La vie des livres : épisode 5
Après l'Alcazarie, José Rose poursuit sa quête des livres dans la ville avec une nouvelle fiction où les livres ont la parole.
La vie des livres : épisode 5
J’ai échoué ici. Et alors ? Qui ne s’est pas échoué une fois au moins dans sa vie ? Qui n’a jamais échoué ? Et qui peut affirmer qu’il n’échouera pas un jour en milieu inhospitalier ? D’abord, s’échouer ne signifie pas nécessairement échouer et s’être échoué n’est pas avoir échoué. Etre n’est pas avoir et un échec préfigure parfois des rebonds victorieux. L’essentiel est de se relever, non ? Inutile de lire Confucius pour savoir cela. De le citer non plus d’ailleurs. Vous ne pensez pas que l’échec c’est d’aller de succès en succès en perdant son enthousiasme ? Ou l’inverse, je ne sais plus. En tout cas, la fin ne dit rien du parcours. Ni l’échec du combat. Ni la rupture du temps partagé. On finirait par l’oublier. Oui, il y a une vie avant l’échouage. Souvent dense et longue. Et une après. Parfois.
J’ai vécu avant d’échouer. Ca vous étonne ? Et je compte bien vivre encore. Réussir même. Et m’installer. Ce n’est pas parce que l’on échoue un temps au bord d’un rivage désert qu’une nouvelle vague ne peut pas vous emporter vers le grand large. Les vents propices, ça existe aussi. Et l’on n’échoue pas toujours au bord d’un précipice ni à l’entrée d’une impasse obstruée de chausse-trappes.
Vous ne me croirez peut-être pas mais j’ai connu de belles périodes. Parfaitement. C’était avant certes, mais ce sera peut-être encore après. La vie ressemble à une étagère de bibliothèque, avec des hauts et des bas. Et de l’ouvrage entre les deux.
Depuis toujours j’ai voyagé, circulé de mains généreuses en doigts revêches, de bureaux anonymes en maisons accueillantes, de sacs en sacoches, de divans en strapontins. Acheté pour usage immédiat, avalé à grands traits ou décortiqué sans fin, dévoré par des affamés, oublié comme un moins que rien, abandonné comme un inutile au monde, cédé en pitoyable prétexte à de médiocres valorisations, exposé en signe extérieur de richesse, reclus sur une table de chevet non loin des somnifères, exhibé comme on atteste d’une stérile richesse, rejeté comme objet de répulsion, nul ne prenant soin d’entrer en moi pour savoir de quoi je suis vraiment fait. J’ai même défilé en multitude, brandi vers le ciel comme ralliement à une cause dont j’étais le support, et parfois saisi sans vergogne par de pauvres hères manquant de ressources ou de drôles de types sans vertu. J’ai été l’objet de tous les trafics mais aussi sujet de conversations, de controverses, de polémiques, occupant les esprits, encombrant les mémoires, faisant parfois la Une.
J’ai été rangé au cordeau ou à la va comme je te pousse, entreposé parmi mes semblables ou perdu au moment même où l’on aurait justement pu avoir besoin de moi, laissé sur un banc public par des lecteurs distraits, sur une table de travail attendant d’être annoté, en vrac sur un monceau de livres usagers, en rang sur une étagère, en piles sur un parquet, en éventail dans un transat, en déséquilibre sur le rebord d’une fenêtre, en errance sous un canapé. J’ai même été recouvert par protection et ces couvertures illustrées ou transparentes me donnaient une certaine importance.
J’ai ainsi découvert des univers insoupçonnés, porté dans la poche de pantalon d’un randonneur avec le couteau suisse le carnet à dessins et l’appareil photo, dans le cartable d’un étudiant à côté de la trousse des classeurs et du bloc de papier, dans le cabas d’une ménagère parmi fruits et légumes.
Et parfois j’ai rêvé d’être donné comme un cadeau, offert comme un talisman, transmis comme un relais, laissé en héritage. Certains ont cette chance.
Mais ça, c’est une autre histoire…
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