Veolia préfère l'eau douce à l'eau salée

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par Mat_
le 12 Mar 2012
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Veolia préfère l'eau douce à l'eau salée
Veolia préfère l'eau douce à l'eau salée

Veolia préfère l'eau douce à l'eau salée

On connaît le dicton. On ne force pas à boire un âne qui n'a pas soif. C'est pourtant ce qui arriva en 2005 à Veolia, qui après un rocambolesque épisode, fut contraint de devenir actionnaire majoritaire de la Société nationale Corse Méditerranée. Henri Proglio, qui était encore le PDG de la multinationale de l'environnement made in France, dut traîner largement des Weston avec les autres membres de son conseil d'administration, pour prendre 66% du capital de l'armateur marseillais.

Mais c'était l'époque où "Henri" ne pouvait rien refuser à son ami Chirac, ni non plus Stéphane Richard, qui était patron de Veolia Transport, à son ancien prof à Sciences-Po, Dominique de Villepin. Le pouvoir était encore entre l'avenue du Faubourg-Saint-Honoré, et la rue de Varenne. C'était le bon vieux temps. Mais depuis l'ancien monde n'est plus. Proglio est parti à EDF , et c'est son ex adjoint Antoine Frérot qui s'est installé dans son beau fauteuil en cuir, avenue Kléber.

La dette -15 milliards- est toujours très lourde, le cours de bourse s'est effondré (à peu près de moitié depuis 1 an), de nombreuses acquisitions faites au prix fort par Proglio ont dû être dépréciées, et des pertes de 490 millions d'euros pour 2011 viennent d'être annoncées. Du coup, Frérot a dû faire le ménage dans le catalogue de la Redoute de ses participations. Et c'est la filiale transport Veolia Transdev qui a été la première à en faire les frais. Une filiale détenue en réalité à 50/50 par Veolia, avec la CDC (Caisse des dépôts et consignations), suite à une récente fusion entre les activités transports du géant de l'environnement (Veolia Transport) et celles (Transdev) de la grande institution financière publique. Une jolie entreprise de 8 milliards de chiffre d'affaires et de 120 000 salariés, mais très gourmande en cash, et aussi très endettée.

La SNCM pour un euro

En sortant de Veolia Trandev, après à peine un an de mariage, Frérot va pouvoir néanmoins se désendetter d'environ 800 millions. C'est déjà ça. Et détendre un peu son cours de bourse et ses actionnaires Dassault, Groupama et les Qataris. Pas des nécessiteux non plus, mais par les temps qui courent, ils sont bien preneurs de ce type d'annonce. Une annonce faite en fin d'année dernière par le nouveau patron de Veolia, mais qui a néanmoins surpris tout le monde. Et notamment Gérard Couturier, et Marc Dufour, respectivement président du conseil de surveillance et directeur général de la SNCM, qui l'ont quasiment découverte en lisant le journal. Et ont failli en tomber de leur chaise.

Et il y en a un qui a également vu rouge, c'est Proglio, qui n'a évidemment pas supporté ce changement stratégique de son ancien second, pas très fan de ce "droit d'inventaire". Mais "Henri" semble avoir perdu la main. Après son grotesque putsch d'il y a 15 jours, où quelques doux rêveurs s'imaginaient pouvoir dégager Frérot et le remplacer par Jean-Louis Borloo, le patron d'EDF est retourné à ses centrales nucléaires, tandis qu'Antoine Frérot sortait lui renforcé de ce vaudeville des affaires. Et dans le même temps, ceux qui croyaient, notamment à la SNCM, que Veolia ne pourrait pas céder la branche transport – trop liée au pouvoir politique, et que "Henri" allait revenir mettre de l'ordre dans tout ça, en ont été pour leurs frais. Non seulement Frérot va céder ses transports, mais plus rapidement que prévu. Il vient d'annoncer que le fonds d'investissement luxembourgeois Cube, détenu en partie par Natixis, également un des actionnaires de Veolia, était très intéressé pour reprendre tout ou partie de sa participation dans Veolia Transdev.

La SNCM risque donc de se retrouver dans quelques semaines avec un nouvel actionnaire majoritaire, détenu par la Caisse des dépôts, et donc Cube, et où Veolia sera vraisemblablement largement dilué. Pas sûr non plus que les nouveaux actionnaires de Veolia Transdev soient très fans de la SNCM. Hier midi au club de la presse de Radio Frequenza Mora, Marc Dufour essayait de rassurer et de se rassurer :

 La SNCM dans Veolia Transdev qui fait 8 milliards de chiffre d'affaires, c'est une goutte d'eau.

