À Martigues, la calanque habitée qui voulait être raccordée à l’eau
La calanque des Renaïres, à Martigues, est un petit bout de terre où le temps s'est comme arrêté. Une dizaine de maisonnettes y sont construites mais rares sont ceux qui y vivent à l'année. Rares mais déterminés a se battre pour être raccordés à l'eau courante. Ce que refuse la mairie depuis dix ans.
À Martigues, la calanque habitée qui voulait être raccordée à l’eau
C’est un bout de terre coincée entre la centrale électrique au gaz de Ponteau et l’usine Naphtachimie. À ces détails près, la calanque des Renaïres est un véritable petit coin de paradis, avec son minuscule port et ses maisonnettes dont le jardin donne sur la mer. “La nuit, ils éclairent la centrale, c’est magnifique !”, s’extasie Marie-Louise Malandrini, assise sous les tamaris qui ornent sa terrasse. Ici, les industries voisines ne sont pas considérées comme gênantes. Le vrai problème se trouve à l’intérieur des habitations.
“On doit attendre que l’autre aille aussi aux toilettes pour tirer la chasse, pour la vaisselle, on économise au maximum…”, poursuit la retraitée sous le regard désolé de son mari, également président du comité d’intérêt de quartier (CIQ) des Rénaïres. Voilà près de dix ans que ce couple de retraités vit ici. Dix ans qu’ils se battent pour tenter de faire raccorder à l’eau courante ce petit hameaux de onze habitations, dont la majorité sont des résidences secondaires. “Dans la calanque d’à côté, où il y a un camp de naturistes, ils ont l’eau. De l’autre côté, à Ponteau, ils sont raccordés aussi”, s’exaspère Georges Malandrini. Aux Rénaïres en revanche, l’eau arrive par camion.
L’eau la plus chère de France
Plusieurs fois par mois, Marie-Louise et Georges Malandrini doivent donc téléphoner à la mairie de Martigues et s’acquitter d’une somme de plus de 100 euros pour qu’un camion citerne vienne remplir les cuves qui occupent le garage et le sous-sol de leur maison. “On paye l’eau 10 euros le mètre cube ! Et en plus, elle n’est pas potable !”, s’indignent-ils. Le passage par des cuves pour le transport rend en effet l’eau impropre à la consommation. Georges Malandrini a donc dû installer un système de filtre. “Mais même avec ça, on ne la consomme pas”, se veut-il prudent. Quant au prix, il est de 3 à 4 fois supérieur à ce que paient les autres administrés de la commune, soit trois euros le mètre cube.
“Il y a le coût du camion, il faut aller là bas, remplir les cuves. Il ne suffit pas de tourner le robinet”, justifie Henri Cambessédès, premier adjoint à la mairie de Martigues et vice président du pays de Martigues délégué à l’eau et l’assainissement. Une spécificité qui fait de l’eau des Rénaïres l’eau la plus chère de France. En tout cas quand ses habitants peuvent en profiter. Car les Malandrini ne sont pas les plus à plaindre.
À quelques mètres de leur maison vit, depuis un an, Ludovic Campion. Les bois flottés ne sont pas les seuls éléments à décorer son jardin qui bénéficie d’une vue à 180° sur la Méditerranée : d’énormes cuves encadrent le portail. Mais celles-ci ne sont pas remplies grâce aux camions affrétés par la Ville. “Après que j’ai acheté, la mairie m’a dit que les nouveaux arrivants n’y avaient pas droit. Alors je récupère l’eau de pluie et je me débrouille avec mes bidons”. Pas de machine à laver le linge ou la vaisselle, des économies d’eau au maximum… Ludovic a appris à dépenser le liquide vital avec parcimonie. “C’est comme si on ne s’intéressait pas à nous ou que la mairie avait un problème avec ce quartier”.
Lettre au président de la République
Pour Georges Malandrini, la municipalité se doit pourtant de garantir l’eau courante à ses administrés. Et ce dernier de citer un rapport du Conseil d’État de 2010 intitulé “L’eau et son droit” dans lequel on peut lire que “le droit à l’eau potable est inséparable du droit au logement décent”. Ou encore : “Les services publics locaux liés à l’eau sont soumis aux principes constitutionnels, notamment au principe d’égalité des usagers devant les services publics”.
