Flou autour de l’attribution des ateliers d’artistes municipaux
Tous les deux ans, la ville de Marseille sélectionne une douzaine de jeunes artistes plasticiens pour occuper les ateliers municipaux. Mais la sélection de la promotion 2019-2020, accusée de s'être réalisée dans des conditions opaques, a suscité la polémique au sein du monde des artistes marseillais.
Un des ateliers municipaux. (Image Ville de Marseille)
Tempête dans un verre d’eau ou vraie manipulation ? Depuis quelques semaines, le monde des artistes marseillais est secoué par une polémique. Renouvelée tous les deux ans, la liste des occupants des ateliers d’artistes municipaux pour 2019 et 2020 a été rendue publique au début de l’année. Ces treize espaces sont en effet offerts à une poignée d’artistes plasticiens contre un très bas loyer, avec en sus un “accompagnement artistique” par l’association Triangle-Astérides. Et c’est justement sur le rôle de cette association que se concentrent les critiques.
Sur 14 artistes retenus, neuf ont déjà été en résidence chez Triangle France ou Astérides. Ces deux associations qui ont fusionné en 2017 possèdent leurs propres lieux de résidence, en dehors de ceux de la mairie. Trois de ces artistes se trouvaient d’ailleurs en résidence dans ces associations au cours de l’année 2018. Si l’on se fie seulement aux sites internet ou aux différentes publications en ligne des artistes retenus, seuls trois n’ont jamais collaboré d’aucune manière avec les deux associations.
“Une résidence XXL aux frais de la mairie”
Une proximité qui, dans le petit milieu artistique a fait naître de lourds soupçons renforcés encore par la parution d’une contribution dans le journal Ventilo* fin janvier, accusant clairement l’association de s’offrir ainsi “une résidence XXL aux frais de la mairie qui, en contrepartie, espère se donner l’image d’une ville attirant des artistes “en vue””. Très partagé sur les réseaux sociaux, l’article a fait l’objet d’une réponse de la part de Triangle-Astérides six jours après sa parution. Dans cette réponse, François Quintin, président de l’association, dément toute intervention dans le processus de sélection. “Triangle France-Astérides n’attribue pas les Ateliers de la Ville de Marseille. L’association ne fait pas partie du jury. Son indépendance est l’essence même de ce processus de sélection et les conditions du programme sont quant à elles définies par la Ville de Marseille”, écrit-il.
Interrogée, Marie-Hélène Feraud-Gregori, conseillère municipale déléguée à l’art contemporain tient à infirmer “certains propos énoncés sans vérification et sans fondement” et assure que “les critères administratifs remplis, toutes les candidatures recevables sont examinées avec attention par les équipes en charge des arts visuels au sein de la Direction des affaires culturelles”. Les critères en question sont : avoir moins de 35 ans, sauf pour deux nouveaux ateliers ouverts cette année, être artiste plasticien et domicilié à Marseille.
Concernant la surreprésentation d’anciens résidents de Triangle-Astérides parmi les dossiers retenus, l’élue y voit la conséquence du fait qu’“obtenir un atelier à Marseille pour 2 ans est une opportunité rare. Généralement, les temps de résidence sont beaucoup plus courts. Ceci explique que des artistes ayant travaillé avec des structures culturelles de la Ville aient l’envie de poursuivre l’expérience, ayant fait le choix de vivre et travailler à Marseille”.
Même son de cloche du côté de Triangle-Astérides. “Nous travaillons avec beaucoup d’artistes à Marseille et beaucoup d’artistes s’y sont installés ces dernières années.(…) Nous sommes implantés depuis 25 ans à Marseille et en tant qu’acteur important de la scène locale, nous accompagnons beaucoup d’artistes qui ont fait le choix de Marseille”, répond, aussi par écrit, Céline Kopp, directrice de l’association.
Une présélection de dossiers transmise au jurés
Selon les informations recoupées par Marsactu, une partie du processus d’attribution n’est pas aussi transparente que l’affirme l’élue. Les huit membres du jury, à parité entre Marseillais et non-Marseillais, présidé par Marie-Hélène Feraud-Gregori, se sont vu remettre une présélection de dossiers, une trentaine selon nos informations, en amont de leur rencontre, alors que le nombre de candidatures reçues dépassait la centaine.
Opéré par la direction des affaires culturelles, ce premier élagage n’est expliqué nul part dans les conditions d’attributions sur le site de la Ville où était détaillé l’appel à candidature. Si plusieurs sources indiquent que Triangle-Astérides aurait pu y prendre part, la Ville et l’association démentent.
“Étant donné le nombre important de candidatures, la Ville de Marseille nous a fait parvenir une partie des dossiers en amont en soulignant bien que nous aurions la possibilité de consulter l’ensemble des dossiers pendant le jury, explique Romain Chenais, galeriste parisien et membre du jury. J’ai moi-même, comme d’autres membres du jury, remis en avant les dossiers qui avaient besoin de l’être”. Le galeriste assure avoir “trouvé ce jury parfaitement professionnel et impartial”.
Pour Romain Chenais comme pour d’autres personnes interrogées, le processus de présélection est un passage quasi-obligé dans le cadre de concours très demandés comme celui-ci. “Une présélection est effectuée (…) Le jury est souverain et peut tout à fait choisir d’examiner des dossiers qui n’auraient pas été présélectionnés. Cela fut le cas cette année.”, appuie Marie-Hélène Feraud Gregori.
