Paul Delvaux, un rêve belge aux grands yeux sombres
Paul Delvaux, un rêve belge aux grands yeux sombres
Le spectre de la lune pleine éclaire les quais pavés d'une gare. Peut-être est-ce celle de Luxembourg, qui a tant de fois inspiré le peintre. Une jeune fille s'avance de dos, longeant les wagons de marchandises : immobiles ou en mouvement, nul ne peut en préjuger. La chevelure blonde de la femme attire le regard du visiteur, ombre planante dans ce tableau onirique, Solitude, peint de la main de Paul Delvaux. Cet artiste belge internationalement connu bien que peu représenté en France, – avec une seule toile exposée au musée Pompidou – fait l'objet d'une rétrospective au musée Cantini, jusqu'au 21 septembre.
Sur les 90 toiles présentées, 80 sont prêtées par le musée bruxellois d'Ixelles dont l'attachée scientifique Laure Neve, également commissaire de l'exposition avec Olivier Cousinou, conservateur du musée Cantini, guide la visite. Passé la période naturaliste de l'artiste, puis celle de l'expressionnisme, vient le temps du surréalisme, découvert lors de l'exposition Minotaure présentée au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles en 1934. Une étrangeté se dégage de la plupart des toiles par le mouvement créé par Breton mais dans lequel Paul Delvaux ne s'engage jamais à part entière, par souci d'indépendance. "Ce n'était pas un artiste engagé politiquement", affirme la commissaire.
La peinture devient poésie, parfois morbide. Sur une toile, des squelettes, l'un de ses thèmes de prédilection, s'agitent dans une macabre danse. Mais "chez lui, le squelette symbolise la vie et pas la mort. C'est la charpente de l'homme représentée dans des situations quotidiennes", explique Laure Neve. Parfois aussi, le peintre s'empare de scènes religieuses, remplaçant – choix sulfureux pour l'époque – les personnages bibliques par des tas d'os. Sur une croix, un squelette crucifié rend l'âme au-dessus de ceux de femmes voilées, levant leurs orbites creuses vers le condamné.
Tam l'insaisissable
Outre les macchabées, nombre de toiles représentent une femme, idéalisée et stéréotypée, avec de grands yeux sombres. Surnommée "Tam", elle est l'amour inaccessible de sa vie, peinte encore et encore. Celle à laquelle d'abord il renonce, garçon soumis au carcan bourgeois de ses parents à qui l'élue ne convient pas. Celle qu'il retrouve des années après, par hasard dans un café, et avec laquelle il convolera enfin lors de secondes noces. Entre temps, il peint leur mariage qui n'a pas encore eu lieu. Tam n'a pas posé pour l'artiste, ou très peu. Chaque trait a été dessiné de mémoire d'homme épris. Peu à peu, au fil des toiles et du temps, le visage individualisé perd toute personnalité, devient petit à petit un archétype de l'idéal féminin, "qui en même temps se banalise à force d'être reproduit", estime Laure Neve.
Sur une toile, l'obscurité enveloppe un décor antique mêlé à des éléments anachroniques : une porte vitrée, des lampadaires évoquant des temps plus récents. Nue sur un lit, une femme se prélasse tandis qu'une autre, à demi vêtue l'observe avec bienveillance, esquissant un sourire. Les poses peu naturelles accroissent l'ambiance énigmatique du tableau : "au fil du temps les femmes n'ont plus de rôle, pas d'actions déterminées", décrit la commissaire. En arrière plan, une multitude de femmes, sorte de vestales drapées de toges blanches, la posture hiératique, le port de tête altier, s'ébranle. Chacune porte une lampe à pétrole et tourne le dos à la première scène du tableau. Au loin, là où elles marchent par dizaines, des rangées de miroirs et de portes ouvertes exercent leur attrait invisible.
Une autre séquence ouvre sur un autre genre. L'intimité dévoilée de femmes, l'homosexualité ou l'ambiguïté de leurs relations compliquées. "En sortant d'une maison close, Paul Delvaux réalise une dizaine de croquis d'ébats de femmes qu'il ne voulait pas montrer." Des femmes nues s'enlacent, certaines semblent résister à une tentation évidente. Ils sont finalement exposés, tout comme une oeuvre inachevée sur l'antiquité qu'il ne signa pas, la jugeant ratée. Laura Neve conclut : "Delvaux doutait énormément de lui".
Le catalogue de l'exposition Paul Delvaux, le rêveur éveillé est une coédition Snoeck et musée Cantini, 30 euros.
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