Mais les lettres, courriers recommandés, mails et textos envoyés ces dernières années par le CIQ des Rénaïres n’auront eu aucun effet pour remédier à cette situation. Face à des collectivités locales peu coopérantes, le retraité est même allé jusqu’à écrire au président de la République ! Mais si François Hollande “a pris attentivement connaissance de [sa] démarche et [ses] attentes”, comme le veut la formule consacrée des réponses de cabinet, malheureusement, le chef d’État “ne peut intervenir dans les décisions et la gestion des affaires qui relèvent de la compétence des collectivités territoriales”.
Devis du simple au triple
Quant au maire de Martigues – également vice-président de la métropole en charge de la gestion de l’eau – il a pour sa part répondu en citant le Code de l’environnement : “Chaque personne physique a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous”, écrit Gaby Charroux, qui a bien pris soin de souligner les cinq derniers mots. Il poursuit : “En l’espèce, la calanque des Renaïres est située à 1 km du réseau d’eau public potable, le raccordement nécessiterait des travaux prohibitifs et disproportionnés par rapport au petit nombre d’usagers”.
“Il faudrait tailler la roche, amener un tuyau spécial (…) Cela représenterait un coût important pour 2, 3, 4 ou 5 abonnés”
Henri CamBessÉdÈs
“Il faudrait tailler la roche, amener un tuyau spécial, le tout avec un faible débit et une longueur importante. Cela représenterait un coût important pour la régie des eaux, et ça pour 2, 3, 4 ou 5 abonnés”, explique quant à lui Henri Cambessédès. Et Gaby Charoux de conclure : “En matière d’eau potable, il n’existe pas d’obligation générale de raccordement”. Ou en tout cas, pas tant que le motif du refus est justifié. Ce que le maire estime avoir fait.
Trop cher, pas assez d’habitants, impossible techniquement… Georges Malandrini a bien conscience qu’il ne peut, légalement, pas obliger la commune à raccorder les Rénaïres à l’eau courante. Mais selon lui, ces arguments ne tiennent pas la route. Par un courrier qu’il a reçu le mois dernier, Georges Malandrini a pris connaissance d’un devis qu’a enfin fait réaliser la mairie pour raccorder la calanque au réseau. Le montant s’élève à 270 000 euros. “C’est n’importe quoi ! Nous avons fait faire un devis par la même entreprise qui chiffre les travaux à 80 000 euros !”, recadre-t-il en sortant un dossier bien fourni sur le sujet. Mais en creusant un peu plus, il semblerait que la réelle justification de ce refus se trouve ailleurs.
Le raccordement ? “Il n’est pas impossible, conçoit Henri Cambessédès. Mais on ne veut pas. C’est une zone très sympa, où le temps est, avec une tradition provençale, des cabanons au bord de l’eau. Ce n’est pas une zone urbaine et nous ne voulons pas la développer.” Une partie de la calanque des Renaïres se trouve dans un zone dite NP, une zone naturelle de protection des captages d’eau potable. Encore un argument que Georges Malandrini et son voisin ne comprennent pas. “C’est eux qui signent les permis de construire !”, s’agace Ludovic Campion. Pas de quoi faire bouger la mairie. “Nous ne voulons pas que des résidents permanents supplémentaires s’installent. Nous voulons préserver le littoral. Certaines habitations sont dans la bande des 100 mètres [protégée par la loi littoral, ndlr]. Nous n’allons pas les démolir car des gens y sont heureux. Mais ils doivent comprendre qu’ils sont sur une zone naturelle, où l’on vient 15 jours l’été et le dimanche pour vivre à moitié nu, exagère-t-il à peine. Cet endroit à plus une vocation cabanonière que résidentielle.”