“Si Marseille attire les artistes étrangers, c’est un “plus””
Parmi les autres aspects visés par l’auteure – utilisant un pseudonyme – de l’article de Ventilo le fait que très peu de lauréats soient implantés à Marseille. Une nouvelle fois, un tour sur les sites internet des artistes confirme que les villes de résidences annoncées sont rarement Marseille mais plutôt Berlin, Bruxelles, Paris, Brest, Perpignan… Ainsi, l’artiste Caroline Mesquita, qui était en résidence chez Astérides en 2018, déclare sur son site vivre entre Paris et la Bretagne. De même, Victor Yudaev était en résidence chez Triangle au début de cette même année, vivrait, selon le site de l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne, “entre Lyon et Bordeaux”. Alors même qu’un justificatif de domicile à Marseille est demandé lors de la candidature. “Il est possible d’habiter chez un tiers”, précise tout de même le site de la Ville.
Dans sa réponse, François Quintin balaye l’argument et assure que les informations en ligne relèvent de “galeries n’ayant pas mis à jour leur site” et assure pouvoir “confirmer que tou·te·s les artistes dont la candidature a été retenue ont fourni un justificatif de domicile en bonne et due forme et vivent bien à Marseille”.“Si Marseille attire les artistes étrangers, c’est un “plus” incontestable qui qualifie notre territoire et nos artistes…”, ajoute simplement Marie-Hélène Feraud-Gregori.
Des réponses qui n’ont guère éteint les procès en parachutage, certains notant qu’aucun des lauréats n’est passé par les Beaux-Arts de Marseille, et que seulement deux ont suivi des formations dans la région, à Arles ou Nice. Le fait que l’on trouve parmi eux plusieurs lauréats de prix, des personnes représentées par des galeries ou même un enseignant est aussi pointé comme une injustice vis-à-vis d’artistes locaux plus précaires. “Les candidats sont tous en début de carrière”, assure par ecrit Marie-Hélène Feraud-Gregori. Si la notion de carrière est difficile à évaluer quand il s’agit de parcours artistique, deux des nouveaux résidents collaborent avec Triangle ou Astérides depuis plus de dix ans.
Cas surprenant au vu des dizaines de candidatures reçues, celui de l’artiste Adrien Vescovi, proche des équipes de Triangle, ancien résident, âgé de 38 ans, qui a obtenu une place dans le nouvel atelier du cours Lieutaud. Le seul à ne plus être soumis à une limite d’âge. Sept mois avant l’attribution, il exposait déjà dans ce même lieu. Pure coïncidence, assurent de concert la Ville et Triangle-Astérides. “Ces espaces ont été rénovés en 2017. Après travaux, une occupation temporaire avait été décidée. Divers artistes ont sollicité la DAC ; ils ont pu y développer des projets tout au long de l’année 2018”, explique la Ville. “Divers artistes”, dont celui qui serait finalement choisi pour s’y installer, en binôme avec un autre plasticien.
Les ateliers d’artistes, une denrée rare
La Ville et Triangle-Astérides assurent avoir attribué les ateliers dans les règles de l’art, mais une réalité demeure : la colère du milieu artistique marseillais, où les discussions sur le sujet ont été vives. “Il faut se concentrer sur les vraies questions, dont celle du nombre d’ateliers, qui dans une ville comme Marseille, est extrêmement faible, analyse Diane Guyot de Saint-Michel, présidente de l’association Marseille Expos, réseau de galeries et de lieux liés à l’art contemporain. À titre de comparaison, la Ville de Paris possède environ 1000 ateliers d’artistes. Différence majeure : les locataires peuvent y rester pour des durées indéterminées, ce qui rend le taux de renouvellement très bas, et les places disponibles extrêmement rares. “La question qu’il faut se poser c’est d’où vient tout ce ressentiment, poursuit Diane Guyot de Saint-Michel. Dans cette profession on est rarement rémunéré et les artistes sont en position de demandeurs en permanence”.
En toile de fond de la polémique, le spectre de Manifesta, la biennale européenne d’art contemporain qui doit se tenir à Marseille en 2020. Pendant plusieurs semaines, la Ville sera sous les projecteurs et la scène locale s’interroge sur la place qu’elle occupera à ce moment-là. “La question qui inquiète tout le monde c’est de savoir qui va être visible pendant Manifesta. Comme pour Marseille-Provence 2013, cela génère des inquiétudes très puissantes. Jusque là, il n’y avait jamais eu de polémique autour de ces attributions”, note un des proches du dossier, en off. Car, en plus d’être des lieux de travail décrits comme agréables par d’anciens locataires, les ateliers municipaux représentent un éclairage inestimable pour les artistes, sacrés jeunes espoirs de la scène locale deux années durant.
*Le journal Ventilo est partenaire éditorial de Marsactu.
Commentaires
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L’élu de la Ville de Marseille affirme que le processus de sélection est transparent mais Ville de Marseille (municipalité) et transparence sont deux notions antinomiques et Ville de Marseille est malheureusement plutôt synonyme de copinage !
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Si on ne peut plus attribuer tranquille…
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Franchement être élu à la ville et ne pas “flier” un coup de main aux copains, quel intérêt ?
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