Vers une annulation partielle de la délibération sur le droit de grève dans les écoles ?

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le 7 Oct 2022
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Trois syndicats, de même que des parents d'élèves, portaient des recours devant le tribunal administratif de Marseille contre la délibération encadrant le droit de grève des agents des écoles et des crèches. Le rapporteur public demande l'annulation de l'article clé de ce texte.

Manifestants devant l
Manifestants devant l'espace Bargemon lundi 8 février. (Photo Emilio Guzman)

Manifestants devant l'espace Bargemon lundi 8 février. (Photo Emilio Guzman)

Trois recours, une audience. Le tribunal administratif de Marseille examinait conjointement ce vendredi 7 octobre les demandes formulées par les syndicats CGT et FSU d’une part, la CFDT de l’autre et de parents d’élèves, enfin. Tous, pour des motifs divers, réclament l’annulation de la délibération du 8 février 2021 qui encadre le droit de grève des agents des crèches et des écoles de la Ville de Marseille.

Par cette décision actée en conseil municipal, la municipalité entendait empêcher les mouvements de grève limités aux seuls horaires de cantine. Le protocole ratifié par Force ouvrière, UNSA et la CFTC-CFE-CGC – soit une majorité de 70 % dans la représentation syndicale des agents territoriaux – prévoit un service minimum afin de maintenir la restauration des élèves. Surtout le protocole n’autorise la grève des agents que si elle démarre “dès leur première prise de service et jusqu’à son terme”. En clair, le texte ne permet plus aux grévistes de cesser le travail une heure, au moment du repas, avec un retrait de salaire équivalent. Cette heure de grève avait le maximum de retentissement sur les fermetures d’école avec le moins de perte de salaire pour les agents.

Définition du désordre manifeste

Dans la salle d’audience du tribunal administratif, le rapporteur public passe au crible le texte vu comme “une amélioration de l’organisation” par la Ville de Marseille et vécu à l’inverse comme “une limitation du droit de grève”  pour les représentants syndicaux présents. Au terme de sa démonstration – complexe et dense, comme le droit administratif sait l’être – le rapporteur public demande une annulation partielle de la délibération. Au motif que l’article 4 de l’accord, dans son alinéa 1er, présente “un caractère illégal” et mérite donc d’être dissocié du reste du texte.

Il s’agit de déterminer les contours du terme “désordre”. C’est un point de pure forme, cela ne remet pas en cause le fond du protocole.

L’avocate de la Ville

Alors que l’objectif de la Ville est d’imposer aux agent de faire grève “dès leur première prise de service et jusqu’à son terme”, le rapporteur public met en cause successivement ces deux repères temporels. Il argue, d’une part, “qu’un agent peut commencer la grève postérieurement au début de celle-ci”, donc en cours de journée. Surtout, dans cet article, la volonté de la Ville que les agents concernés restent grévistes “jusqu’au terme” est justifiée par le fait que “l’exercice du droit de grève peut entraîner un risque de désordre manifeste”. Or, le magistrat demande à la Ville de “procéder à une appréciation concrète de ce risque de désordre manifeste”.

“Il s’agit de déterminer les contours du terme “désordre”. C’est un point de pure forme, cela ne remet pas en cause le fond du protocole”, se satisfait Marine Brunière, du cabinet Jean-Pierre & Walgenwitz, avocate de la Ville de Marseille. De son côté, le conseil des syndicats FSU et CGT, enfonce ce coin. “Ce désordre n’est ni démontré, ni explicité, ni prévu par le texte de cet accord”, cadre le représentant du cabinet Noûs. “L’ensemble de ce protocole doit être revu et pas seulement ce point-là.”

Grèves divisées par 3,5

À la barre, les représentants syndicaux et des parents d’élèves sont revenus sur ce qui, dans ce texte, mérite une annulation de la délibération. La CFDT dénonce, notamment, une absence de consultation du comité technique (instance paritaire où se débattent les décisions qui impactent la vie des agents). Argument balayé par le rapporteur, au motif que cette consultation n’est pas une obligation juridique. La CGT et la FSU, de leur côté, assurent que les conseillers municipaux n’avaient pas été assez informés du contenu du texte. Un point “non fondé” pour le rapporteur public.

La CFE-CGC, quant à elle, a été sollicitée par le tribunal administratif, en tant que signataire de l’accord, pour faire ses observations sur le texte dans le cadre de la procédure. “Pour nous, signer ce protocole, allait dans le sens du service public. Mais le texte prévoyait une clause de revoyure qui n’a jamais été respectée. Si le texte nous était présenté à nouveau, nous ne le signerions pas”, peste une de ses représentants.

Ce protocole est là pour museler les agents. Les grèves emmerdent la mairie mais elle ne s’attaque pas aux causes.

Françoise Risterucci, CGT

Les syndicats n’en démordent pas, ils veulent le retrait complet du texte. “Dans la fonction publique territoriale, nous avons le droit de gréver l’heure de notre choix, ce qui n’est pas possible dans celle d’État. Ce texte remet en cause ce droit fondamental”, s’agace Roland D’Ambrosio, le secrétaire départemental CFDT Interco.

“Ce protocole est là pour museler les agents. Les grèves emmerdent la mairie mais elle ne s’attaque pas aux causes”, embraye Françoise Risterucci, co-secrétaire générale CGT des territoriaux. “Nous demandons l’annulation de l’accord parce que c’est une remise en cause d’un droit fondamental. D’ailleurs, on l’a vu, l’avocate de la mairie se targue de la baisse du nombre de jours de grève.”

