25 ans après la mort d’Ibrahim Ali, “barrer la route au FN” est toujours d’actualité

Reportage
le 22 Fév 2020
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Chaque 21 février, au carrefour du Quatre-chemin-des-Aygalades, se tient un hommage à Ibrahim Ali à l'endroit même où jeune homme a été tué par des colleurs d'affiche du FN en 1995. À quelques semaines du premier tour des municipales, l'appel à faire barrage au parti d'extrême-droite prend des accents d'urgence.

Soly Mbae déclame un slam en écho "fictionnel" de la campagne en cours en 2020.
Soly Mbae déclame un slam en écho "fictionnel" de la campagne en cours en 2020.

Soly Mbae déclame un slam en écho "fictionnel" de la campagne en cours en 2020.

L'enjeu

À quelques semaines du premier tour, les candidats aux municipales étaient nombreux pour dire leur opposition au Rassemblement national, sans parvenir à faire l'union sur les listes.

Le contexte

Tous les 21 février, les amis et proches d'Ibrahim Ali rendent hommage au jeune homme tué par des colleurs d'affiche du FN, il y a 25 ans.

“Vous pouvez me dire quand on arrive aux Quatre-chemins-des-Aygalades ?”. La jeune femme vient de grimper dans le bus 30 qui part de la toute nouvelle station Gèze. En 25 ans, le métro a progressé de quelques petits kilomètres vers le nord. En revanche, il faut toujours attendre 20 minutes pour voir le prochain bus tortiller le long du biaou des Aygalades et rejoindre la Savine, tout au bout du 15e arrondissement. Ce bus, Fatima Ahmed et Soly Mbae le connaissent bien.

Cela fait presque 30 ans qu’ils l’empruntent pour rejoindre le B Vice, et sa Sound musical school, un centre culturel à l’usage de la rue, sis au cœur de la cité. 25 ans qu’ils sont au rendez-vous du Quatre-chemins-des-Aygalades, chaque 21 février. Là où un soir, une bande de jeunes du B Vice tentaient de choper ce bus pour rentrer chez eux, dans cette cité où l’on vient des quatre coins du monde et où il est encore si dur de se rendre.

25 ans à dire non

Là, le 21 février 1995, Ibrahim Ali est tombé face contre le bitume, abattu d’une balle dans le dos par des colleurs d’affiche du Front national. Depuis cette date, ses proches, fondateurs du B Vice, donnent rendez-vous à ceux qui n’oublient pas.

En ce 21 février 2020, la foule déborde sur la chaussée, déclenchant des coups de klaxons furibards. Élection municipale oblige, l’affluence croît avec les candidats présents, leur entourage et représentants. De Lydia Frentzel de la liste écologiste Debout Marseille à Samia Ghali (DVG) en passant par Jean-Marc Coppola du Printemps marseillais et leurs colistiers, la gauche est là, rassemblée par camp. Même Jazia Kerbadou, seconde de liste pour Martine Vassal (LR) dans les 15/16 tient les premiers rangs, entourée de militants. La grande taille de Saïd Ahamada, son adversaire LREM, se repère de loin, lui qui dit être entré en politique après le choc causé par ce meurtre raciste. “Les politiques sont nombreux, c’est sûr, mais ça fait aussi venir les journalistes”, sourit une participante de longue date.

“Faites comme vous voulez mais barrez leur la route !”

Dans cette atmosphère de campagne où l’on se pousse facilement du coude pour placer un mot dans un micro, l’appel d’Aly Ibrahima, cofondateur du B Vice, résonne fortement. “Rassemblez-vous ! Faites comme vous voulez mais barrez leur la route !, exhorte-t-il. À cinq minutes d’ici, à la mairie il y a ceux qui ont assassiné Ibrahim Ali”. Plus tard, il interpellera directement “Samia, Saïd, Lydia” pour contrer le parti de Marine Le Pen qui a pris la mairie du secteur le plus peuplé de la ville en 2014 et dont rien n’indique qu’il pourrait le perdre.

Cofondateur du B Vice, Aly Ibrahima appelle les partis à faire barrage au FN.

