Les enfants de Noailles entrent en scène

Reportage
le 25 Juil 2017
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Au cœur de l'un des quartiers les plus pauvres de Marseille, les jeunes d'un centre social sont invités à participer à une pièce de théâtre qui se veut proche de leur quotidien et des problématiques de leur cadre de vie. Entourés par un metteur en scène et la responsable du centre, beaucoup signent ici leur première rencontre avec le théâtre.

Un atelier d
Un atelier d'expression corporelle pour les jeunes du Lieu d'Initiatives Partagées

Un atelier d'expression corporelle pour les jeunes du Lieu d'Initiatives Partagées

L’ambiance est fébrile au sein du Lieu d’initiatives partagées (LIP) de Noailles. Une dizaine d’enfants remplit tant bien que mal un formulaire de renseignements. “Couleur des cheveux ? C’est quelle couleur ça ?”, “Le département c’est quoi ?”, “Mais j’habite pas dans les Bouches-du-Rhône, j’habite à Dromel !”. “C’est compliqué, résume Douâa, mi-amusée, mi-agacée. “Taille de la veste ? Mais pourquoi vous demandez ça ?”, s’exclame-t-elle à l’adresse du metteur en scène qui observe ce joyeux boucan. “Pour les costumes”, répond-il patiemment.

Et de costumes, le centre en aura bientôt besoin. Vendredi soir était organisé le second casting pour le projet de pièce participative porté par Latif Benahmed, comédien et metteur en scène, et Anrifinat M’dahoma, responsable du secteur jeunes 10-14 ans pour cette antenne du centre social Julien, installé sur le cours du même nom. “J’ai grandi dans le théâtre en Algérie, raconte Latif Benahmed. Je faisais partie d’une compagnie qui s’appelle Les Signes et qui a participé au festival international de Mostaganem”. Il s’est installé en France il y a bientôt 11 ans. Cette pièce fait partie du projet professionnel de Latif Benahmed, actuellement en stage dans le but de devenir animateur socio-culturel. Anrifinat Mdahoma, qui elle, compte 15 ans d’expérience dans le social, est sa tutrice. Ensemble, ils ont organisé deux castings afin d’attirer des enfants du quartier, en plus de ceux qui sont déjà inscrits au LIP.

Ne plus être soi-même pour un instant

Vendredi soir, les neuf enfants présents sont assis en demi-cercle dans une grande pièce du rez-de-chaussée. Au centre, une chaise vide attend que le plus courageux se dévoue. Le casting se veut sérieux. “Un casting, c’est comme passer une audition, explique Maya, 11 ans. On nous pose des questions sur le théâtre, pourquoi on veut faire cela.” Questions suivies par une courte improvisation sur un thème donné par Latif Benahmed. Maya a déjà passé le précédent casting et propose avec assurance de montrer l’exemple aux petits nouveaux. Elle se lève fièrement et s’assoit sur la chaise qui fait face à ses camarades.

Maya se présente. Énonce ses points forts (“la gym et le basket”) et ses projets dans 10 ans : “Je me vois toujours dans un sport. Et aussi faire du théâtre, mais juste pour moi, je veux pas être une star”, prévient-elle. Elle aime le théâtre “parce qu’on peut ne pas être nous-mêmes”. C’est une explication qui revient souvent, énoncée gravement, comme si leur vie à peine entamée se montrait déjà trop étroite dans un quartier populaire où nombre de logements sont indignes et qui ne compte pas de centre social. Vient le moment fatidique : il faut improviser. “J’ai rien dans ma tête”, lâche-t-elle. Pas pour longtemps, puisque Latif Benahmed, mettant à profit sa passion pour le sport, lui propose de jouer une éducatrice sportive. La voilà donc qui lance un bonjour énergique à son audience et saute sur place en faisant des exercices d’étirement. Les autres rient et applaudissent.

