Unité d’hébergement d’urgence de Marseille : l’accueil inconditionnel mis à mal ?
L'Unité d'hébergement d'urgence est soumise à la règle de l'accueil inconditionnel. Toutefois, un traitement des hébergés peu conventionnel affleure dans la structure déjà malmenée par une gestion interne fortement critiquée par les tutelles.
Unité d’hébergement d’urgence de Marseille : l’accueil inconditionnel mis à mal ?
“L’UHU est bien souvent là pour compenser l’incurie de l’État à gérer les questions migratoires.” C’est par cette attaque contre l’État que l’adjoint à la lutte contre l’exclusion Xavier Méry est intervenu lors du dernier conseil municipal. Il était alors interpellé au sujet de l’Unité d’hébergement d’urgence de la Madrague-Ville, secouée par une affaire de recrutement sur préférence familiale que Marsactu a révélé.
Si l’élu a répété être attentif à ce qu’il a qualifié de “népotisme”, il a tenu toutefois à réitérer son soutien à l’association AMS retenue un an plus tôt par les tutelles (Ville et État) au détriment de l’Armée du Salut qui gérait jusque-là la structure. Et, devant le conseil municipal, il a justifié ce choix en l’appuyant sur un argument nouveau : “L’Armée du salut recevait certes un certain nombre d’hébergés, mais pas forcément ceux pour quoi l’UHU était destinée : les personnes que l’on voit dans la rue, les SDF et un certain nombre de sans abri, parce qu’ils sont difficiles à gérer, parce qu’ils sont alcoolisés. Au profit de qui ? C’était au profit d’énormément de clandestins qui embolisent ce système d’hébergement d’urgence que ce soit à Marseille, à Paris ou dans un certain nombre de villes en France.” À l’entendre, le choix d’AMS serait donc la suite logique d’une volonté de rééquilibrage dans l’accueil des publics.
Dans un sens ou dans un autre, cette question de la cohabitation des publics accueillis est une problématique ancienne de l’hébergement d’urgence. Il y a quinze ans, les Algériens déboutés de leur demande d’asile territorial finissaient déjà dans les préfabriqués de la Madrague. Dans le diagnostic participatif que l’Armée du salut a fait réaliser à son arrivée, le problème de cette vie commune difficile entre jeunes sans-papiers et marginaux souvent alcoolisés était déjà posé.
“Peut-on pour autant refuser d’héberger quelqu’un “qui ne devrait pas être là” ? En ce moment (mai 2011), disent des salariés, il y 220 à 230 personnes hébergées, “plus que d’habitude” : des gens “qui ne parlent pas la langue”, “des gens qui sont psy”, “les flux de migrants”, “tout ça, ce sont des difficultés pour orienter les personnes ailleurs”.
Grille fermée
D’après la Ville, AMS a donc été choisie sur ce critère de l’ouverture prioritaire de l’UHU au “public pour lequel elle existe”, ceux qu’on appelle les “grands marginaux” ou plus prosaïquement les clochards. Cette nouvelle politique assumée par la Ville comme par l’État vient tout juste d’être mise en œuvre à l’UHU. L’unité a dû d’abord s’adapter à un nouveau dispositif mis en place par la Préfecture. Jusque-là, c’est à la porte de l’UHU par les accueillants eux-mêmes que s’opérait la sélection. Souvent au terme d’une interminable file d’attente qui se terminait parfois par le couperet intolérable de la grille fermée. Désormais la gestion des admissions s’effectue exclusivement par le 115, le numéro d’urgence gratuit. Chaque demandeur se voit attribuer une place réservée pour un certain nombre de jours. Une fois ce stock de jours dépensés, ils doivent rappeler le 115.
Mais comment les grands marginaux peuvent-il s’insérer dans ce dispositif de réservation? Estimant qu’avec la gestion par le 115, ce public, dans l’incapacité de téléphoner est exclu, l’UHU a mis donc en place le “Plan grands marginaux”. “Ces derniers bénéficient de 90 jours d’hébergement. À l’échéance de cette période, on étudie chaque cas avec le SIAO [plateforme qui coordonne toutes les structures – ndlr], le 115, toutes les structures associatives et on établit une nouvelle liste”, explique Gilles Chalopin, le directeur de l’UHU. 47 grands marginaux seraient, selon le directeur, bénéficiaires de cette mesure à l’UHU et 10 personnes resteraient sur le site en permanence, “par impossibilité de les remettre à la rue dans l’état où elles se trouvent”.