Dans les rangs politiques, tous appellent à faire barrage, mais chacun de leur côté. Sept listes revendiquent appartenir au camp républicain, opposées au Rassemblement national, dont trois à gauche. Tête de liste pour Samia Ghali dans les 13/14, Julien Rossi dit n’avoir “été invité à aucune réunion pour construire une liste d’union” dans ce secteur où les tentatives de rassemblement ont échoué.

Tous unis chez soi

Candidat pour la liste Unir, soutenue par la France insoumise et EELV, Mohamed Bensaada a choisi de faire l’union de son côté. Il pointe “les sept réunions préalables à une liste d’union dans le 13/14. Il y avait un consensus sur mon nom et, le lendemain, on apprend que Michèle Rubirola présente Jérémy Bacchi en tête de liste”. La désunion ne serait donc pas de son fait et il invite à aller en discuter avec le candidat du Printemps. Jérémy Bacchi est déjà parti, pris par un rendez-vous.

Son camarade communiste, Jean-Marc Coppola balaie ces critiques mais reconnaît que “tout cela est bien dommage”. “Le Printemps a fait sa part du dépassement des clivages en permettant un rassemblement inédit entre partis de gauche et collectifs citoyens dans tous les secteurs. C’est insuffisant, notamment dans le 13/14 mais le danger du FN est partout”. Bien entendu il garde “la main tendue jusqu’au bout”.

Il tient même une anecdote des régionales de 1998 où le dépôt des listes de Michel Vauzelle s’est fait un quart d’heure avant la limite légale pour “permettre un ralliement de Lucien Weygand qui menait une liste dissidente”. Celui-ci n’a pas eu lieu. En 2020, à cinq jours du dépôt des listes, aucun camp n’entend renoncer à sa “dynamique de rassemblement”.

“Un bal masqué de gros égos”

Quand il monte à son tour sur le tas de palettes qui tient lieu d’estrade, Soly Mbae prévient par avance que le texte qu’il va lire relève de la fiction. C’est un slam aux accents doux amer qui moque en termes choisis ce théâtre politique dont une nouvelle scène se joue sous ses yeux :

 “Une messe de l’entre soi bourgeois érigée en démocratie/ Qui donne au peuple le libre choix de sa lente agonie/ Un bal masqué des gros égos où de fieffés opportunistes/ Changent sans cesse de peau et de veste pour figurer en tête de liste”

“Mais tout cela, chers amis et concitoyens relève de l’histoire, de vilaines pratiques d’un temps ancien”, ajoute-t-il plus loin. Il espère encore que “des candidats passeurs d’humanité et d’espoir vont sortir [s]a ville du coma”.

J’aime à penser et à croire que le cœur de la bonne mère/ déborde d’assez d’amour pour offrir à nos petits frères intérimaires volontaires dans la guerre des gangs et du shit/ autre chose qu’un ticket pour le cimetière à défaut d’un smic

J’aime à rêver et à croire qu’un jour prochain enfin/je marcherais comme un gamin, accroché à la main/ de Koko Mbélizi/ dans la rue Ibrahim Ali

Koko Mbélizi est la mère d’Ibrahim Ali. Son unique fils, tué il y a 25 ans, n’a pas de rue à son nom “mais un rond-point, même pas rond, en bas de la Savine”, raille Aly Ibrahima. Comme à l’accoutumée, il a distribué aux élus présents des enveloppes avec une plaque au nom du jeune homme pour qu’ils honorent leur promesse. Rendez-vous l’année prochaine, au même endroit, pour la parole tenue ?

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Commentaires

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  1. marseillais marseillais

    Benoit Gilles, comment se fait-il que vous ayez oublié de citer Michèle Rubirola, tête de liste du Printemps Marseillais car ici tous sont cités ?
    Je veux bien croire qu’elle soit encore méconnue des marseillais, mais vous quand même !
    Quel oubli

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    • Benoît Gilles Benoît Gilles

      Bonjour, j’ai effectivement omis de citer Michèle Rubirola, mais aussi Sébastien Barles Marie-Florence Bulteau- Rambaud pour Lrem, et de nombreux colistiers des listes de gauche, du centre et de la droite républicaine.

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  2. Jean Michel BERTRAND Jean Michel BERTRAND

    A quelque jours du dépôt des listes des habitant(e) s vont-ils demander à Bacchi et Bensahada s’ils sont prêts à assumer pendant des années l’élection du RN ? Seront-ils les Pape Diouf de 2020 ?

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