du 20 février 2018, il est “traumatisé”. Il reste suivi par un psychologue et un psychiatre, a raté son CAP, a dû arrêter le rugby à cause des blessures. Le soir de son agression, il est arrivé à l’hôpital Nord avec des hématomes, des contusions au visage, une blessure au genou et une fracture orbitale. Les médecins lui ont prescrit 15 jours d’incapacité de travail.
Le soir même de l’agression vers 1 heure du matin, une enquête de flagrance est ouverte. Les enquêteurs interrogent tout de suite l’épicier qui a approvisionné Ishaq juste avant son agression. Ce dernier explique avoir vu sortir de l’impasse le véhicule de police, puis juste après, le jeune homme en sang. Dès le lendemain, l’IGPN (inspection générale de la police nationale) est saisie.
Dans ses dépositions, Ishaq explique avoir réussi à distinguer le véhicule des mis en cause lorsqu’il était au sol : un 307 break. L’enquête se resserre alors assez vite sur les trois seuls fonctionnaires disposant de ce véhicule et présents dans le secteur ce soir-là : il s’agit de trois policiers de la CSI (compagnie de sécurisation et d’intervention), un type de brigade urbaine. Le chauffeur est écarté des investigations. Restent alors le brigadier-chef Lionel P. et un gardien de la paix, Thomas B.
“Troublant que la victime puisse donner autant d’éléments concordants”
Dès sa première déposition, Ishaq a pu fournir leurs descriptions physiques : “athlétique” pour Lionel P., “normal” pour Thomas B., tous deux les cheveux bruns coupés courts. Il se rappelle aussi que le premier est sorti de l’avant du véhicule, le second, moins gradé, de l’arrière. La présidente Karine Sabourin confronte les prévenus à ces coïncidences : “C’est troublant que la victime puisse donner autant d’éléments concordants dès le début de l’enquête.” Éléments auxquels s’ajoutent, par la suite, les deux traces ADN.
Quelques jours après les faits, Thomas B. a signalé avoir effectivement perdu un stylo siglé de son syndicat. C’est son ADN qui est retrouvée sur le stylo abandonné. L’ADN de Lionel P. est prélevée sur la manche du gilet de la victime. “Je persiste sur le fait que je ne l’ai pas touché”, se défend-il, confiant. Confondus par une caméra de vidéosurveillance, les prévenus reconnaissent avoir patrouillé dans le secteur ce soir-là. Mais la théorie défendue par leur avocat, Me Laurent-Franck Lienard, les exempte de toute culpabilité : “La victime a certainement été agressée. Peut-être que la police est arrivée juste après, peut-être que le stylo est tombé à ce moment. Et peut-être qu’en le ramassant, Ishaq a convenu avec son frère que ça serait plus simple d’accuser la police que les vrais coupables : des voyous du quartier.”
Quatre ans de prison requis
L’avocat, par ailleurs connu pour ne représenter que des policiers depuis 30 ans, insiste aussi sur les “carrières exemplaires” des deux prévenus. Un commandant de la CSI est également appelé à la barre pour énumérer les réussites professionnels des deux hommes. Mais pour le ministère public, “ce qu’explique le jeune garçon est le reflet exact de ce qui s’est passé lors de cette soirée”. Et de justifier ses doutes comme sa sévérité à venir :
“On nous explique que le stylo a été perdu là parce que les policiers cherchaient quelqu’un d’autre… Mais toutes les coïncidences de cette procédure font qu’à un moment, on ne peut plus croire au hasard. Il n’y a même pas d’explication et c’est ça qui me gêne le plus. Au final, on a une agression gratuite d’un adolescent dans les quartiers Nord de Marseille. Et ça rend le geste encore plus détestable.”
Virginie Tavanti requiert alors quatre ans de prison dont un an de sursis. Juste avant, l’avocate de la victime, Me Linda Sennaoui, avait expliqué espérer “qu’Ishaq arrivera à mettre de côté ce qui lui est arrivé ce soir-là”. Tout en dénonçant – étrangement – une méprise : “Les prévenus ont cru voir en mon client un jeune de cité, alors qu’il est tout le contraire”. En appui de ses dires, elle offre un élément probant à ses yeux : “Interrogée, son amie a expliqué qu’à l’époque ils se fréquentaient les mercredis après-midi. C’est un détail ! Mais ça montre que ça n’était qu’un enfant.” Le délibéré est attendu le 19 mars. En plus de la prison ferme, la procureure a requis l’interdiction d’exercer dans la police pour les deux prévenus. Depuis les faits, Lionel P., “flic depuis trois générations et viscéralement flic”, explique avoir été promu et encadrer aujourd’hui trois brigades.
Commentaires
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L’avocat de ces policiers devrait écrire les prochains sketchs de Bosso sur Marseille : le stylo Alliance malveillant qui a sauté de la poche du policier jusqu’à la manche de ce jeune homme pour couvrir la fuite des vrais agresseurs, fallait le trouver !
À moins que ce jeune rugbyman se soit fracassé tout seul rien que pour embêter ces exemplaires représentants de l’ordre nouveau ?
Plus sérieusement : en cas de condamnation pour ces faits ayant précédé sa promotion, ce policier sera-t-il dégradé ? Et s’il n’est pas condamné, c’est un feu vert explicite donné aux hors-la-loi en uniforme : tabasse, c’est comme ça que le chef est devenu chef !
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Ou en est l’instruction de l’affaire de Madame Zineb REDOUANE ? Des sanctions ont elle été prises à la suite du refus de remettre leurs armes opposées à l’IGPN par ces soi-disant “gardiens” de la Paix ,qui ont gravement blessé au visage cette octogénaire. Qu’en est-il de l’enquête sur l’agression dont a été victime cette jeune fille ,qui a été littéralement massacrée par la police rue Saint Ferréol ?
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rectif : qui ont mortellement blessé cette octogénaire
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castaner n’est pas là pour soutenir ses pitbull ?
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La conclusion est révoltante.
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