Une goutte d'eau peut-être mais qui fait beaucoup de bruit. Du coup, Veolia semble vouloir se débarrasser de sa patate chaude. C'est ainsi que Gérard Couturier a envoyé au début de la semaine dernière une belle lettre à Paul Giacobbi le président exécutif de la collectivité territoriale de Corse, et à ce titre le plus gros client de la SNCM – via la délégation de service public qui assure environ 60 % du chiffre d'affaires de l'armateur – pour lui proposer de reprendre ses 66% dans la SNCM pour 1 euro, plus un compte-courant ( le cash apporté par Veolia à sa filiale pour boucler ses fins de mois), ce qui doit faire dans les 50 à 90 millions d'euros.

 

 

Une bien belle affaire pour des actifs évalués à 300 millions, dont 9 bateaux et un beau siège social boulevard des Dames recherché par tous les promoteurs de la place. Mais une lettre qui a fait flop. Giacobbi l'a considérée comme "une plaisanterie", et qui a en outre jetée la consternation chez les salariés de la SNCM heureux de se savoir si considérés par leur actionnaire. Les seuls à se réjouir de cette proposition sont les autonomistes corses et le syndicat des travailleurs corses (STC), qui rêvent de récupérer les navires de la SNCM pour en faire une compagnie publique corse. Même si le rusé Giacobbi n'a pas fermé la porte à ce projet de compagnie régionale maritime, notamment car il a besoin des autonomistes et des indépendantistes pour se garantir une majorité à l'assemblée territoriale de Corse, il ne souhaite pas partir seul dans l'aventure et aimerait y entraîner la région Paca voire la ville de Marseille. Pour Paca, c'est vite vu, même si Vauzelle et Giacobbi se sont rencontrés pour en parler, et même si le président de Paca a également reçu récemment les dirigeants de la SNCM, le "dossier n'est absolument pas ouvert" nous a indiqué un de ses conseillers. Quand à la mairie de Marseille, l'amiral Gaudin n'arrive même pas à faire traverser le Vieux-Port à son Ferry Boâte, alors pour ce qui est de la Corse…  (cliquer en bas à droite pour la suite…)

L'autre lettre  

Pas certain donc que Veolia arrive à refourguer aux Corses sa compagnie maritime, même à un euro. Du coup, la multinationale a envoyé un autre courrier, celui-là moins médiatisé, à l'Etat, co-actionnaire aujourd'hui de la SNCM (à 25%) et surtout ancien propriétaire à 100% de la compagnie avant 2005. Une lettre qui pourrait obliger l'Etat à reprendre la participation de Veolia, selon les accords signés lors de la privatisation de l'armateur Marseillais. On s'en souvient Veolia qui ne voulait pas venir a obtenu quelques conditions lors de la signature du deal. Et notamment une condition suspensive qui indiquait que si la SNCM ne gagnait pas la délégation de service public (qui allait être de nouveau remise en compétition à l'époque) , l'accord ne tenait plus.

La SNCM a gagné cette nouvelle DSP, mais suite à une plainte de son concurrent la Corsica Ferries, la cour d'appel du tribunal de commerce de Marseille, a annulé en novembre dernier la DSP. Veolia est donc en droit de faire jouer aujourd'hui cette fameuse clause suspensive. Selon des informations de Corse-Matin, qui nous ont également été données par des sources "proches du dossier" comme on dit dans ces cas-là, cette lettre aurait bien été envoyée à l'Etat même si, pour le moment, la direction de la SNCM ne confirme pas officiellement.

Si personne ne croit une seule seconde que Veolia va pouvoir partir comme ça – "les rats quittent le navire", a dénoncé Frédéric Alpozzo, un des leaders de la CGT des marins à la SNCM – la multinationale vient juste de s'inviter dans la campagne présidentielle en envoyant un message au futur Président de la République, quel qu'il soit. Car l'enjeu est bien l'avenir de la SNCM, quel qu'en soit le futur actionnaire. Soit un destin à la Seafrance et plus de 2000 salariés débarqués, soit la survie de l'armateur marseillais. Mais de toute façon, il y aura de la casse. Car la nouvelle DSP qui s'annonce et qui sera détaillée le 22 mars prochain à Ajaccio à l'assemblée territoriale de Corse sera vraisemblablement moins généreuse que les années précédentes.

Giacobbi l'a déjà annoncé, sa collectivité ne souhaite plus financer le "service complémentaire" (les ferries en haute-saison) mais se concentrer sur les cargos mixtes (fret et passagers), et ne veut pas entendre parler non plus d'une DSP plus large qui engloberait Toulon et Marseille, ce que réclame à corps et à cris Marc Dufour. Pour justifier cette DSP plus étroite, le président de l'exécutif corse s'appuie sur la décision de la cour d'appel du tribunal de commerce de Marseille, même si, comme on le dénonce à la SNCM, cette décision "l'arrange bien". Et puis Giacobbi a besoin d'argent. L'Etat lui a gelé sa dotation transport, une enveloppe qui finance cette DSP mais aussi le transport aérien. Et comme Air France vient d'obtenir une petite rallonge, ça sera autant de moins pour les bateaux.

