À Bassens, "les emplois francs, c'est parti !"
À Bassens, "les emplois francs, c'est parti !"
Un ministre, comme chacun sait, a un agenda qui lui interdit à tous les coups d'arriver à l'heure à ses rendez-vous. Tout ministre de la Ville qu'il est, François Lamy a une bonne heure de retard et les habitants de Bassens 1 piaffent en attendant l'arrivée des voitures noires. La directrice de l'association Made, Sherazade Ben Messaoud, piaffe d'impatience et montre à qui veut bien le beau livre de souvenirs qui décrit l'histoire de la transformation de cette ancienne cité de transit en petite résidence aux villas mitoyennes. Fille de l'ancien président de l'amicale des locataires, elle est l'infatigable ambassadrice de Bassens.
Parmi les officiels qui patientent à l'ombre, le directeur de Marseille habitat, logeur social du cru, Christian Gil, est assez vite pris à parti par une poignée d'habitants. Ce n'est pas si courant d'avoir sous la main celui à qui ils ont forcément des reproches à faire. La quarantaine, grand et costaud, un de ces locataires mécontents tient à faire une démonstration par l'exemple. Depuis plusieurs minutes, il entreprend d'expliquer à son logeur la nécessité d'installer un portail automatique à l'entrée de de la cité. "Vous comprenez, on n'en peut plus de voir passer les clients qui vont acheter du shit dans la cité d'à côté. Ici, c'est familial. Il y a les vieux et les enfants. Ça va mal finir", argue-t-il d'abord avant de passer à la pratique.
"T'es pas de la cité, toi"
Une voiture un peu déglingue est entrée quelques minutes auparavant dans la cité construite en cul-de-sac. Au bout du cul-de-sac, un terrain vague qui donne sur la voie ferrée et le pont routier qui l'enjambe. Sous le pont, un passage noir cramé donne sur Bassens II. Quelques minutes plus tard, la voiture ressort. "Tiens, vous allez voir", s'exclame l'habitant. "T'es pas de la cité, toi. Qu'est-ce que tu es venu faire ?". Le jeune homme, un peu paralysé, balbutie : "J'suis venu voir un ami…" –"C'est quoi son nom, à ton ami ? On se connaît tous, ici", demande l'habitant. Là, le jeune ne balbutie plus rien et l'autre en profite pour se saisir des clefs sur le contact. "Allez-y monsieur Gil, fouillez-le". "Vous comprenez bien que je n'ai pas le droit, c'est illégal", répond l'intéressé. "Alors pourquoi voulez vous qu'on le fasse nous-mêmes?", lui répond son locataire. "Mais je n'ai pas dit ça. Je dis juste que vous pouvez vous parler entre voisins", se désole Christian Gil. Pendant ce temps, le costaud s'est tourné vers l'acheteur supposé : "Allez, sors ton shit !", dit-il en l'empoignant. Lequel tire sur ses poches pour montrer qu'elles ne contiennent rien et en protestant de son bon droit. Il finira par repartir, dégoûté.
En fait, l'anecdote est une illustration de l'effet "rétro" des zones de sécurité prioritaire (ZSP). La cité de Bassens 2 a été plusieurs fois visée par des descentes de police en vue de réduire son trafic de shit endémique. "Comme il y a souvent des voitures de flics en planque à l'entrée de Bassens 2, reprend l'habitant. Du coup, les acheteurs passent par chez nous. Tiens ! Vé là, encore un qui vient acheter son shit à vélo". Effectivement, un jeune homme traverse l'allée de villas. Quant au directeur de Marseille habitat, il n'en démord pas : "Non, je ne mettrai pas en place ce portail automatique. Cela va coûter très cher et tomber en panne constamment. Or, les locataires ont des charges plutôt faibles ici. Je trouve inutile de les alourdir".
Un cortège de voitures noires est en approche. Le ministre Lamy débarque, flanqué du préfet de police, Jean-Paul Bonnetain et de la préfète déléguée pour l'égalité des chances, Marie Lajus. Après avoir salué les habitants et les travailleurs associatifs devant les caméras, les trois personnalités devisent de la mise en place des ZSP et le cas particulier de Bassens 2. "Nous sommes déjà intervenus trois fois. La dernière fois que nous les avons "tapés", c'est le 6 juin dernier. Alors, bien sûr, cela ne suffit pas". Shérazade Ben Messaoud vient y mettre son grain de sel : "Il ne faut pas oublier les deux S. Celui de la sécurité et celui du social qui doit venir juste après".
