1923-2017 : voyage à travers les grands restaurants marseillais
1923-2017 : voyage à travers les grands restaurants marseillais
On a parfois l’impression que les institutions à fourchette qui nous entourent sont enracinées depuis la nuit des temps. Ce n’est pas toujours vrai. Prenez le Petit Nice tenu par le chef Gérald Passédat. Le plus célèbre restaurant de Marseille, unique table du département à afficher trois étoiles au guide Michelin, n’a obtenu son premier astre… qu’à la toute fin des années 70. La courgette farcie à la mousse de homard et la baudroie au safran et à l’ail (guide Michelin 1981) ont depuis laissé place aux effeuillés d’oursins, coulibiacs (2001), oursins à la gelée de tomate, rouget rôti (2008) puis aux anémones en beignets et poissons bleus crus (2017).
Remontons loin. Très loin. Nous sommes en 1900. La cité phocéenne compte alors 332 500 âmes. La date n’est pas anodine : elle signe la parution du premier guide Michelin, alors délivré gratuitement. L’ouvrage ne recommande aucun restaurant, seulement un trio d’hôtels et le stockiste des pneus Michelin de l’époque (Andrillon, posté au 26 rue Colbert). Il faudra patienter deux décennies pour voir apparaître les restaurants « de premier ordre » (La Réserve située promenade de la Corniche) et « modestes » (Pascal place Thiars), deux seuls établissement référencés en 1923. Mais c’est véritablement dix ans plus tard que le système Michelin se met en place et attribue les étoiles que nous connaissons aujourd’hui. La première traduit « une bonne table dans la localité ». La seconde une « cuisine excellente, qui mérite le détour ». La dernière enfin « une des meilleures tables de France, qui vaut le voyage ». En ce temps, le guide distingue six établissements (La Réserve, Lucullus et Verdun avec deux étoiles chacun, une au compteur pour Inard, Strasbourg et Pascal). Si la bouillabaisse est spécialité partout, certains proposent des plats phares moins ancrés localement (porcelet des Alpilles chez Lucullus, sole normande chez Inard).
Non publié entre 1940 et 1944, le guide reprend du service l’année de la victoire des Alliés mais le retour des récompenses traditionnelles ne se fera qu’en 1951. A cette date, Surcouf (spécialité de croustade de langouste), Strasbourg (bécasse des Alpes), Campa (moules gratinées), le Caribou et Gardanne (poissons flambés au fenouil) composent notamment le paysage étoilé de Marseille. Dans le millésime 61 figurent Guido (filet de bœuf au champagne et feuilleté de langouste au vermouth), la Brasserie des Catalans, Bertin (civet de lièvre du chef et « chacha » des Alpes fourré au foie d’oie). Les seventies ? Le Calypso, New York Vieux-Port (langouste grillée) ou encore le Jambon de Parme (scampi, raviolis, rognons de veau sautés au marsala) répondent présents. La décennie suivante verra l’arrivée de Patalain (filet de sole aux queues d’écrevisses, côte d’agneau « Soubise », gâteau « des Prélats »). Rien de nouveau pendant la guerre du Golf. Ceux qui déploreront la brièveté des descriptions associées aux restaurants cités peuvent s’abstenir : ces dernières années mises à part, Bibendum n’a jamais été très bavard.
Au début du nouveau millénaire, le Miramar noircit les pages du guide Michelin avec une offre tarifée entre 330 et 550 francs à la carte (à noter que le numéro de téléphone de l’époque a valsé depuis et que le site internet d’alors était bouillabaisse.com¹). Quelques années plus tard, deux nouveaux barons de la casserole entrent en scène : Guillaume Sourrieu à l’Epuisette (étoile en 2002) et Lionel Lévy à Une Table au Sud (étoile en 2005) avec son velouté de châtaignes aux langues d’oursin, crumble de denti aux agrumes et gingembre. Plus loin, 2015 sacrera deux jeunes talents fraîchement installés : Ludovic Turac (reprise d’Une Table au Sud en janvier 2013) et Alexandre Mazzia (ouverture en juin 2014).
On le savait mais les guides Michelin successifs nous le confirment : jusqu’à un temps relativement récent, on ne « mangeait pas son environnement ». Sur l’échelle du locavorisme, notion parfaitement inexistante alors, deux écoles. Au pire, les tables marseillaises d’antan cultivaient une partition dite classique, riche, beurrée, crémée, dupliquée partout dans le pays. Au mieux, elles jouaient à la Provence figée, tournant vilainement le dos à leur ville. En librairie depuis le 16 février dernier, la dernière version du guide rouge octroie sept étoiles à Marseille. Marseille qui, en 1933, pouvait se vanter d’en posséder neuf. Faut-il pour autant regretter cet « âge d’or » ? Non. La cité phocéenne a gagné en identité. Ses assiettes ont désormais le regard tourné vers la grande bleue. Finis pieds paquets et riboulettes, bonjour la soixantaine d’espèces de poissons du cru. Hier techniciens-nationalistes, les cuisiniers se sont mués en « micro-terroiristes » et l’affichent. Dis-moi (d’où vient) ce que tu manges, je te dirai qui tu es.
¹ L’adresse Bouillabaisse.com fonctionne encore et renvoie bien vers le site du Miramar
Commentaires
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Pourtant les pieds et paquets font bien partie de la cuisine marseillaise traditionnelle
“Dis moi ce que tu manges …”
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Vous avez raison Robert, ils s’inscrivent complètement dans le patrimoine marseillais. Mais il faut reconnaître qu’on les trouve désormais moins souvent que par le passé sur les cartes & menus de restaurants.
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….pas assez chic parisien mon fils …
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