[Mal au centre] Le maire d’Éguilles dégaine des HLM pour barrer la route à un supermarché
Le maire d’Éguilles et Leclerc bataillent depuis des années autour d’un projet de supermarché. En pointe du combat contre les quotas de logements sociaux, l’élu est même prêt à en implanter en pleine zone économique, pour faire échec au projet.
[Mal au centre] Le maire d’Éguilles dégaine des HLM pour barrer la route à un supermarché
Pour Keepcool, c’est à gauche au rond-point. Pour Trocnroll, c’est à gauche puis la première à droite. Pour Leclerc, c’est… compliqué. Sur la route départementale qui longe la zone d’activité d’Éguilles, à défaut de cartables en promotion, l’enseigne déroule sa communication : “65 % des Éguillens sont favorables au projet E.Leclerc”, proclame l’affiche déjà usée par les éléments. Derrière, la végétation gagne le vaste terrain en friche de l’ancienne concession automobile. Depuis plus de cinq ans, le projet de supermarché rencontre l’opposition déterminée du maire Robert Dagorne (LR). “Ils se sont dit, “on va les bouffer”. Ils ne sont peut-être pas habitués à ça !”, sourit celui qui est surnommé Napoléon. Deux recours contre la commission nationale d’aménagement commercial, une modification du plan local d’urbanisme : le maire a placé ses pions.
Depuis l’ancien château où est installé l’hôtel de ville, la vue embrasse la plaine, mais la masse grise du pôle d’activités est masquée par une colline verdoyante. “Je ne souhaite pas accueillir un supermarché qui pourrait se développer à son gré et transformer la zone en mini Plan-de-Campagne”, justifie l’édile. Ce serait “la disparition du petit commerce. Nous avons déjà beaucoup de mal à le maintenir, car nous sommes entourés de grandes surfaces à Aix, à Ventabren.” Un maire contre un centre commercial ? Ailleurs aussi, le vent est en train de tourner, estime-t-il :
Autour, ils ont eu la main lourde. Mais aujourd’hui la maire d’Aix ne souhaite plus agrandir ses zones. Le tissu de commerces intra-muros lui dit “ça suffit, on va crever !”
À deux pas de la mairie d’Éguilles, 7000 habitants, la rue commerçante est loin d’être déserte, mais le primeur est à louer, la maison de pâtes Luccioni ferme ses portes et le petit Casino attend un successeur depuis 3 ans. Face à ce constat, Leclerc tente de rassurer. Le supermarché “favorisera la fréquentation des commerces situés dans le village”, professe Nicolas Bouzou économiste “vu à la TV”, sur l’un des 4 par 3 installés dans la zone. En plus d’un sondage IFOP, le porteur du projet Nicolas Caylet (resté injoignable) a fait appel à son cabinet Asterès pour une étude économique doublée d’une vidéo de soutien, distillée sur les réseaux sociaux et un site internet dédié.
L’économiste Nicolas Bouzou à la rescousse
Pour Nicolas Bouzou, l’une des clés des difficultés d’Éguilles tient dans sa “forte déclivité”. Le village est sur un rocher, ce qui “contraint la plupart des habitants à prendre leur voiture pour effectuer leurs achats. Dès lors, ils sont fortement incités à se rendre dans les supermarchés voisins”. D’autant plus que les foyers les moins aisés sont plutôt situés “en bas”, tandis que les commerces du cœur historique proposent des prix adaptés à ceux d’”en haut”. Dans ce contexte, Leclerc agirait “comme un centre de gravité” et “redonnerait de la visibilité aux commerces situés à moins de 10 minutes en voiture”.
Dans cette bataille, dont s’est mêlé le député Mohamed Laqhila (Modem) pour appuyer le projet de Leclerc, la présidente de l’association Coeur d’Éguilles sort le drapeau blanc. “On ne prend pas parti”, écourte-t-elle, glissant seulement qu’il y a “beaucoup d’avis divergents” chez ses adhérents. Ce scénario gagnant-gagnant, “il y en a qui l’ont cru”, reconnaît Robert Dagorne. Pas lui. “Après être passés au Leclerc, les gens vont faire 3 km pour aller se garer en centre-ville ? C’est absurde. Chez Leclerc il y a tout : la boucherie, la boulangerie…”
En prime, le maire semble loin d’être ravi du portrait social de sa commune dessiné par l’étude. “En bas, il y a aussi des villas somptueuses”, lance-t-il. Le sujet est sensible à Éguilles, 4% de logements sociaux au compteur, l’une des seules du département à avoir refusé de signer un contrat de rattrapage avec le préfet. “Selon la loi, je dois en faire 710, s’étrangle-t-il. Je construis à mon rythme. Je viens d’en livrer 26, une autre opération de 31 logements va démarrer.” Et la concession en friche pourrait en accueillir “40 de plus”. Le nouveau plan local d’urbanisme (PLU), voté en 2017, y programme une opération “mixte”, avec 50 % de logements sociaux.
Des logements sociaux pour contrer Leclerc
Conçu, “je dois l’avouer, pour faire échec à Leclerc”, le projet présente l’avantage d’un foncier “à 229 euros/m2, ce qui est acceptable pour un bailleur social. Dans le village je suis à plus de 600 euros.” Reste à convaincre Leclerc de renoncer à son projet et d’accepter le prix proposé de 6,3 millions d’euros, soit à peu près le montant auquel il l’a acheté en 2013… Le tout sous la menace positionnée à 300 mètres de là d’un projet de supermarché alimentaire de 968 m2, autorisé par Robert Dagorne en 2017.
“Ce terrain est à vocation économique. Redéfinir le PLU pour y mettre des logements, ça nous met sur le cul”, réaffirme Anne Girette, trésorière de l’association du pôle d’activités, qui déplore la rupture du dialogue avec la mairie :
Cela fait 50 ans que les villes mettent les pôles d’activités à l’extérieur car elles sont sources de nuisances. Quand vous avez des camions qui déboulent chargés avec des gosses à côté, ce n’est pas compatible !
Le bus, des commerces, des haies contre le bruit : les habitants ne seront pas si mal, balaie le maire. Au préfet, qui s’étonnait également de ce choix – il a déposé un recours contre l’ensemble du PLU – Robert Dagorne expliquait vouloir installer “une nouvelle centralité”. Après le centre-ville contre la zone périphérique, le centre dans la périphérie ?
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