Maya va se rasseoir. “Je suis pas du tout satisfaite de mon truc”, lâche-t-elle à son amie. Pourtant, la jeune fille est restée sûre d’elle et l’exercice se fait plus difficile pour certains, paralysés par le stress. Sami sourit avec gêne quand vient son tour. “J’y arrive pas”, dit-il comme pour s’excuser. Le metteur en scène n’abandonne pas, lui demande de répéter une réplique qu’il avait déjà travaillé lors du précédent casting. “J’ai bien appris la leçon, et pour de bon”, déclame Sami. “Répète plus fort, ordonne Latif Benahmed. Je veux qu’à l’étage on t’entende.” La leçon sera apprise au bout de cinq répétitions de moins en moins timides.

Du théâtre pour les enfants des quartiers populaires

Derrière ce casting, le projet est de faire participer les enfants du quartier de Noailles à l’écriture et la représentation de la pièce Les Enfants de la Rue, écrite par le dramaturge algérien Djamel Bensaber. Le metteur en scène assume la dimension plus sociale qu’artistique de la pièce. “Mon objectif, explique Latif Benahmed, c’est favoriser la cohésion sociale et tisser les liens sociaux dans le quartier”. La pièce a déjà été jouée “deux ou trois fois”, et raconte l’histoire d’un groupe de jeunes sans-abris. “Des copains de la rue qui veulent trouver des solutions à leurs problèmes et qui prennent des initiatives”, précise Latif Benahmed. Le processus se veut participatif car les enfants vont démarrer un processus d’écriture collective. “Je veux l’adapter à la société d’aujourd’hui, à la vie des enfants. On va rajouter du texte, des personnages. C’est une adaptation collective”, explique-t-il. Anrifinat Mdahoma souligne que Latif est déjà connu des parents, qui lui “font confiance parce qu’il connaît le milieu de vie des enfants” et qu’il s’occupera de la formation accélérée des jeunes ainsi que des ateliers d’écriture.

Un projet ambitieux alors que beaucoup des jeunes impliqués ont un accès restreint, voire inexistant, au théâtre. “Ils ont commencé à aimer le théâtre alors que ça ne fait pas partie de leur quotidien à l’origine, se félicite Anrifinat Mdahoma. L’objectif, c’est aussi de les détourner de la télé-réalité. Ils savent que c’est faux et surjoué, mais ils s’identifient quand même. Le but, c’est de leur faire jouer autre chose”“On utilise des astuces pour les attirer”, sourit Latif Benahmed. Par exemple, le LIP a organisé une sortie dans un théâtre de Marseille, le Daki Ling , dans lequel les jeunes “ont vu jouer leurs copains”. L’objectif de la sortie était de leur donner envie de faire du théâtre à leur tour. Pari tenu, puisque les castings ont réuni une vingtaine d’enfants. La pièce devrait ainsi être jouée en janvier prochain dans les théâtres de l’Oeuvre et au Daki Ling, ainsi que dans des centres socio-culturels.

“S’exprimer autrement” à travers le théâtre

“Le but, c’est qu’ils puissent s’exprimer autrement, explique Anrifinat Mdahoma, pas par la colère, mais d’une autre manière sur leurs problèmes au quotidien”. Le centre a d’ailleurs reçu le soutien du commissariat général à l’égalité des chances et de la mairie de Marseille, démarchés par le centre Julien, et qui lui apportent un soutien financier. “Il y a des réunions de partenaires, ils sont assez présents tout au long du projet”, se félicite Anrifinat Mdahoma. “C’est une bonne première expérience pour les enfants”.

Première expérience en effet pour Aymen, qui, du haut de ses sept ans, est le benjamin du casting. Mais il annonce la couleur : “Celui qui m’embête, je le mords”. Il sait faire le clown, “un peu”, précise-t-il modestement. Il se lève, improvise un sketch pendant quelques secondes, se ravise, fait non de la tête. “Je sais pas faire.” Latif Benahmed l’encourage. “Allez, c’était bien, tu fais le clown. Tu t’appelles comment ?” “Je m’appelle Un Clown”. Il semble rassuré par les rires et par les bravos de son cousin, également présent à l’audition, et fier de lui. Plus tard, Latif Benahmed annonce à Rayan, venu également passer le casting, qu’il doit jouer un médecin. Les autres rient, comme s’il s’agissait d’une idée totalement absurde, mais lèvent la main pour jouer le patient. “Allongez-vous sur la chaise”, ordonne le docteur Rayan à son patient improvisé. S’ensuit une réplique inattendue : “Vous avez vos papiers ?”