Dans cette nouvelle configuration, la SNCM ne pourra pas conserver ses 2 ferries, le Napoléon Bonaparte et le Danielle Casanova et les 600 à 800 salariés qui y travaillent iront naviguer à Pôle Emploi, avec un énorme conflit social à la clef. Ce que ni Veolia, ni l'Etat n'ont évidemment envie de s'offrir, surtout en ce moment. D'où le renvoi de patate bouillante. En espérant que le nouveau Président de la République, quel qu'il soit, Giacobbi en bon radical étant au mieux avec les 2 favoris, fasse pression et augmente de quelques dizaines de millions d'euros le chèque de la nouvelle DSP afin d'éviter que la SNCM ne coule. C'est en tout cas le pari de la CGT Marins. Pas sur que même avec François Hollande à l' Elysée, ce soit vraiment l'ambiance. Prochain épisode à Ajaccio le 22 mars prochain lors de l'annonce de la nouvelle DSP. Marsactu sera dans la place. 

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Commentaires

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  1. jardin jardin

    LE CHANTAGE DE L’ETAT
    Dès le début de cette histoire, il y a très longtemps, c’est l’État qui a la main. Tout le monde (en fait les initiés) sait que le système de subvention perpétuel est condamné à fondre, voire à disparaitre. Durant plus de trente ans, les initiés s’y sont préparés et durant cette période, on a essayé avec succès de faire porter le chapeau du recul de la SNCM aux syndicats. Instrumentalisés pour la CGT, complices plus ou moins conscients pour le STC. Le résultat est le même. Vous avez raison de faire le parallèle avec SEA FRANCE. La majorité de la presse, peu curieuse comme à son habitude, a vite fait de reprendre la thèse officielle: “c’est la faute à la CFDT de SEA FRANCE”. Personne n’a regardé les méthodes subtiles et efficaces d’affaiblissement de la dernière compagnie maritime d’État française. Vous verrez, cela se passera de la même manière pour la SNCM. Ce sera “la faute des syndicats”. Personne n’ira demander pourquoi l’État a offert le marché niçois au concurrent jaune en 2004. Personne n’ira demander aux autorités judiciaires, maritimes et politiques comment le principal concurrent a pu naviguer, à perte durant de très nombreuses années, tout en touchant des subventions de l’assemblée de Corse. Personne ne s’est offusqué que le contribuable français (le véritable contributeur des subventions) puisse financer la survie d’une compagnie qui emploie moins de deux cent français. Pourquoi ce silence? Pour permettre de dégager des dizaines de millions d’Euros d’économies, pour que la Région Corse gonfle son budget maigrelet, avec l’argent du contribuable, sur les ruines de la SNCM et sur les “cadavres” de centaines de chômeurs. Non seulement cet argent n’a pas d’odeur, mais il n’a pas de morale. La droite l’a rêvé, c’est une majorité de “goche” qui le fait Le PDT de l’assemblée de Corse est communiste, c’est le meilleur garant de “faire passer la pilule”. Qui plus est, il vaut mieux faire vite, pour expliquer que “le gouvernement de droite n’a pas permis à la Corse de s’en sortir”. Après la présidentielle, c’était plus difficile à avaler. Comme cela, F. Hollande n’aura pas à faire un “chèque” que Bercy lui refuserait et que ses soutiens locaux ne souhaitent pas. En effet, si vous regardez votre petite carte de la politique insulaire, vous verrez qu’une partie importante de la “goche”, notamment de Haute Corse, est plus proche du concurrent jaune que de la SNCM. Pour illustrer ce plan et pour mieux le comprendre, vous pouvez vous référer à certains faits, incontournables, mais apparemment ignorés du grand public, grâce au silence de la “grande presse”.
    Quelques références consultables en lignes. Vous pouvez en chercher d’autres.
    NATIONALISME ET COMPAGNIE RÉGIONALE: http://www.corsematin.com/article/derniere-minute/femu-a-corsica-interpelle-les-candidats-a-la-presidentielle.608918.html
    UNE ABSENCE DE FONDS PROPRES: http://archives.lesechos.fr/archives/2000/LesEchos/18142-86-ECH.htm
    DES BILANS NON CONSOLIDÉS: http://archives.lesechos.fr/archives/1999/LesEchos/18006-91-ECH.htm?texte=CORSICA%20FERRIES

    UN BUDGET MAIGRELET ET DES PROFITS À VENIR:http://www.bakchich.info/france/2012/03/14/corse-la-speculation-immobiliere-passe-par-le-low-cost-12-61221

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