Une vie sous confinement en récits : jalousie, envie, colère
Pendant le confinement, Marsactu propose à ses lecteurs de partager leurs récits, créations et réflexions dans l'Agora. Chaque samedi, nous vous invitons à découvrir des extraits des billets publiés au cours de la semaine.
Image Michéa Jacobi
“Il y a des familles qui se morfondent dans les plus étroits des logements et d’autres qui occupent des appartements assez vastes pour goûter aux plaisirs de l’ennui. Je fais partie de la seconde catégorie et je n’estime cependant pas être des plus privilégiés. Car il y a des traîtres, des infâmes, des faux jetons qui ont aussi droit à un jardin. Ceux-là, lorsqu’ils vous appellent (et comme par hasard, ils vous appellent souvent) ne manquent pas de détailler le plaisir qu’ils prennent à la fréquentation et à l’entretien de leur lopin ; « Ah tu verrais les iris, et les lilas, et le cerisier !”.
Cinquième semaine de confinement, les esprits s’échauffent et on se laisse plus volontiers aller à des sentiments amers, on pêche par agacement. Michéa Jacobi, non sans une pointe d’humour, jalouse les confinés privilégiés, mais a aussi dégoté, dans sa démarche de “déconfinement” de l’esprit, un réjouissant passage de Balzac consacré au phénomène du Parisien à la campagne qui aurait pu être écrit de nos jours, et c’est à découvrir ici.
“Il y a tant à faire ces derniers jours de printemps”
“Tu sors, jettes un œil à la bonne Mère protectrice et te diriges vers la boulangerie, celle où la serveuse est avenante. Tu achètes des croissants tièdes, légers et feuilletés qui s’accordent si bien à la confiture de citre vanillée à l’orange. Tu prends aussi le journal pour savoir si l’OM a gagné et connaître les événements publics qui pourraient égayer votre week-end. En rentrant, le thé est déjà prêt, les fenêtres grandes ouvertes, le lit également. Tu hésites un instant à te recoucher, résistes légèrement aux assauts d’un nouvel élan de tendresse et… et le thé n’est plus très chaud, il a trop infusé, il va falloir recommencer
Vous sortez tout de même, il y a tant à faire en ces derniers jours de printemps. Vous remontez le quai, croisez des attroupements devant le départ du petit train, observez les bateaux amarrés, captez le cliquetis des voiles et les raillements des gabians, moquez ces troupeaux de touristes suivant le drapeau de ralliement du guide, hélez en passant votre ami à son balcon, éructez devant les barrières de protection de la mairie et arrivez au marché aux fleurs. Bougainvillers, jasmins, hortensias, tulipes, laurier rose, pétunias, azalées, dipladenia : elle te précise tous les noms car elle s’y connaît et toi pas”.
José Rose prend lui un malin plaisir à faire envie à ses lecteurs confinés. Abandonnant son dictionnaire des mots du Covid le temps d’un billet, il déroule le récit sans accrocs ni geste barrière d’une journée de printemps rêvée à Marseille. Une journée pas bien compliquée, juste pas confinée.
“Alors nous aurons tout raté”
La colère, sourde, teintée d’indignation, se lit aussi dans l’Agora. Dans un texte tranchant, Théo Giacometti partage son inquiétude de voir les grands espoirs pour l’après rester à l’état de vœux pieux. Et déroule, en creux, la liste des urgences et inégalités à combattre qu’il craint de voir vite oubliées.
“Nous devons aujourd’hui en appeler de nos rêves à de nouvelles idées, et les mettre en œuvre, de nos mains. Nous devons apprendre à renoncer, à perdre, à ne pas tout posséder. Nous devons écrire sur cette page blanche. Et si nous n’en tirons rien, et si nous appelons encore « ressources » les êtres vivants, et si nous abandonnons encore nos frères dans les égouts boueux, et si nous vendons encore la santé de nos enfants pour les dividendes d’une minorité alors nous pourrons le dire : nous avons tout raté.
Et si une minute d’un homme vaut encore plus que l’année entière d’un autre, alors nous aurons tout raté. Et si une semaine à Marrakech en tout inclus coûte moins cher qu’un trajet chez ta grand-mère bretonne, alors nous aurons tout raté. Et si les femmes et les hommes n’ont comme pouvoir que celui d’être de bons consommateurs, alors nous aurons tout raté. Et si nous ne nous indignons pas, et si nous nous soumettons encore, mous, tièdes, peureux, si nous acceptons l’indignité et l’exclusion, le désastre écologique et la suprématie financière alors nous aurons tout raté.”
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