Voyage en Alcazarie : aide scolaire

Une médiathèque est aussi une salle de travail. De petits duos se constituent ainsi autour des tables et l’on comprend vite qu’il s’agit d’aide scolaire. Des grands-parents disponibles, des amis compétents, des étudiants avancés accompagnent ainsi les plus jeunes pour faire les “devoirs à la maison”. Et la grande maison prend alors des airs de salle de répétition, d’entraînement, de rédaction, parfois même de réanimation. Cela me fait penser au Quart d’heure de culture métaphysique de Ghérasim Luca que l’on pourrait ainsi revisiter. Allongée sur le vide/ Bien à plat sur le travail/ Idées tendues/ Le travail étendu au-dessus de la tête/ Le cerveau tenu entre les deux mains/ Elever ensemble les idées/ Sans atteindre la verticale/ Et amener en même temps les questions/ Devant le vide des réponses/ Marquer un certain temps d’arrêt/ Et ramener sens et travail à leur position de départ/ Ne pas détacher les oreilles du sens/ Garder idées et aide tendues…

Aujourd’hui, c’est un cousin qui fait office de soutien rapproché de la lycéenne en perdition. Elle, tête couchée sur un bras replié sur la table, bâillements répétés. Lui, master d’économie, torse droit et ton chaleureux. Un enseignant en puissance assurant déjà le bon dosage entre fermeté et compréhension. Le crayon court sous le regard attentif du maître. Ça va ?… Ça va… Alors, on continue… Si tu veux… C’est trop dur pour toi ? … Ça va !… Allez, courage ! Je vérifie juste un truc. Mais c’est pas mal du tout. Allez ! on passe à l’exercice 3. Tu as les annexes ?… Mais que je suis bête, je l’ai déjà fait celui-là… Alors on va en faire un autre… Ouais… Dis-moi ce que tu comprends ? … Je comprends pas qu’est-ce que ça veut dire… Je t’explique… Je vois pas trop… Si tu veux, c’est comme… Des fois, j’ai pas le temps de noter, ça va trop vite… Et ça, tu sais ? … Non. Je l’ai pas encore fait… Alors on passe à la proposition suivante. Qu’est-ce qu’on peut dire ? … Euh, euh… C’est ça. Super ! … Je suis un peu fatiguée… Allez, courage ! C’est intéressant… Je sais pas… Bon, ok ? On va faire un exercice qui va t’aller ! Mais l’élève est trop fatiguée, elle s’est peut-être levée à six heures pour s’occuper de ses petits frères. Elle se contentera de relire la correction juste avant. Le maître du jour ne lâche pas. La correction, ça ne suffit pas, il faut la comprendre. Et il reprend de plus belle : si tu veux, je vais te donner une bonne technique qui va beaucoup t’aider pour les limites… Les limites, les limites, je sens qu’elles sont dépassées, peut-être même les bornes. Et depuis un bon moment.

Le voisin d’en face, livres d’économie devant lui, saisit l’occasion pour solliciter timidement de l’aide. Tu peux m’expliquer un truc ? … Avec plaisir, pas de problème… C’est en éco… Super ! L’économie et les maths, c’est ma vie… Quelle chance tu as, commente la jeune fille… Mais attends une minute, je finis avec elle, et après je t’écoute. T’inquiète pas.

Non loin de là, une jeune fille dort, la tête abandonnée sur un bras relâché au bord de la table, des fiches abandonnées dans une main détendue. Son livre de philosophie est ouvert au chapitre “La morale”. Ne la réveillez pas, ne la réveillez pas.

“Alors ? Pourquoi tu veux l’être institutrice ? Pour faire chier les mômes, répondit Zazie” (Raymond Queneau, Zazie dans le métro).