« Marsactu » et Marseille
LA MENACE ET L’URGENCE
Jean-Marie Leforestier, journaliste à « Marsactu », a reçu des menaces, ce qui l’a amené à porter plainte (Cf. « Marsactu », 31 octobre). C’est inquiétant sur plusieurs plans, et sans doute est-il nécessaire de réfléchir sur ce que peuvent signifier ces menaces, au-delà de la solidarité que je voudrais exprimer à J.-M. Leforestier.
La menace
Commençons par parler de la menace. Une menace, c’est une parole ou un geste qui, en même temps, s’adresse à l’imaginaire et s’inscrit dans la logique de la force. L’un et l’autre de ces aspects de la menace montrent qu’elle échappe au langage, qu’elle ne s’inscrit pas dans le champ de la parole. D’abord, elle ne s’inscrit pas dans le champ de la parole parce qu’elle n’appelle pas de réponse à proprement parler et parce qu’elle ne cherche pas à établir ou à pérenniser un lien entre deux personnes mais seulement à établir un rapport de forces. Par ailleurs, elle ne se situe pas dans le domaine de la parole parce qu’elle s’adresse à l’imaginaire. Elle n’appelle pas de réponse de l’autre parce qu’elle ne cherche qu’à susciter de sa part l’expression de l’imaginaire, soit qu’il se protège ou se défende soit qu’il s’incline devant ce qui lui semble plus fort que lui. Quoi qu’il en soit, le propre de la menace est de se situer en-dehors du langage. C’est la raison pour laquelle, et c’est par là qu’il nous faut commencer, la menace n’a rien à faire dans l’espace public des médias, de l’information et de la communication. Menacer l’autre, c’est ne pas le reconnaître comme quelqu’un avec qui on échange, avec qui on parle, c’est seulement se tourner vers son imaginaire et susciter de sa part la peur, la crainte, l’aveu de la faiblesse. Mais il faut aller plus loin : pour toutes ces raisons, la menace échappe au politique, elle se situe en-dehors du politique, car celui-ci repose, précisément, sur la reconnaissance de l’autre, sous la forme de l’élection ou sous la forme du droit. La menace, c’est le commencement de la fin du politique. Et c’est ce qui donne à la menace exprimée aujourd’hui à un journaliste et à Marsactuune gravité particulière. En effet, elle s’inscrit dans le prolongement de ce qui vient de se passer au Brésil, où la politique et la démocratie viennent d’être, en quelque sorte, soumises par une élection liée à une condamnation qui reposait sur des fondements on ne peu plus fragiles. Par ailleurs, elle s’inscrit dans la suite des discours tenus dans un autre pays que le Brésil ou la France, les Etats-Unis, par le président Trump. Dans ces deux situations, la menace vient marquer la fin du politique.
L’urgence
C’est pour toutes ces raisons qu’il y a, aujourd’hui, une véritable urgence à s’engager. Il y a quelques années, quand j’enseignais à l’Université d’Avignon, j’avais consacré un séminaire à cette figure de l’urgence, peut-être parce que cela fait un long moment, à présent, que l’urgence s’est inscrite dans le politique. Qu’est-ce que l’urgence, et pourquoi faut-il parler d’urgence, aujourd’hui, devant ces menaces ? L’urgence, c’est une situation dans laquelle on n’a pas le temps de réfléchir, dans laquelle il importe d’agir, d’agir vite, justement parce qu’on est menacé. Notre constitution, celle de 1958, réserve une place particulière à l’urgence, sous la forme de son article 16. Relisons-le : « Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics institutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances, après consultation officielle du Premier Ministre, des Présidents des assemblée, ainsi que du Conseil Constitutionnel ».Quand la Constitution avait été présentée, en 1958, cet article particulier, sans doute inspiré à de Gaulle par les événements liés à la guerre d’Algérie, avait suscité un ensemble de protestations contre ce qui apparaît une forme d’affaiblissement de la démocratie face au pouvoir personnel du chef de l’État. Mais ce qui m’importe aujourd’hui, c’est qu’il exprime la reconnaissance politique d’une situation d’urgence. C’est cette situation que représentent des événements comme l’élection de Bolsonaro, au Brésil, ou la menace à laquelle a été soumise le journaliste de Marsactu, dont le métier est, justement, de mettre du débat et de la parole dans l’espace public, et, ainsi, de le faire exister, de l’ouvrir, de susciter la réflexion et la critique.
C’est pour toutes ces raisons qu’il ne faut pas dire, aujourd’hui : « le Brésil, c’est loin », parce que c’est à Marseille que la menace s’est manifestée. C’est ici que défendre la démocratie est devenu une véritable urgence.
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