Georges, Marie-Louise Malandrini et Ludovic Campion ont eux fait des Rénaïres leur lieu de vie principal. Si le couple estime qu’au total, huit personnes vivent ici à l’année, la mairie compte elle deux maisons. En cette journée ensoleillée d’hiver, un léger petit air souffle sur la calanque, dont seulement deux maisons sont effectivement occupées. Les Malandrini savourent leur retraite dans leur coquette maison, tandis que Ludovic Campion s’adonne à quelques travaux de mécanique. Il leur suffit de détourner le regard vers la fenêtre ou de lever le nez pour admirer l’horizon infinie vers la mer. “Même si j’avais su qu’on ne m’apporterait pas d’eau potable, j’aurais acheté cette maison”, concède Ludovic Campion. “Mais quand même, avec de l’eau, ça serait mieux !”, ajoute son voisin. En provençal, Renaïres veut dire grognon. Sur ce point là au moins, les habitants de cette calanque sont raccords.
Commentaires
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Il fut un temps où il y avait un petit restaurant, Li Sian Ben, tenu par Eliane qui régalait les clients de succulents plats de mer, et de sa gouaille… dans sa bouillabaisse, les non initiés avaient des poissons nommés “gobies de brailles”
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..Le patron (nom oublié) offrant généreusement, dans un couvercle (propre) de poubelle, les oursins qu’il avait pêché le matin, Eliane et ses souvenirs, les ligneurs EdF posant l’hélico derrière la caravane de Marc -le serveur au service assez “créatif”. Le repas de travail du vendredi midi, dans un cadre hors des règles et des normes, hors du temps, hors du monde. En fait, ma jeunesse….. Emoji sniff.
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Les zones littorales isolées n’ont pas à devenir urbanisées juste pour régulariser et accommoder ceux qui ont fait le pari de transformer des cabanons en résidence principale.
La municipalité a d’autant plus raison de refuser qu’un réseau d’eau potable, en plus des coûts de construction, coûte cher aussi à entretenir.
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Charoux, maire PCF a une conception bien particulière du service public ! selon Marsactu, il déclare que
« En l’espèce, la calanque des Renaïres est située à 1 km du réseau d’eau public potable, le raccordement nécessiterait des travaux prohibitifs et disproportionnés par rapport au petit nombre d’usagers ».
Avec ça, EDF n’aurait jamais mis l’électricité dans les hameaux des Alpes, France Télecom n’aurait jamais raccordé les maisons isolées. Voire un maire communiste faire état de rentabilité et de coûts pour accéder au service public montre toute la dérive idéologique de ces notables élus. La prochaine étape est la privatisationde l’hôpital, ou le paiement des services publics, Monsieur Charroux ? Les militants qui se sont battus pour les services publics se retournent dans leur tombe…
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Évitons les grandes envolées pseudo-revolutionnaires d’une gauche de confort. J’ai connu la même situation dans le Var, mes parents avaient construit une maison sur les murs restants d’une bergerie à grande distance du village. Ils l’ont fait en connaissance de cause, avec une cuve alimentée par camion, et un chemin d’accès très mal entretenu. Personne n’a râlé, jusqu’au jour où, des lotissements s’étant multipliés en contrebas, le raccord au réseau a progressivement suivi.
Ces situations d’isolement délibéré n’ont rien à voir avec le raccordement d’un vieux village de montagne d’une part, et tirer des lignes Edf ou téléphone n’a rien à voir avec percer un réseau dans la roche ou l’entretenir.
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Et puis quand ils auront le confort moderne , on va mettre des barrières pour bien rester pénard entre soi et fermer le site pour se boire le jaune sans les gêneurs.
Croyez en l’expérience des cabanons dans les calanques de Marseille . Les Martégaux ne sont ni pires ou meilleurs.
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ENEDIS ex Edf ou plutôt ERDF fait payer la pose des lignes quand vous êtes dans une zone non desservie plus le raccordement et ce service compte fort cher, ce qui n est pas le cas de l accès à l eau potable qui est un service public dépend de la collectivité !
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Que voilà une bonne occasion de découvrir comment économiser l’eau : cagadou aux toilettes sèches, toilette au gant comme les grand-parents ou au “savon de mer” pour vivifier les chairs, récupération de l’eau de pluie ou de rosée, désalinisation de l’eau de mer … et puis une petite carriole derrière la panda 4×4 pour aller remplir son réservoir à la fontaine municipale : une vraie vie de calanquiste !
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