Y a-t-il un pilote au château de la Buzine ?

La Buzine avait été choisie pour accueillir une antenne de la cinémathèque de Marseille.

Peut-on diriger un établissement financé par une mairie quand on est élue dans cette même collectivité ? C’est le cas d’école que pose Valérie Fedele, conseillère d’arrondissement UMP dans le 13/14 et nouvelle directrice du château de la Buzine, situé dans le 11e. Lorsque Marsactu a vent de cette nomination, le premier scénario était presque trop simple : la Cinémathèque de Marseille, l’association qui gère le lieu en délégation de service public (DSP), a-t-elle agi sous pression de la collectivité qui lui a accordé un contrat de 450 000 euros par an ? Pas du tout, nous répond Eliane Zayan, l’adjointe chargée du dossier :

C’est anormal, elle n’aurait jamais dû accepter. J’ai alerté le maire, il est contre ça. Mais ils n’en ont fait qu’à leur tête.

Aux questions “éthiques et même légales” soulevées par Eliane Zayan, la nouvelle directrice oppose un argumentaire travaillé :

Je suis élue dans une mairie d’opposition, je n’ai donc aucune délégation. De plus, un conseil d’arrondissement ne dispose que d’un avis consultatif sur son périmètre. J’ai quand même questionné les services juridiques de la Ville qui n’y ont pas vu d’incompatibilité. Enfin, je me suis engagée par écrit à démissionner de mon mandat si la préfecture me le signifiait ou si on me le demandait au niveau politique.

N’a-t-elle toutefois pas bénéficié de sa position d’élue ou de militante UMP, ne serait-ce que pour accéder à l’information qu’un poste était à prendre ? “À aucun moment mes liens avec la Ville ne sont intervenus, assure-t-elle. J’ai croisé une personne du conseil d’administration qui m’a informée de ce recrutement”. On l’imagine mal en tout cas figurer sur une liste aux municipales, a fortiori dans le 11/12…

Un investissement de 11,4 millions d’euros

À ce stade, on pourrait lancer le générique de fin en laissant à chacun le soin de juger. Mais l’affaire n’est en fait qu’un rebondissement d’une gestion jalonnée de difficultés. Racheté en 1995 par la municipalité, le “Château de ma mère” de Marcel Pagnol a fait l’objet d’un investissement de 11,4 millions d’euros en vue de la capitale européenne de la culture. Or, depuis son ouverture en juin 2011, le musée des cinématographies de la Méditerranée inquiète à cause de sa fréquentation au ralenti.

En août dernier, les interrogations étaient renforcées par le licenciement du directeur Serge Necker. Au même moment, l’association enregistrait le départ de sa programmatrice culturelle, “pour raisons personnelles”, nous précise cette dernière. Pour tenter de faire face, l’association fait entrer trois nouvelles têtes au conseil d’administration, dont la journaliste spécialiste du cinéma Jeanne Baumberger. “À ce moment, c’est la panique. Les administrateurs historiques sont plutôt des cinéphiles qui ne faisaient tourner que la cinémathèque du CRDP, ils cherchaient des gens avec une expérience de terrain et un carnet d’adresses”, explique-t-elle. Avec Jeanne Baumberger, arrivent la directrice du musée du terroir marseillais Evelyne Bremondy et Robert Bayou. Ce dernier n’est autre que le responsable de la mission cinéma de la ville de Marseille, comme quoi un conflit d’intérêts peut en cacher un autre…

Moins d’un an après, seule reste de ces renforts Evelyne Bremondy, les deux autres ayant démissionné au moment de l’arrivée de Valérie Fedele. “C’est une des raisons que j’ai fait valoir dans ma lettre de démission, car j’estime que le conseil d’administration aurait dû se poser la question du point de vue de l’éthique républicaine”, commente Jeanne Baumberger. Mais ce n’est que la goutte d’eau. “Je me suis aperçue assez rapidement qu’il y avait pas mal de dysfonctionnements, j’ai proposé des pistes mais les choses ont tourné de telle manière que je n’ai pas pu cautionner davantage la gestion.”

À l’époque, la réalité de la situation du musée, sans direction de septembre à février, ne franchit pas les portes du château. “La Buzine était dans un état critique, le déficit s’était déjà creusé, il n’y avait plus vraiment de tête et – à tort ou à raison – le personnel faisait fonctionner le navire tout seul”, témoigne Jeanne Baumberger. C’est elle qui, bénévolement, se charge de la programmation pour éviter l’écran noir au moment de la réouverture début février.

Une directrice rapidement “poussée vers la sortie”

Le recrutement en février de Christine Fillette, jusqu’alors directrice du cinéma Capitole à Avignon, aurait pu refermer le chapitre. “C’est quelqu’un de très rigoureux, travailleur, dont je pense le plus grand bien”, assure Eliane Zayan. Las : elle n’ira même pas au terme de sa période d’essai de 4 mois. Elle justifie sa démission par “un barrage sur ses décisions”. “Je ne pouvais plus exercer mon poste. On ne reste pas au milieu d’un champ de tir, justifie-t-elle, envisageant même d’aller aux prud’hommes, car il y a des choses qu’on ne peut pas laisser passer”.

“Elle a été en quelque sorte poussée vers la sortie“, commente Jeanne Baumberger. A l’en croire, le flou règne alors sur la distribution des rôles, entre “un personnel qui a pris l’habitude de fonctionner tout seul” et un conseil d’administration qui sort de sa fonction d’orientation et de contrôle pour empiéter sur la direction. Exemple de scène, rapporté par Christine Fillette : “J’avais prévu une exposition dans le grand salon. Les organisateurs sont arrivés de Paris le samedi et ont commencé à aménager l’expo. Le dimanche matin, j’ai un coup de fil du président de la Cinémathèque pour me dire qu’on ne peut pas la mettre dans le grand salon mais un espace beaucoup plus réduit à l’étage.” Ce qui vaudra un article critique de Zibeline et un courrier acide à Eliane Zayan : “Ils m’ont dit qu’ils n’avaient jamais été traités comme à Marseille.”

Pour l’assister dans son redressement de la Buzine, Christine Fillette s’est vue promettre l’embauche d’un directeur adjoint, davantage axé sur l’administratif. Mais finalement, alors qu’elle est encore en période d’essai, elle découvre qu’on envisageait de “prendre quelqu’un qui allait la chapeauter”, résume Jeanne Baumberger. “Ça ne lui convenait pas s’il y avait quelqu’un au-dessus d’elle”, glisse Daniel Armogathe, président de l’association. Et de glisser que “Christine Fillette nous avait été présentée et proposée par Mme Zayan”. Ambiance.

Disons le tout net : Valérie Fedele avait le CV pour son poste : “Je suis diplômée Sup de Co et j’ai un master en gestion publique Paris Dauphine/ENA”. Mais son profil ne valait qu’en complément de celui de Christine Fillette. “Ce n’est pas pour mes qualités culturelles ou artistiques mais managériales que j’ai été recrutée”, admet-elle. Résultat des courses, jetant à la poubelle l’organigramme proposé par un cabinet de conseil en réorganisation et qui proposait une double direction administrative et artistique, Daniel Armogathe entend se contenter de Valérie Fedele. “Avec les difficultés financières de la délégation et vu le nombre d’employés, je ne vais pas prendre deux directeurs, nous avons mis en place une commission de programmation culturelle avec des membres de l’association”. Enfin la bonne formule ? L’adjointe Éliane Zayan remet en question la poursuite de la DSP d’ici 2016, date prévue de son renouvellement.