A la barre, Marine Brunière, se félicite d’ailleurs sans détour : “Cet accord fonctionne. Il a des effets bénéfiques pour les familles marseillaises. Le nombre de grèves a été divisé par 3,5. Le nombre d’écoles fermées a été divisé par trois. On est passé de 2217 cantines fermées à 439 sur une année.”

Sécurité des enfants

Pas de quoi satisfaire les contribuables et parents d’élèves engagés dans un recours contre la délibération. Ils demandaient son annulation au motif qu’un vote public avait été demandé en conseil municipal, mais pas suivi d’un scrutin nominatif. Mais surtout, les parents requérants s’inquiètent à la barre de “la sécurité des enfants”.

“Ce qui nous interpelle, explique Arnaud Dupleix du collectif des écoles, c’est qu’il y a là une forme de continuité de service public forcée. Mais avec un adulte pour 30 enfants de maternelle et 60 enfants en primaire cela crée de l’insécurité.” Reste, répond le rapporteur dans ses conclusions, que la loi n’impose pas de norme minimum : “Les conditions de l’encadrement sont laissées à l’appréciation de la collectivité”, explicite-t-il. Le tribunal s’est donné 15 jours de délibéré pour dire s’il annule ou non, tout ou partie de cette délibération.

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Commentaires

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  1. Tyresias Tyresias

    Je trouve ça pas mal que ce prurit droitier soit interrogé

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  2. RML RML

    Je ne comprends pas la position des parents d élèves!

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    • Lissia Lissia

      Il me semble qu’ils sont pris entre le marteau et l’enclume : d’une part, ils sont bien conscients que la limitation du droit de grève, même si elle est prévue par les textes, est toujours une mauvaise chose en soi, mais d’autre part, quel soulagement pour eux d’apprendre que la cantine de leurs enfants ou la crèche de leur bébé fonctionnera normalement.
      M’enfin ! Ces bébés qui ne savent pas se mettre tous seuls à la sieste ou utiliser un micro onde pour chauffer leur biberon…c’est ballot !

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    • julijo julijo

      oui, c’est curieux des parents d’élèves qui portent un recours avec des syndicats d’agents territoriaux.

      il faut aussi peut être se souvenir que la restauration scolaire (ds le primaire et le secondaire) n’est absolument pas obligatoire, c’est un “service”. pour le primaire, la mairie ne l’organise que si elle le souhaite.

      les grèves divisées par 3.5….c’est quand même pas rien. je n’imaginais pas que la délibération de l’an dernier aurait autant d’effet. je comprend bien que la perte pour des petits salaires est d’importance d’une heure à une journée, mais on ne décide pas d’une grève n’importe comment, si ?

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    • toto toto

      Les parents d’élèves portent un recours en leur nom propre. Les affaires sont juste jugées le même jour.

      Leur motivation est le risque encouru par les enfants avec des taux d’encadrement de limite d’accueil en cas de grève totalement délirants fixés dans l’accord de 1 adulte pour 30 enfants en maternelle et 1/60 en élémentaire. C’est extrêmement dangereux.
      Les taux d’encadrement en temps normal sont de 1/25 et 1/50 contre 1/14 et 1/18 dans les autres villes.

      Rendre plus difficile la grève en tapant sur les petits salaires c’est masquer qu’il y a un problème. Le meilleur moyen de mettre fin au grèves c’est de recruter pour que nos enfants soient accueillis dans des conditions normales.

      Donc oui à des cantines ouvertes mais pas dans n’importe quelles conditions. On ne peut pas juste déposer les enfants le matin en fermant les yeux parce que la cantine est ouverte.

      Quand il y aura un blessé grave ou un mort, nos chers élus verseront des larmes de crocodiles comme leurs prédécesseurs l’avaient fait pour la rue d’Aubagne.

      L’école est une compétence exclusive de la ville, elle fait donc ce qu’elle veut. Si elle n’applique pas ce qui était promis dans son programme à savoir un taux de 1/10 et 1/20 pour le temps méridien c’est tout simplement qu’elle se fout complètement des enfants contrairement à ce qu’elle prétend. Et on ne parle là que du personnel dans les écoles…

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  3. zaza zaza

    @toto c’est exactement ce que j’aillais écrire et de plus vous l’avez fait très bien. Merci

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  4. gastor13 gastor13

    “Les grèves emmerdent la mairie mais elle ne s’attaque pas aux causes”, embraye Françoise Risterucci” Tout est là, d’après la CGT ça emmerderait la Mairie ? Pas du tout, la Mairie, de droite ou de gauche, elle s’en fout.. ceux que ça emmerde ce sont les parents des enfants. Il pourra y avoir grève tous les jours le Maire et les élus continueront de s’en foutre royalement !

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  5. Jeanne 13 Jeanne 13

    Si les agents des écoles se mettent en grève ce n est pas pour le plaisir
    Vous savez ce que c est de travailler la peur au ventre en se demandant chaque jour s il n y aura pas d accident quand on est seul adulte face à 60 enfants entre 6 et 10 ans vous vous imaginez ce que ça représente ?
    Quand les enfants mangent dans le bruit et que les tatas doivent se faire respecter pour éviter que la nourriture vole partout
    Quand les tatas doivent accélérer la cadence pour que tous les enfants puissent manger dans le délai tant pis pour ceux qui sont lents
    Quand tout ça se reproduit parce que les adultes qui ne tiennent pas ce rythme intense tous les jours sont en arrêt de travail
    C est ça la vraie vie dans les écoles marseillaises
    La réponse de la mairie des petits marseillais et petites marseillaises au lieu de proposer des moyens d apaisement décident d imposer l encadrement du droit de grève
    Et quoi d autre comme solution ?
    Ils commencent à peine à passer des agents à temps non complet en contrat de plein temps enfin…!
    Le nombre d enfants par adulte est le plus important de France

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