Joao Jose Fortes, concierge de Bel Horizon aux poings desserrés
Avec "Voilà le travail", la journaliste Sandrine Lana aborde le sujet quotidien qu'est le travail en partant des femmes et des hommes au labeur, de leur rapport à l'autre, au lieu, à soi et au corps. Rencontre avec Joao Jose Fortes, concierge à Bel Horizon 1, copropriété dégradée qui domine l'entrée nord de Marseille.
Photo : Sandrine Lana
La tour Bel Horizon 1&2 est un totem qui se dresse quand on débarque de l’autoroute, à deux pas de la gare Saint-Charles. Depuis la ville, elle n’est pas aussi impressionnante. Son concierge est à son image. Quand on l’approche, on est captivé par sa longue et robuste silhouette, ses mains marquées par des années de chantier et de petits travaux. Au fil de l’entretien, traversant couloirs et arpentant la tour à la verticale par l’ascenseur, Joao Jose Fortes n’impressionne plus mais inspire.
Bel horizon, son concierge l’entretient autant qu’il entretient les liens avec ses habitants. Au fil des années, ses couloirs sont devenus son destin, inextricable de son histoire personnelle qu’il conte avec émotions et en détails.
L’ancien marin, qui “a fait trois fois le tour de la planète”, s’est posé à Marseille dans les années 1980 après un furtif passage à Paris. La rue Chateauredon, à Noailles, est le premier pied-à-terre de la famille Fortes qui a quitté le Cap Vert. “L’appartement était un peu petit, on regardait les annonces pour trouver à acheter. C’est comme ça que nous sommes arrivés à Bel Horizon”. À l’époque, l’immeuble effrayait. “Tout le monde voulait partir d’ici. C’était Chicago. La police était au courant mais n’entrait pas pour chasser les dealers. Vu l’espace et le prix, on y a quand même acheté un appartement“, se souvient Jose Joao Fortes, installé dans la salle de réunion du rez-de-chaussée ouverte aux familles lors de deuil, aux enfants pour l’école des devoirs.
Monsieur Fortes est interrompu dans son souvenir pour répondre aux questions de techniciens venus réparer le système incendie de la jumelle de son lieu de travail, Bel Horizon 2. Des adolescents le saluent, une jeune maman lui explique que son grand-père va mieux, merci.
“L’immeuble est une université”. Les nombreuses nationalités se croisent dans le hall, face à la vitre du bureau de Mr. Fortes. “Le matin, il faut être bien les deux pieds sur terre, car un fou peut débarquer à tout moment. J’ai été blessé en 2013 mais depuis j’ai réussi à calmer ma haine”.
C’est cette haine ravalée qui destine Joao Jose Fortes à son poste de concierge de la tour de 19 étages. “Sans mon besoin de vengeance, je n’aurais jamais accepté mais si j’avais refusé le poste, je l’aurais regretté toute ma vie.”
Un jour, des trafiquants qui avaient l’habitude de squatter le parking, le hall, les cages d’escalier, mettent le feu à la cabine de l’ancien concierge. “J’étais avec mon bébé de neuf jours, prêt à fêter mon anniversaire avec ma femme. Les gens criaient dans les couloirs ‘il faut sortir,’ sans réfléchir, on a pris le bébé et on est sorti. Ma petite fille a avalé la fumée et nous sommes reparti à l’hôpital. Tout s’est arrangé mais j’ai gardé la haine.”
Quand le conseil syndical lui propose le poste laissé vacant, il accepte sans rien savoir du métier. “J’étais un corps sans âme comme mort car je savais ce que j’allais trouver“. Il est comme un tigre en cage, prêt à casser, à virer, à frapper pour défendre sa famille. À l’époque, 42 appartements seulement sont occupés. Aujourd’hui, ils sont 76. “Personne ne voulait venir, ni médecin, ni professionnel. Dès mon deuxième jour, j’ai commencé à frapper”.
Il nous montre dans sa cabine son manche de pioche. “La police n’avait pas les moyens de les arrêter, moi je devais protéger les habitants”. On imagine le jeu du chat et de la souris, les coups, les vitres cassées peut-être, les boîtes aux lettres arrachées, aujourd’hui comme neuves.
Petit à petit, la police lui fait confiance et revient, comme après une tempête, quand le mal est passé, et fait de Joao Jose Fortes un allié qui a droit à une ligne directe avec les agents de la BAC, nous explique-t-il.
Au dix-neuvième étage, sa longue silhouette se promène au grand air entre les antennes satellite et les systèmes d’aération, la vue à 360° sur la ville est éblouissante. Le regard tourné vers le port, monsieur Fortes est fier du travail accompli. “Les habitants m’aiment bien, j’aime rigoler avec eux et je suis toujours de bonne humeur. Mais je vois le chemin droit vers la retraite à présent. Après, ma femme et moi partirons au soleil, retour au Cap vert. Je dis merci à la France qui m’a accueilli comme son enfant.”
Avant de nous quitter, Monsieur Fortes se penche pour exprimer un dernier souhait : “Il faut parler de nous, des concierges. On fait un métier difficile. À mon départ, il n’y aura peut-être plus de gardien fixe mais des gens qui feront des permanences, sans faire le lien entre eux, avec les habitants. C’est dommage car il y a beaucoup de petites bricoles à faire.”
Le contact humain va lui manquer. Il veille sur les plus faibles, sait quand quelqu’un n’a pas donné signe de vie depuis plusieurs jours. Il a déjà annoncé des décès aux familles.
Son dernier combat, avec le conseil syndical qu’il couvre d’éloges sur la gestion du lieu, a été de lutter contre ceux qui ont tenté de déclarer Bel Horizon 1 en péril en vue de le démolir et de reconstruire des immeubles d’un autre standing (lire notre article). Les 150 gilets jaunes aux façades sont le signe de cette résistance des résidents.
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