Accès limité
Qu’en est-il des fameux “clandestins” cités par Xavier Méry ? D’après Sylvain Rastoin, directeur de l’association SARA qui gère le 115 : “pendant des années, les sans-papiers avaient un accès limité dans le temps à l’UHU, ce qui n’est plus le cas depuis l’amendement de 2014 de la loi sur l’accueil inconditionnel”. Donc, contrairement à ce que dit l’adjoint au maire, l’accueil des “grands marginaux” ne peut être mis en balance avec celui des migrants, les premiers prenant la place des seconds. L’accueil y est toujours inconditionnel mais avec quelques nuances. C’est ce que laisse penser un questionnaire que nous nous sommes procuré. Cette photocopie distribuée à l’accueil de l’UHU pose plusieurs questions de fond. (Cliquez dessus pour l’afficher)
D’abord, le questionnaire ne respecte pas le principe d’anonymat, en renseignant le nom de la personne et en posant un certain nombre de questions sur la santé de l’hébergé, ainsi que les pays qu’il a traversés. Pour le directeur de l’UHU, Gilles Chalopin, rien de plus normal : “C’est une fiche sanitaire, réalisée en direction des médecins de l’UHU. Il s’agit de savoir quels risques de maladie existent, en fonction des pays traversés. Et concernant le nom de la personne, elle n’est pas obligée de le donner mais dans ce cas elle se prive des démarches administratives engagées pour rétablir ses droits.” Vu le caractère lapidaire des questions posées, on peut s’interroger sur l’intérêt d’un tel questionnaire.
Outre ces problèmes de fond, en subsiste un autre sur le statut des personnes qui remplissent ce questionnaire. “Normalement, ce sont les travailleurs sociaux et non les accueillants, non habilités à le faire, qui doivent poser ces questions, explique une salariée qui souhaite garder l’anonymat. Dans ce cas, la confidentialité est respectée, l’anonymat aussi. Cela ne se fait pas devant tout le monde, à l’accueil comme aujourd’hui à l’UHU ! Des gens sont stressés avec ça”. Notre source confirme ensuite les informations du directeur : une fois remplies, les fiches sont transmises au service para-médical de l’UHU qui, pour finir, les transmet aux travailleurs sociaux.
“Carte de santé”
Le directeur du 115, Sylvain Rastoin affirme ne pas avoir eu connaissance de ce questionnaire. Mais il pose une question de principe : “On peut imaginer que certaines questions soient posées sur la santé des hébergés, notamment en cas de situation d’urgence, mais on ne peut pas établir une carte de santé. C’est pour cela que le projet de carte médicale frappée d’un triangle jaune proposé par la mairie a d’ailleurs été abandonné. D’autre part, si des questions sur la santé et la situation administrative sont posées, elles ne doivent certainement pas l’être par les accueillants, souvent pas formés”.
Malgré l’existence de ce questionnaire peu réglementaire, rien ne permet de dire qu’il existerait un traitement spécifique pour les hébergés sans-papiers. D’ailleurs, Gilles Chalopin affirme que l’équipe de l’UHU se contente “d’exécuter” les directives du 115 qui transmet ses listes de noms, comme l’exige la loi. Pourtant, certains en interne à l’UHU, évoquent une sélection “à la tête du client”.
Interrogé sur cette question, Sylvain Rastoin, qui n’a pas eu vent de ces faits, explique en revanche qu'”il peut arriver – et ce n’est pas spécifique à l’UHU de la Madrague – qu’en cas de passif violent d’une personne au sein d’une structure, celle-ci oppose au 115 un refus de le prendre”. Cependant, du côté des autres associations de prise en charge des sans-abri, certains confirment les accusations formulées par des salariés. Ainsi Jo Ponceau, directeur de la Boutique solidarité – un accueil de jour de la Fondation Abbé Pierre – déplore : “L’équipe de l’UHU est toute puissante. Il suffit d’un petit incident, d’une réflexion et l’accueillant téléphone au 115 pour exclure une personne du dispositif de relogement. Le 115 se fait le relais de tout ça. L’accueil inconditionnel ? Cela me fait doucement rigoler”.
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