Repenser la place de Marseille dans l’espace méditerranéen
MARSEILLE, LES VILLES ET LES ROUTES DE LA MÉDITERRANÉE
Sans doute ne peut-on pas questionner la place de Marseille dans l’espace méditerranéen sans s’interroger sur les significations et les logiques des migrances le long des routes qui sillonnent la Méditerranée
Les migrances dans la Méditerranée
La migrance est une vieille histoire, dans l’espace méditerranéen. Peut-être même peut-on dire que c’est la migrance qui a fondé la Méditerranée, au-delà de la mer, comme espace politique. C’est parce que la Méditerranée a, de tout temps, été un espace de parcours, de flux migratoires, d’échanges, qu’elle a fini par s’instituer en espace politique et culturel. Si l’on se plonge de nouveau, comme nous l’avons fait la semaine dernière, dans l’histoire du monde de la Méditerranéen, on se rend compte que ce monde a de tout temps été un monde d’échanges et de migrances, autrement dit un monde d’échanges et de circulations de biens, mais aussi un monde d’échanges et de circulations de personnes, d’acteurs de la vie économique, de la vie culturelle et de la vie politique. Qu’il s’agisse des Grecs venant fonder des colonies dans ce qui est devenu la Turquie contemporaine (par exemple, Izmir n’est que le nom moderne de Smyrne), des Romains cherchant à dominer tout l’espace de la Méditerranée, ou de l’accroissement des échanges et des circulations après l’ouverture du canal de Suez, le monde méditerranéen trouve son identité dans la circulation et dans l’échange. C’est bien la raison pour laquelle, aujourd’hui, la migrance finit par devenir un refuge dans un monde en crise. Quand les Syriens quittent leur pays pour échapper à l’affrontement entre les deux totalitarismes que représentent le régime d’Assad et l’État islamique, c’est par la Méditerranée qu’ils cherchent à échapper à la violence des combats et des dictatures, de la même façon que c’est par la Méditerranée qu’il y a deux millénaires, les chrétiens ont cherché à échapper aux pouvoirs dominant la Palestine : ces migrances ont une signification pleinement politique qui vient s’articuler à la signification économique qu’elles peuvent avoir.
La migrance et les identités économiques et politiques
Si la migrance revêt une telle importance, au point de devenir aujourd’hui l’enjeu d’affrontements politiques majeurs, c’est qu’elle amène à repenser les identités politiques, les logiques des acteurs de l’économie et des échanges, les engagements des acteurs politiques et des pouvoirs. Finalement, à bien réfléchir, on se rend compte que la migrance est une des questions qui donnent à l’économie la signification pleinement politique que Marx propose de lui donner. En effet, c’est quand les acteurs politiques sont amenés à se déplacer pour quitter leur pays et aller dans un autre que l’économie des flux, des échanges et des circulations acquiert une signification pleinement politique. De la même manière, c’est quand les échanges commerciaux, pleinement économiques, qui ont sillonné la Méditerranée depuis l’Antiquité grecque, se sont articulés à des échanges culturels que l’économie s’est pleinement inscrite dans le champ du politique. En effet, c’est dans ces formes particulières d’échanges et de circulation dans l’espace méditerranéen que les acteurs économiques, ceux de la production et des échanges, se voient reconnaître une identité politique, dans des relations aux pouvoirs et aux appartenances et aux identités nationales.
La mer au milieu des terres
Commençons donc par nous interroger sur la signification même de ce nom : « Méditerranée ». Ce mot désigne bien une mer, c’est-à-dire un espace de circulations, de flux et d’échanges, situé au milieu de terres, c’est-à-dire d’espaces d’habitation, de production et de consommation, de cultures et de savoirs. Mais il faut aller plus loin : la signification même de ce nom, Méditerranée, est celle de la relation à l’autre. Un espace ainsi situé au milieu de terres et dont l’identité se trouve exprimée et définie par cette situation entre des terres est un espace fondé sur l’échange et la relation. Les cultures méditerranéennes ont toujours été en relation les unes avec les autres, tout au long de ce qui est, depuis toujours, une histoire partagée. C’est le partage de ces cultures et de ces identités qui est aujourd’hui, de nouveau, au cœur du débat politique avec la question de la migrance. C’est pour retrouver la signification de l’identité méditerranéenne qu’il importe aujourd’hui que la Méditerranée, une fois de plus, soit un refuge pour ceux qui cherchent à échapper à la violence et à la crise.
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