Marseille en proie à la violence
MULTIPLES FORMES DE LA VIOLENCE
Il nous faut évoquer la violence, aujourd’hui, il importe de rappeler que la violence ne saurait se réduire à ses formes physiques, aux formes de la violence qui heurtent le corps, mais qu’il existe d’autres formes de violence, plus sournoises, sans doute moins visibles, mais tout aussi dures, parfois même tout aussi meurtrières.
La violence économique
Nous sommes tous les jours confrontés aux formes économiques de la violence. Cette violence-là est ancienne, sans doute a-t-elle toujours existé, mais elle a pris, de nos jours, des dimensions considérables, qu’elle n’avait encore jamais eues. La violence économique, c’est, d’abord, la violence du marché. Peut-être même pourrait-on définir le marché comme un espace économique dans lequel c’est la violence qui donne leur force et leur réalité aux échanges qui s’y déroulent. Le marché n’est pas autre chose qu’un espace économique dans lequel, en cherchant le profit et n ne reconnaissant pour seule loi celle du profit, les acteurs ne cherchent qu’à vaincre l’autre, ne cherchent qu’à imposer leur supériorité sur lui. Ne reconnaissant pour seule loi que celle de la concurrence, les acteurs du marché se définissent et se reconnaissent eux-mêmes comme les acteurs de cette violence de l’économie. Mais la violence économique prend aussi une autre forme : celle de la violence de l’emploi. Celle-ci a un nom : le chômage. Le chômage n’est pas autre chose que cette suspension ou cette perte de l’identité dont sont frappés les salariés privés d’emploi et, ainsi, privés de la reconnaissance de leur identité par les autres. Le chômage est une forme de violence économique parce qu’il frappe ceux qui le connaissent d’une forme de blessure : il s’agit de la blessure de n’être reconnu par les autres que comme un assisté. Enfin, la violence de l’économie se manifeste par les fermetures d’entreprises, par leurs déplacements, mais aussi, comme elle s’est manifestée à d’autres époques de notre histoire, par la colonisation, qui n’était pas autre chose que la violence économique exercée par un état sur d’autres pays moins forts que lui à une certaine époque. N’oublions pas qu’une grande part de la richesse et du développement de Marseille sont liés à cette violence de la confrontation entre ce que nous appelons aujourd’hui le Nord du monde et le Sud.
La violence de l’État
Le penseur allemand Max Weber définissait justement l’État, en 1919, comme l’acteur politique qui dispose du monopole de la violence physique légitime. Notons tout de même qu’il écrit cela l’année où se termine la première guerre mondiale. Mais, bien sûr, cette violence politique de l’État peut se concevoir comme la réponse de l’État souverain à la violence des révolutions. Écrivant en 1919, Max Weber écrit aussi deux ans seulement après la révolution d’Octobre en Russie. Cela signifie que l’État et ses adversaires s’inscrivent dans des formes de violence. Mais ne nous trompons pas si cette violence-là a été, en quelque sorte, pensée en 1919 par M. Weber, nous en avons eu sus les yeux des manifestations encore aujourd’hui, à Marseille. Le 8 décembre, des policiers se sont jetés sur une jeune femme de 19 ans, rue Saint-Ferréol, en marge d’une manifestation des « Gilets jaunes ». Cette manifestation-là de violence était bien la violence de l’État, mais il ne s’agissait pas d’une violence légitime. Et puis, au-delà, ou en-dehors, de la violence physique, l’État peut exercer d’autres formes de violence, qu’il s’agisse de la violence liée à l’aménagement du territoire et aux violences exercées sur les habitants de villes ou de régions entières par la dégradation de leurs conditions de vie, ou de la violence que l’État peut exercer dans sa politique éducative, dans sa politique de santé publique ou dans sa politique du droit : dans le cas du droit du travail, par exemple, l’État devrait être là pour protéger les salariés de la violence des entreprises, alors que, bien souvent, à notre époque dominée par le libéralisme, il contribue à la dégradation des conditions de vie des salariés et de leurs conditions de travail.
La violence de l’espace
Nous venons de dire un mot de la violence de l’espace, en évoquant la violence exercée par l’État dans ses politiques d’aménagement économique du territoire, mais il existe d’autres formes de violence de l’espace. À Marseille, nous sommes seulement en train de sortir de la violence – allant jusqu’à la mort – imposée aux habitants de la rue d’Aubagne, dont l’immeuble où ils habitaient s’est écroulé. C’est tout un ensemble d’immeubles et de logements qui, à Marseille, se révèlent insalubres ou dégradés, ce qui n’est pas autre chose qu’une violence imposée à ceux qui y vivent, sans pouvoir y trouver des conditions décentes d’existence. La violence de l’espace, c’est aussi la violence du marché de l’immobilier qui finit par n’obéir qu’aux lois de la concurrence. Et puis, à Marseille, la violence de l’espace, c’est aussi la violence que nous subissons tous les jours sous la forme de l’absence d’une politique de la ville fondée sur la recherche de l’égalité entre les quartiers. La violence de l’espace, c’est, en même temps, liée à la violence de l’inégalité entre les quartiers et entre les sites de la ville, la violence qui prend la forme d’un réseau insuffisant de transports en commun. Enfin, la violence de l’espace, c’est la violence environnementale : la pollution de l’air et des lieux de vie, liée à l’absence de régulation des activités sociales dans l’espace de la ville. Sans doute un des enjeux des prochaines élections municipales sera-t-il, à Marseille, la désignation d’une municipalité décidée à en finir avec cette violence de la ville sur ses habitants et à leur faire retrouver des conditions de vie décentes.
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