Immeubles effondrés
PAYSAGE DE RUINES RUE D’AUBAGNE
C’était lundi matin, le 5. Autant dire il y a un siècle. Deux immeubles se sont effondrés rue d’Aubagne, et les pompiers ont dû provoquer la chute d’un troisième pour limiter les risques à venir. Marseille ressemblait au Beyrouth mis en scène dans le beau film, « Capharnaüm », de N. Labaki, que l’on peut voir en ce moment. Au-delà même de la tragédie qu’il constitue, cet accident tel qu’il ne devrait pas s’en produire dans le centre d’une ville soulève des questions que l’on ne peut pas éluder en matière de politique de la ville.
L’abandon du centre
Peut-être est-ce le premier constat que l’on est amené à faire devant les images de ces immeubles en ruines : le centre de Marseille est abandonné. Les espaces du centre de la ville ne sont entretenus que s’ils permettent aux acteurs privés de gagner de l’argent. C’est ainsi que, juste à côté de l’endroit où les immeubles se sont écroulés, le chantier se poursuit, sur la canebière, pour la construction d’un hôtel de luxe. Peut-être pire encore : l’un des immeubles qui se sont effondrés était la propriété de la municipalité qui, en quelque sorte, n’a même pas rempli ses obligations de propriétaire. L’accident de lundi est une manifestation de plus, parmi tant d’autres, de l’abandon du centre de Marseille par les acteurs politiques et les pouvoirs en charge de la municipalité, de l’entretien de la ville, de la pérennité de l’espace urbain et de sa sécurité. On devrait rapprocher la tragédie de lundi de l’inauguration en grande pompe de la tour Méditerranée, immeuble de bureaux de luxe : c’est cela qui intéresse la municipalité, et non les habitants de la ville. Mais il faut aller plus loin : cet abandon du centre des villes n’est pas propre à Marseille et il n’est pas d’aujourd’hui. Sans doute faut-il inscrire l’événement de lundi dans le cadre plus large d’un ensemble de symptômes d’une crise des centres : à cet égard, on peut rapprocher l’abandon du centre de Marseille par la municipalité du départ des Halles du centre de Paris et de la naissance d’un quartier réduit à un ensemble d’activités commerciales et de la politique menée à Lyon par la municipalité dirigée par Louis Pradel, maire de 1957 à 1976, qui a livré le centre de Lyon à la folie d’une activité de construction d’immeubles et d’aménagements urbains sans signification, réduit à leur fonctionnalité, sans souci de ceux qui les habitent. Si l’abandon du centre s’est manifesté, à Paris et à Lyon, sous la forme de la folie de constructions détruisant la culture urbaine, il s’est manifesté, à Marseille, par l’absence d’une politique de l’espace du centre.
L’absence d’une véritable politique de l’environnement urbain
C’est qu’à Marseille, le centre a été, en quelque sorte, abandonné par les pouvoirs urbains et par les politiques d’urbanisme. On a laissé le centre se remplir de constructions sans ordre, sans souci du paysage urbain, sans même les préoccupations minimales de la sécurité – comme on a pu le voir lundi. La sécurité, dans le champ politique, a fini par se réduire à la répression et au contrôle, et par perdre la signification que ce mot devrait avoir, avant tout : au lieu de dépenser des sommes extravagantes en caméras de surveillance, on devrait s’assurer que les habitants de l’espace public y soient pleinement, eux, en sécurité, puissent habiter la ville sans crainte que leur maison s’effondre, puissent se déplacer en ayant à leur disposition des moyens de transport convenables. C’est toute une politique de l’environnement urbain qui manque à Marseille – et cela, faut-il le dire, ne peut se réduire à la municipalité dirigée par J.-C. Gaudin, mais si, sans doute, la crise de la ville a pris des dimensions considérables sous sa direction. C’est probablement dans les années soixante que le centre de Marseille, comme le centre de bien d’autres villes a été confisqué par les marchands, les promoteurs et les puissances de l’argent qui ont remplacé les pouvoirs des acteurs politiques par ceux du marché. L’absence d’une véritable politique des transports en commun, l’absence de la piétonisation du centre, l’absence d’une politique du patrimoine et de la requalification des façades et des paysages sont d’autres manifestations de cette absence de considération des acteurs politiques pour l’environnement urbain. À cet égard, on ne peut être que scandalisé par l’indifférence manifestée par le maire, par la maire du secteur et par les élus, à l’occasion de la conférence de presse qui avait été organisée à l’Hôtel de Ville jeudi, le 8 novembre.
Le vol de l’espace urbain par le commerce de l’immobilier
C’est qu’au fond, si l’environnement urbain n’est pas un souci pour les pouvoirs et les acteurs politiques de Marseille, comme de ceux d’autres villes, c’est que l’espace urbain a été volé par le commerce et par le marché immobilier. A Marseille, la politique de l’environnement et celle du logement se réduisent à la construction d’une palissade de béton de 2,50 mères tout autour de la Plaine, à la construction de la Tour Méditerranée ou à la réhabilitation de la Villa Valmer afin qu’y soit installé un hôtel de luxe, ou encore à la construction d’un immeuble de luxe boulevard de la Corderie en mettant en danger des fouilles archéologiques. Les lieux de la ville ne sont entretenus et aménagés que pour autant qu’ils permettent aux marchands de faire du profit et aux acteurs de l’immobilier d’accroître leurs bénéfices. L’un des immeubles effondrés sur d’Aubagne était utilisé par des marchands de sommeil pour loger dans de véritables taudis ceux qui n’ont pas les ressources qui leur permettraient de vivre dans la ville dans des logements décents. Le drame de lundi nous interpelle tous : il y a une véritable urgence à faire de nouveau de la ville un espace où l’on peut vivre, un espace qui ne soit réduit à un espace de marché, à faire retrouver à la ville sa signification première, celle de la rencontre de ceux qui l’habitent dans des espaces communs où l’autre n’est pas seulement un acteur qui permet de faire du profit, mais quelqu’un qui habite avec nous. Un pas a été franchi rue d’Aubagne, lundi : à présent, nous devons tous nous engager pour faire revivre la ville, pour lui faire retrouver sa signification, pour refaire d’elle une cité : un espace de citoyens qui ont de la considération les uns pour les autres.
Du drame à la question politique
Si, depuis le début, le drame de la rue d’Aubagne a pris une dimension politique, car la municipalité et sa gestion de l’espace étaient en cause, la manifestation qui a eu lieu, sous la forme d’une « marche blanche, le samedi 10 novembre, dans l’après-midi lui a véritablement donné une signification politique. C’est un engagement collectif de tous les habitants de Marseille, à la fois solidaires des victimes de la rue d’Aubagne et décidés à ne pas se laisser dominer par une politique urbaine sans autre dimension que le profit de l’immobilier et l’immobilisme de la municipalité, qui s’est exprimé dans les rues de Marseille et devant l’Hôtel de Ville. Il reste à ce que cette parole politique du silence soit entendue par les pouvoirs de la municipalité. Et, quoi qu’il en soit, une autre manifestation est prévue, cette fois en paroles et non plus sous la forme d’une marche blanche, mercredi, le 14 novembre.
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