Bien calé dans son plan com'
On raconte alors l'anecdote du "client" pris à parti quelques minutes auparavant qui témoigne d'un retour du réseau "tapé" quelques jours auparavant. "Ça sera long, reconnaît-il. C'est un travail au quotidien de la police nationale en lien avec les habitants. C'est aussi cela la nouveauté des ZSP, ce travail de concertation. Ça sera long mais nous n'avons pas l'intention de nous arrêter". Le cortège s'ébranle enfin pour traverser la cité et rejoindre le pont routier incriminé. Là, une habitante s'interpose et part en harangue : "Dans plein de cités, à Plan d'Aou et ailleurs, ils ont des barrières et nous…" Le ministre la coupe aussitôt, bien calé dans son plan com' : "Je suis bien conscient que les quartiers populaires souffrent d'un problème d'accès à l'emploi. Justement, dès le 1er juillet, le gouvernement met en place les emplois francs. Ce dispositif est justement destiné aux jeunes des zones urbaines sensibles".
La réponse est à côté de la question mais le ministre est venu pour cela : annoncer la mise en place de ce dispositif d'allègement des charges destiné à toutes les entreprises qui embauchent des habitants des zones urbaines sensibles. D'ailleurs, une fois passé le goulet noirci par les collecteurs de cuivre du pont routier, puis un œil jeté à la plaque en hommage aux 11 victimes des accidents de train, le ministre répètera à de nombreuses reprises ce même message : "les emplois francs, c'est parti !"
Les emplois francs dès le 1er juillet
Même si elle a été balisée par plusieurs rondes de police, son arrivée dans la cité ne crée pas que des envies. Dans le fond de la cité, un groupe de jeunes d'éparpillent en nuée de moineaux. On n'entend pas de "arrah" mais le coeur y est. En habitué des barres, François Lamy chemine jusqu'au local de l'association "femmes de Bassens". Dans un coin, des jeunes tiennent le mur. "Y a des condés ?", interroge un autre, attiré par l'agitation. Les autres opinent et le dernier part en courant. "Il est con, c'est pas maintenant qu'ils vont faire une descente".
Ils ont bien compris la logique de communication. Pour l'heure, le ministre est à l'écoute devant des gâteaux arabes. On lui parle du délit d'adresse sur les CV des jeunes sans emplois, des chantiers qui fonctionnent bien un temps mais ne sont jamais prolongés. "Croyez bien que nous travaillons à cela. Il y aura bientôt dans chaque zone urbaine sensible, un correspondant de Pôle emploi référent pour l'emploi des jeunes. Nous avons mis en place les contrats d'avenir et les emplois francs qui sont destinés en priorité aux jeunes des quartiers stigmatisés". Shérazade Ben Messaoud se réjouit : "Vous voulez dire que les emplois francs, vous êtes venus à Bassens pour l'annoncer?"
"Euh, oui, enfin… Je vais faire une conférence de presse à Paris", répond le ministre en quittant le local. Dans une dernière boucle sur le parvis en béton, François Lamy entreprend un dernier jeune désoeuvré à propos – devinez quoi – du lancement des emplois francs dans les cités… Alors que les portières claquent, un gars en scooter houspille les jeunes pour qu'ils rejoignent leurs postes de guetteurs. Tout reprend son rythme ordinaire jusqu'à la prochaine descente de police. Ou jusqu'au 1er juillet…
Commentaires
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mettre une barrière dans une cité c est le meilleur moyen pour empêcher la police d intervenir, une fois la barriere en place ils auront la tranquillité vis à vis des forces de l’ordre qui eux n auront pas la clefs…..et comme pour les parties communes ou les caves les logeurs refuseront de les donner de peur de représailles….
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bravo à l’association Made, à Shelerazade Ben Messaoud, à l’association “femmes de Bassens”. Où trouver le livre ? pouvez-vous donner les coordonnées ?
m.
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