Quand Latif Benahmed demande aux enfants s’ils aiment le théâtre, les réponses sont mitigées. “Un peu”, “Pas forcément”, “Oui, s’il y a de la comédie”. Leurs idoles sont Jamel Debouzze ou Omar Sy. Le casting sera pour certains l’occasion de révéler un talent inattendu. Fares démarre son audition par un catégorique “Non mais je veux pas faire ça, moi”. Il se laisse néanmoins entraîner dans l’improvisation d’un enfant sans-abri, tend la main vers ses amis pour prendre un argent imaginaire sous les rires de l’audience. Maya l’avait pourtant prévenu lors de son propre passage : “Ça se fait pas de rigoler, quand vous passez je vais vous faire la misère”. Mais elle n’hésite pas à prendre à parti Latif : “Il fait trop rire, il ferait un excellent comédien”. Latif confirme et le félicite. Fares semble surtout surpris d’avoir réussi.

Le LIP, une réponse aux enjeux sociaux du quartier de Noailles

Latif Benahmed et Anrifinat Mdahoma ne tarissent pas d’éloges sur leurs protégés : “Ils sont volontaires, motivés, intéressés, et participent tous à leur niveau”, assure Anrifinat. Même si Latif doit lancer plusieurs rappels à l’ordre pour faire taire les bavards, il n’hésite pas à encourager sans limite les enfants quand ceux-ci se montrent motivés. “Douâa, c’est un exemple, un modèle”, affirme-t-il par exemple dans un silence respectueux, après que la jeune fille a improvisé d’elle-même une scène dans un salon de coiffure.

L’accompagnement et le soutien moral aux enfants et adolescents est l’un des objectifs du LIP de Noailles. “Ici, c’est un lieu convivial, décrit Anrifinat Mdahoma, on n’est pas là pour les stigmatiser mais pour leur donner une chance. Ils n’ont pas que des problèmes, ce sont des enfants super. Leurs parents peuvent être fiers”. Latif Benahmed confirme : “Les enfants sont sains, ce ne sont pas des tricheurs. Ils disent la vérité sur ce qu’ils vivent.”

Ouvert en 2015, le LIP joue avant tout un rôle d’accueil afin de diminuer le nombre de jeunes désœuvrés dans les rues. Le vendredi soir, des ciné-clubs sont organisés, et permettent aux enfants de regarder des films et de débattre avec Latif Benahmed, qui transmet ainsi sa passion pour le théâtre et le cinéma. Le bilan est positif selon Anrifinat : “Il y a moins d’enfants dehors, et quand on leur montre des films éducatifs le soir, ils sont fatigués et rentrent chez eux”, ou peuvent être ramenés par les membres du centre. “De plus en plus de jeunes viennent à ces ciné-clubs. Au début, ils étaient seulement une dizaine, mais maintenant ils sont parfois 25 à 30 enfants !”, s’enthousiasme la jeune femme.

L’audition se poursuit jusqu’à 20 h 30. Anrifinat Mdahoma est allée acheter des pizzas que les enfants se partagent joyeusement, heureux d’avoir passé l’épreuve angoissante de l’audition. Dans quelques minutes commencera le traditionnel ciné-club du vendredi soir. Latif Benahmed se dit satisfait des enfants. Il a reporté un de ses propres castings qui devait se dérouler ce soir-là à Paris. Il a préféré rester à Noailles pour être avec les enfants. “L’essentiel pour moi, c’est ici.”

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Commentaires

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  1. LN LN

    Recette efficace et magnifique du LIP :
    1) S’intéresser aux gens
    2) Donner la parole et la laisser libre
    3) Encadrer juste ce qui faut
    4) Saupoudrer de culture
    Servir souvent longtemps et à consommer sans modération
    Merci pour ce bel article positif !

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