Voyage en Alcazarie : lycéens en vadrouille au rayon Musique

Ah ! Ces visites accompagnées soudain perturbées par des éclats de voix. Cette tranquillité rompue par l’arrivée intempestive d’un groupe de touristes dissipés. On voulait ne rien rater des commentaires du guide, se laisser prendre par cette sculpture et voilà que ça bouscule, que ça parle fort, que ça rigole grassement. On finirait par déplorer le tourisme de masse et par lâcher sa hargne. S’ils ne sont pas intéressés, qu’ils se cassent ! Et qu’ils nous laissent tranquilles ! Entre nous.

J’aurais pu me dire cela en croisant ce groupe de lycéens au département Musique. Une dizaine de grands gars avec crête noire sur la tête et dégaine de frimeurs décalés venaient d’arriver et déjà ils se répandaient, parlant fort, dansant au son de leur musique d’oreillette. L’un d’eux essayait d’atteindre le plafond de sa main tandis qu’un autre exhibait sa musculature en faisant le cacou devant une caméra installée au plafond. Les filles restaient un peu en retrait, nez dans le sac à main et surtout soucieuses de leur apparence maquillée. Chacun était dans son monde.

Le bibliothécaire de service, un homme sérieux et avenant, calme et disponible, s’efforçait de présenter de façon attrayante son département. Si l’on veut choisir un CD, le plus commode est de chercher la référence sur l’ordi. On va essayer si vous voulez. Tiens ! Toi ! Tu veux quel chanteur ? … Michael Jackson… C’est l’un des plus demandés, il va falloir faire une réservation. Et toi, tu aimes quoi ? … Rap… C’est le rayon le plus emprunté, mais il reste encore beaucoup de choses tout de même… Rap… Tu peux aller voir directement dans les rayons… Rap, rap !

Ne soyons pas injustes, il y avait au moins trois potaches attentifs, mais la plupart étaient incontrôlables. Et les remarques des deux enseignantes avaient un effet très relatif, ce qui ne semblait pas les perturber outre mesure. Une question d’habitude sans doute à moins que ce ne soit un choix pédagogique. Parfois, ça se gâtait et les menaces tombaient. On va arrêter tout de suite si vous faites n’importe quoi, criait l’une. Et d’abord tu ne me parles pas comme ça ! Et tu écoutes quand je te parle ! (pas facile quand on a un « écouteur » collé à l’oreille). Au bout d’un moment, les enseignantes finirent par se lasser et se retrouvèrent ainsi à l’unisson de leurs élèves. Vous êtes trop énervés pour être dans une bibliothèque, vous faites n’importe quoi, je vais vous foutre dehors ! Et d’abord on ne répond pas au téléphone dans une bibliothèque. Sans gêne, le garçon poursuit sa conversation tout en faisant un geste de main méprisant. Un autre fait mine de piquer des CD. Mais, madame, si je volais vraiment, vous le verriez même pas ! L’enseignante prend finalement à part les plus paisibles et leur distribue des cartes de bibliothèque. Je n’en donne pas aux autres, c’est pas la peine… Mais c’est pas juste, madame !

Le bibliothécaire tranquille revient à la charge comme si de rien n’était. Vous pourriez venir à l’auditorium un matin avant l’ouverture, ce serait cool d’écouter de la musique dans des fauteuils. Vous pourriez choisir le programme. Vous pourriez même venir voir les livres, ose-t-il, il y a des BD, des mangas, des romans.

“Un livre est une bouteille jetée en pleine mer sur laquelle il faut coller cette étiquette : attrape qui peut”, écrit Alfred de Vigny dans son Journal d’un poète.

Ce nouvel épisode du Voyage en Alcazarie est tiré de l’ouvrage Scènes de vie en bibliothèque – Voyage en Alcazarie, paru aux éditions de l’Harmattan et disponible en librairie et sur le site des éditions.

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