La vie des livres : épisode 7
Après l'Alcazarie, José Rose poursuit sa quête des livres dans la ville avec une nouvelle fiction où les livres ont la parole.
La vie des livres : épisode 7
Je vis dans les Archives et manque de perspectives. Mais pas d’opportunités. J’ai ainsi récemment fait la connaissance d’un congénère arrivé dans le cartable d’un retraité à la recherche de ses ascendants. C’est courant quand vient le temps des descendants. Le livre – un Que sais-je sans point d’interrogation c’est vous dire et 917ème du nom – s’appelle La généalogie,. Il fournit d’utiles informations sur les sources, façons de procéder et facteurs de succès de cette pratique. En ces temps incertains où le présent dérange et l’avenir inquiète, on a besoin de repères, de remèdes au déracinement et à l’anonymat, de schémas et de solides filins d’Ariane. Et l’on peut, en s’adonnant au plaisir du jeu et de l’enquête, remonter son arbre plus loin qu’on ne le pense, au moins jusqu’à Louis XIV, la Guerre de cent ans ou Charlemagne pour les plus chanceux, et découvrir des ancêtres célèbres qui rehaussent de leurs atours notre banalité. « Tout homme descend d’un roi et d’un pendu » écrivait Labruyère et sans doute aussi de nombreux laboureurs, de quelques nobles et de beaucoup de gagne-deniers. Il existe même une banque mondiale de données généalogiques gérée par les Mormons au prétexte de baptiser les morts par contumace et a posteriori.
Mon retraité avait déposé son QSJ sur une table à côté de moi tout près d’un des nombreux ordinateurs escamotables installés dans cette salle de travail. Absorbé par quelque archive intrigante, il l’avait oublié et finalement abandonné comme un voyageur en salle de transit ou un émigrant entre deux eaux territoriales. Par chance il m’avait rencontré. Mais, sans doute impressionné par ma peau de cuir, mon puissant parfum et ma reliure aux lettres d’or et aux illustrations composant d’élégants tatouages, il n’avait pas osé m’aborder. Je le fis moi-même d’un ton un peu sec.
Je ne te connais pas toi. Que fais-tu ici ?
Je suis de passage…
Pour sûr ! Tu as une drôle d’allure avec cette couverture sans tournure.
C’est juste l’apparence. A l’intérieur nous sommes tous les mêmes non ? Tous faits de lettres et de mots, d’images et d’idées.
Tu parles bien petit. Où as-tu donc appris à soigner ainsi ton langage ?
Je viens d’Alcazarie, pays en plein tangage.
L’Alcazarie ? Jamais entendu parler.
Faudrait sortir un peu, monsieur le rond de cuir.
En tout cas, tu n’as pas l’accent d’ici toi.
En effet. Mais ça ne m’empêche pas d’être ici et d’avoir mon accent.
Quand même, tu n’es pas d’ici. Et cela s’entend.
Et toi tu es d’où ?
Moi, je suis là depuis plusieurs générations. On a toujours fini aux Archives dans ma famille. On est comme qui dirait chez nous.
Mais, avant, t’étais bien quelque part ?
Avant ? C’est trop loin, je ne m’en souviens plus. Et il y a prescription.
C’est ce que répondront bientôt les enfants de mes enfants. Quand l’ailleurs se sera mué en ici et l’étrange en familier. Ils seront tous chez eux. Comme les autres. Comme toi. Il suffit d’être patient.
Parce qu’il n’y aurait pas de différence entre anciens et nouveaux arrivants ?
Si, si. Je dis simplement que cela s’estompe avec le temps.
Parce qu’il n’y aurait pas de différence entre les brochés et les reliés ?
Bien sûr que si. Mais on peut aussi les ouvrir les livres. Et ce n’est pas parce que tu es plus gros, plus beau, plus ceci, plus cela que tu m’es supérieur. Il faut de tout pour faire un monde. Et un rien pour le défaire.
Tu raisonnes bien, petit. Parle moi un peu de ton pays d’origine.
Pas si différent de celui dans lequel tu végètes. Le même calme, le même silence…
Les mêmes bâtiments ?
Pas tout à fait. Mais aussi grands. Juste un peu plus renfermés.
Oui, chez nous, les portes et les fenêtres peuvent s’ouvrir. On peut ainsi prendre l’air dans un jardin quand on se sent oppressé.
Chez nous, il y a aussi des vigiles à l’entrée. Au moins une dizaine.
C’est beaucoup plus qu’ici.
Et pas excellent pour l’accueil, non ?
Détrompe toi. Ca tranquillise. Ca protège.
Nous avons ainsi pointé similitudes et différences, mis en regard et en rapport, jaugé à l’aune du familier. Comme en voyage ou dans la vie. Sans cesse on classe, on distingue, on en arrive même à juger et l’autre devient l’étranger. Qui a dit « Quand je me regarde je me désole, quand je me compare je me console » ? Nous avons ainsi tout comparé, fauteuils, personnel, public, sols, lampes, rayonnages. Et le plus et le moins et le plus ou moins et le plutôt plus que moins. Pourquoi les comparaisons virent-elles toujours en hiérarchisation ? Pourquoi parle-t-on sans cesse de plus fort, de moins cultivé, de plus ancien, de moins riche ? Ne pourrait-on pas se contenter de signaler des différences, dire simplement que l’un est ainsi et l’autre ainsi ? Ne pourrait-on pas aussi dire que l’un vaut bien l’autre, que l’un et l’autre sont les facettes d’une même pierre précieuse ?
Nous avons même comparé les guides. La sienne était très avenante, n’y revenons pas. La mienne n’est pas mal non plus avec ses ballerines vertes fluo, ses collants vert bouteille, sa robe satinée vert pomme, son gilet bleu électrique, son petit sac perroquet en bandoulière, ses pendentifs fruités, ses yeux clairs et ses taches de rousseur. Mais que l’on n’en déduise pas que toutes les guides sont rousses.
…/…
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